Nous avons besoin de l’unité européenne
L’Europe se trouve aujourd’hui au bord d’une guerre. Le conflit armé a cessé d’être un scénario potentiel pour devenir une éventualité réelle. Pour de nombreuses générations de jeunes Polonais et Européens, la guerre n’a jamais été une perspective aussi tangible. Pendant longtemps, l’Occident voulait croire que le XXIe serait exempt de toute animosité. Mais ce qui se passe depuis quelques années nous a fourni suffisamment de preuves pour nous rendre compte que l’attitude agressive de la Russie, entre autres en Géorgie ou en Ukraine, n’était pas une illusion, mais l’annonce d’un nouveau chapitre dans l’histoire du monde occidental.
De nouveau, la Russie tente de violer l’intégralité territoriale de l’Ukraine. Contester les frontières d’un État souverain n’est rien d’autre qu’un attentat à la paix en Europe.
Le monde que nous connaissons bien, celui des valeurs européennes, de la liberté, de la démocratie et de la prospérité s’est trouvé en ligne de mire des responsables politiques et militaires russes. Au-delà de l’avenir de l’Ukraine, c’est aussi la sécurité et le développement des économies européennes qui sont en jeu. Cette crise – la plus importante depuis la fin de la Guerre Froide – lance un défi aux règles adoptées par la communauté transatlantique après 1989.
Examen de conscience
.Nous devrions regarder la vérité en face. Des années durant, la menace russe sur la paix n’a cessé de croître, dans l’indifférence d’une grande part des forces politiques en Europe. De nombreux dirigeants n’avaient ni le courage ni la détermination de couper les fils des liens économiques avec le Kremlin qui, avec le temps, sont devenus comme une corde autour de notre cou. Le nôtre, pas celui de Moscou. Se décider à des combinaisons d’intérêts opaques avec un régime qui n’a reculé ni devant la guerre pour s’attaquer à ses plus petits voisins, ni les meurtres politiques, ni les opérations des services secrets menées sur le territoire des États membres de l’UE peut difficilement être qualifié uniquement de myopie. C’est en fait un acte conscient de cynisme politique. Il coûte à l’Europe de plus en plus – nous perdons non seulement économiquement (par exemple à travers le prix du gaz, otage de cette politique de chantage), mais aussi politiquement. En 2021, Gazprom a augmenté ses exportations de gaz vers la Chine et la Turquie, tout en réduisant les transferts vers l’Europe de 10 milliards de m3 par rapport à 2020 et de 27 milliards par rapport à 2019. Cette aggravation artificielle de la crise énergétique constitue un chantage visant à accélérer la mise en fonctionnement du gazoduc NordStream 2. Le prix de cette erreur, ce sont les simples Européens qui le paient, et non pas ceux qui ont signé le contrat.
La politique de la Russie, aussi folle qu’elle puisse paraître, est terriblement rationnelle. Depuis trois ans, dans la douleur, nous livrons une bataille contre la pandémie et la crise économique. Au même moment, Vladimir Poutine, avec une cynique précision, est passé à l’offensive, en mettant à son profit toutes nos faiblesses. Malheureusement, une large part des élites européennes passées maîtresses dans l’art de se voiler la face ne veulent pas voir l’envie russe de restaurer la puissance perdue.
La liste de dirigeants et de leaders politiques qui ont troqué leurs carrières politiques contre les roubles et des postes dans les entreprises contrôlées par le Kremlin donne le tournis. Le cas de Gerhard Schröder, très instructif, n’est que la pointe de l’iceberg. Sur la longue liste de collaborateurs de Gazprom, Lukoil, Rosneft ou des firmes du chantier de NordStream 2, on retrouve d’anciens chanceliers, Premiers ministres, chefs de diplomatie, conseillers présidentiels, ministres.
Les défenseurs d’une telle attitude vont invoquer la loi du marché et la liberté de trouver un nouveau travail, une fois la mission publique accomplie. Pourtant, ces gens-là ne s’y sont pas retrouvés par hasard. Leurs connaissances et compétences sont devenues des outils entre les mains du Kremlin. En tant qu’anciens dirigeants et leaders, ils ont leur part de responsabilité dans les politiques énergétique, économique et de sécurité à l’œuvre dans l’UE. Ils ont eu accès aux données classées secret, aux analyses des services de renseignement. Ils ont pris des décisions stratégiques qui déterminaient l’avenir des sociétés, de l’UE et de l’OTAN. Il faut le dire ouvertement : en Europe, la Russie dispose de nombreux chevaux de Troie.
NS2 et sa dimension géopolitique
.Les intentions de Moscou ne devraient soulever aucun doute. En juillet 2021 déjà, Vladimir Poutine a publié une tribune sur les relations historiques entre la Russie et l’Ukraine. Sa thèse principale repose sur la conviction qu’il n’existe pas de nation ukrainienne distincte et que les Ukrainiens font partie de la « nation russe » dans laquelle les Russes jouent un rôle dominant. L’Ukraine, selon Poutine, est une part indissociable du monde russe. Ainsi, vouloir renforcer son indépendance et son identité distincte est non seulement une erreur mais surtout une provocation. Il laisse donc sous-entendre qu’il n’y a pas de place pour une Ukraine libre et souveraine. Cela signifie donc que la Russie poutiniste ne respecte pas non plus la paix et le droit international. L’objectif de Poutine semble clair : faire en sorte que l’Occident renonce à soutenir l’Ukraine et la laisse au bon vouloir de la Russie.
NordStream 2 prouve que le scénario de Poutine a ses partisans en Europe. Ce projet suicidaire pour la politique énergétique européenne jette de l’ombre sur la politique allemande. Grâce à lui, Gazprom contrôlera les transfert de gaz en Europe, tout en les soumettant aux décisions d’ordre politique. C’est un projet inacceptable non seulement du point de vie de la géopolitique mais aussi de l’économie. On voit déjà que la Russie réduit drastiquement les volumes de gaz transportés via les gazoducs existants, comme ce sont les cas des installations qui traversent le territoire ukrainien. En plus, Gazprom ne réserve pas la capacité du gazoduc Yamal. Le monopole énergétique devient ainsi le monopole de décider de la souveraineté ukrainienne.
L’Europe a besoin d’unité
.Face à la menace de la part de la Russie, nous avons besoin de solidarité et de coopération. L’Europe et ses partenaires transatlantiques devraient voir dans les derniers événements aux frontière est de l’UE un mémento. Peut-être le dernier.
Le plus efficace outil que l’Europe avec les États-Unis peuvent mettre sur la table des négociations sont d’éventuelles sanctions économiques et une position déterminée visant à bloquer le projet de NS2. Ce n’est pas que la voix de la Pologne et des pays de la région centre-européenne. En ce temps crucial, nous avons besoin d’un vrai leadership qui écartera de nous les inquiétudes et reconduira l’Europe sur le chemin de la sécurité et du développement.
Mateusz Morawiecki