
Les scientifiques polonais. Créatifs, engagés, pensant au-delà des schémas
Par qui commencer ? Par Marie Curie-Skłodowska et ses deux Prix Nobel, de physique et de chimie ? Ou par Nicolas Copernic, qui révolutionna l’astronomie de son époque ? Ce serait sans compter que presque tous, à travers la planète, prennent Curie-Skłodowska pour une Française, et que bon nombre d’Européens s’obstinent à croire que Copernic fut un astronome allemand.

Commençons donc par l’École mathématique de Lwów sans laquelle le monde scientifique ne serait jamais là où il est aujourd’hui. Hugo Steinhaus, Stanisław Ulam, Stefan Banach et d’autres jetèrent les bases mathématiques sur lesquelles reposent de très nombreuses réalisations en chimie, en physique et en économie. À Lwów (alors ville polonaise), au début du XXe siècle, le professeur Hugo Steinhaus donna vie à un équivalent mathématique de Göttingen ou de la Sorbonne – un endroit qui permit de déployer les ailes à tout une génération d’illustres mathématiciens polonais. Le nombre de leurs découvertes et de leurs travaux pionniers réalisés dans l’entre-deux-guerres fut impressionnant. Leurs théories seront plus tard appliquées aux calculs numériques sur les ordinateurs (Ulam), à la mécanique quantique (Banach) ou à l’économie (Steinhaus). Le ferment intellectuel qui s’installa alors à Lwów fut un cas à part dans l’histoire de la science polonaise, et le « livre écossais » – un cahier qui servit aux mathématiciens, lors de leurs rencontres dans un café local, à y noter des problèmes et des solutions, est à lui seul légendaire. Malheureusement, la deuxième guerre mondiale stoppa brutalement l’activité de l’école : les universités furent fermées et de nombreux professeurs assassinés. Certains d’entre eux, par miracle, purent survivre (Banach fut sauvé par le biologiste Rudolf Weigl, l’inventeur du premier vaccin contre le typhus exanthématique, qui l’inscrivit sur une liste de « nourrisseurs de poux ») ou fuir l’Europe. Stanisław Ulam devint ainsi Stan Ulam, un grand scientifique américain qui contribua largement au succès du projet Manhattan.
La liste de chercheurs forcés d’émigrer ne s’arrête pas là. C’est même un leitmotiv de la science polonaise. On y trouve Marie Curie-Skłodowska qui, pour pouvoir finir ses études et devenir la scientifique la plus reconnaissable au monde, juste après Einstein, dut fuir la Pologne occupée par les puissances limitrophes. La pionnière de la radioactivité est une des quatre personnes récompensées de deux Prix Nobel en sciences naturelles. On y trouve aussi Aleksander Wolszczan, professeur à l’université d’État de Pennsylvanie, le premier astronome à découvrir une planète en dehors de notre système solaire ; Kazimierz Funk qui mena des recherches sur le cancer et qui isola, à l’Institut Pasteur, les premières vitamines ; Leopold Infeld, grand physicien théoricien qui devint collaborateur d’Albert Einstein dans ses travaux sur la relativité générale ; Bronisław Malinowski, anthropologue de renommée mondiale, qui, avec d’autres chercheurs, jeta les fondations de l’anthropologie britannique et puis aussi internationale ; Mieczysław Bekker, concepteur du premier Rover lunaire pour la NASA. Même l’auteur de ce texte mène des recherches sur la synthèse thermonucléaire à Greifswald, en Allemagne.
Mais il n’y eut pas que les chercheurs à l’émigration qui s’illustrèrent par leurs découvertes ou leurs réalisations. Jan Czochralski mit au point un procédé de croissance de cristaux monocristallins, utilisés dans la production de processeurs ; Ignacy Łukasiewicz inventa la lampe à pétrole ; Marian Smołuchowski, élabora, indépendamment d’Einstein, la théorie du mouvement chaotique des particules ; Leonard Sosnowski fut le pionnier des recherches sur les semi-conducteurs sans lesquels le XXIe siècle ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui.
Il est difficile de surestimer l’influence de Nicolas Copernic sur notre perception du monde. En hommage au génie de l’astronome originaire de Toruń, the National Gallery à Londres présentera en 2021 deux chef-d’œuvres : le tableau de Jan Matejko « Conversation avec Dieu », représentant Copernic en train d’étudier le système solaire, et une copie de l’ouvrage de Copernic De revolutionibus orbium coelestium (Des révolutions des orbes célestes), fruit de ses observations et de ses calculs méticuleux du mouvement des astres. Alors que la science moderne n’était qu’à son balbutiement, le chanoine de Toruń fut l’un des premiers scientifiques dignes de ce nom, un vrai homme de la Renaissance. Hormis l’astronomie, il s’intéressa à la médecine, les mathématiques, la philologie et l’économie. Sa découverte majeure – que la Terre tourne autour du Soleil – marqua une révolution dans la science, mais pas seulement, car ses conséquences philosophiques furent probablement encore plus importantes. Le tournent copernicien inaugura l’époque d’un renversement des évidences. La Bible cessa d’être la seule source des connaissances sur l’univers et les lois naturelles – le domaine des disputes entre théologiens. Nicola Copernic fit entrer la science dans une nouvelle dimension de la connaissance et il semblerait que dans le tableau de Matejko c’est justement ce dont il s’explique devant Dieu.
La science polonaise n’est évidemment pas que de l’histoire, lointaine ou récente. C’est aussi le présent. Les scientifiques polonais s’illustrent dans les plus importants centres de recherches au monde. Agnieszka Zalewska, en tant que représentante de l’école polonaise de la physique des particules élémentaires, de renommée mondiale, a encore récemment été présidente du Conseil du CERN. Des archéologues polonais, sous la direction de l’égyptologue Karol Myśliwiec, font des découvertes qui émerveillent la communauté internationale. Des astronomes polonais, réunis au sein du projet OGLE ont démontré que notre galactique a une forme très complexe. Des étudiants des écoles polytechniques polonaises, dans les pas de Mieczysław Bekker, remportent régulièrement des concours qui ont pour objectif de construire un Rover nouvelle génération pour l’exploration du Mars. Le monde de la science d’aujourd’hui est un réseau de plus en plus grand d’instituts de recherche disséminés aux quatre coins de la planète. La science polonaise, grâce aussi à notre présence dans l’Union européenne, s’y retrouve pleinement, en apportant une touche bien polonaise : la créativité, l’engagement et la capacité de penser au-delà des schémas. Le temps nous montrera si notre époque aura eu aussi son Copernic ou sa Marie Curie-Skłodowska.
Marcin Jakubowski
Traduit par Andrzej Stańczyk
Texte co-publié avec le mensuel polonais „Wszystko Co Najważniejsze” dans le cadre d’un projet réalisé avec l’Institut de la mémoire nationale (IPN) et Narodowy Bank Polski (la banque centrale polonaise NBP).
