Karol NAWROCKI: La Pologne. Histoire est son autre nom

La Pologne. Histoire est son autre nom

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Karol NAWROCKI

Président de l'Institut de la mémoire nationale de Pologne.

Ryc. Fabien Clairefond

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Nous voulons que vous connaissiez l’incroyable passé de la Pologne – un des pays les plus marqués par l’histoire, mais qui en tire la force de lutter pour la valeur humaine la plus universelle – la liberté.

.Que la Seconde Guerre mondiale a commencé en Pologne est un fait connu de tous, ou presque. Mais que ce n’étaient pas que les Allemands qui ont attaqué la Pologne peut sans doute être une surprise pour beaucoup de gens dans le monde. En effet, le 17 septembre 1939, conformément à un accord secret entre l’Allemagne nazie et la Russie bolchevique signé le 23 août, l’armée soviétique a franchi la frontière est de notre pays, en envahissant presque la moitié du territoire. C’est d’ailleurs pour cette raison que le 23 août a été proclamé par le Parlement européen comme Journée européenne de commémoration des victimes des régimes totalitaires.

Pourquoi le monde ne comprend-il pas la Pologne ? Imaginez que la France perde pour plus de cent ans son indépendance et son gouvernement revienne aux Allemands, aux Anglais et aux Espagnols qui punissent de peine de mort les Français voulant lutter pour la liberté, qui bannissent la langue française des écoles, qui effacent l’histoire du pays et qui interdisent d’imprimer les auteurs français. Après presque cinq générations, la France se serait-elle relevée ? La Pologne l’a fait. Ayant été déchirée au XIXe siècle entre la Russie, la Prusse et l’Autriche, elle a su, en 1918, en l’espace de quelques mois seulement, mettre les fondements d’un État capable de faire face militairement à l’invasion de la Russie bolchevique en 1920 et de sauver par la même occasion toute l’Europe devant le déluge communiste.

Semion Boudienny, chef de la cavalerie soviétique connue pour son atrocité, a dit que s’il avait eu plus de soldats à sa disposition, il aurait « labouré toute la Pologne et avant la fin de l’été les sabots de [leurs] chevaux auraient retenti sur les places de Paris ». Nous, les Polonais, nous n’oublions pas que la France était à l’époque un de nos rares alliés, que sur le territoire français avait été mis sur pied une armée polonaise de presque 70 000 recrues qui s’est d’ailleurs illustrée dans les combats contre les troupes de Boudienny. C’est dans cette armée que s’était engagé un certain jeune officier prénommé Charles de Gaulle. Il est venu avec elle en Pologne et lors de la bataille de Varsovie, au moment du plus grand danger, il a combattu au front. 101 ans après ce qui est considéré comme la 18e bataille de l’histoire de l’humanité, il faut rappeler que la victoire n’a pas été le résultat d’une puissance économique ou militaire. C’est peu dire. La Pologne l’a même fait nonobstant certains pays européens. Ce qui a été décisif, c’est ce gène de liberté que tous les Polonais portent en eux.

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Après 1920, la Pologne a bâti une économie solide et un État fort, mais n’est parvenue à éduquer qu’une seule génération de Polonais nés dans un pays libre. En 1939 déjà, c’est en Pologne qu’ont retenti les premiers tirs de la Seconde Guerre mondiale et les deux totalitarismes – le nazisme allemand et le communisme soviétique – en signant un pacte secret, nous ont une fois de plus privé de liberté.

Durant la guerre, six millions de Polonais environ sont morts dont plus de trois millions de citoyens polonais d’origine juive. C’est sur le territoire polonais que les Allemands ont réalisé la Shoah. Ils ont exterminé de manière planifiée les élites polonaises, pacifié plus de 800 villages, en massacrant leurs habitants et en détruisant les habitations. C’est pour les Polonais que les Allemands ont construit la plus grande usine de la mort – Auschwitz-Birkenau. L’État soviétique, ayant occupé presque une moitié des terres polonaises, a assassiné 20 000 officiers polonais environ. Des centaines de milliers de citoyens polonais ont été déportés au fond de la Russie, pour y mourir de faim et de travail forcé.

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Malgré tout cela, depuis le premier jour de la guerre, les Polonais se sont battus sur tous les fronts, en constituant la plus importante armée après celles des États-Unis, de l’Union soviétique, de la Grande-Bretagne et de la France. Ce sont les Polonais qui ont transmis aux Français et aux Britanniques des machines Enigma dont ils avaient décrypté le code et qui ont fait basculé l’arithmétique de la guerre en faveur des Alliés. Des ingénieurs polonais ont donné au Alliés le détecteur de mines et le walkie-takie. Le gène de liberté a poussé les Polonais à combattre les Allemands en Afrique, en Italie, en France et en Angleterre.

Sous l’occupation allemande, où toute aide apportée à un Juif était punie de peine de mort – une exception parmi tous les pays occupés par les Allemands – les Polonais ont accompli des actions remarquables. Assistante sociale, Irena Sendlerowa a été impliquée dans le sauvetage de presque 2 000 enfants juifs. Religieuse catholique, Matylda Getter a caché dans des orphelinats de différents ordres religieux plusieurs centaines d’enfants sortis des ghettos.

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C’est en parfaite conscience de tout cela que la Pologne a été poussée par les puissances alliées dans les bras de l’Union soviétique qui a instauré dans notre pays un gouvernement communiste. Avec le front, des unités spéciales soviétiques sont entrées en Pologne pour y procéder à des arrestations et à des meurtres de masse sur des gens qui, durant cinq ans, avaient combattu pour la liberté. Quand l’Occident fêtait la liberté retrouvée, la Russie soviétique en privait, une fois de plus, les Polonais.

L’exemple très significatif est celui de Witold Pilecki, symbole de la lutte contre le totalitarisme. En tant que jeune officier, il avait combattu dans la guerre de 1920. Après 1939, il était devenu membre de la résistance. C’est lui qui avait infiltré l’enfer sur Terre – le camp d’Auschwitz – pour y organiser un mouvement de résistance et rédiger un rapport pour les Alliés sur la réalité des meurtres des Allemands. Arrêté après la guerre par les autorités communistes, il avait été condamné, au terme d’une parodie de procès, à la peine de mort. Ayant entendu le verdict, il a dit : « À côté de ça, Auschwitz était un jeu d’enfants ».

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Les Polonais n’ont jamais abjuré la liberté. Pendant toute cette période où la moitié de l’Europe restait sous le joug soviétique, la Pologne se révoltait. Il n’y pas eu de décennie sans des protestations la plupart du temps baignées dans le sang. L’adhésion massive, dès 1980, au syndicat Solidarnosc – 10 millions de membres ! – montre bien l’échelle du rejet du pouvoir communiste par la population polonaise.

La naissance de Solidarnosc a marqué l’érosion du communisme soviétique. Au dixième anniversaire du syndicat, toute l’Europe pouvait enfin jouir de la liberté. L’empire soviétique s’est écroulé et les pays de l’Europe centrale sont redevenus des démocraties et leurs citoyens – des gens libres. C’est en grande partie aussi grâce au gène polonais de liberté.

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.Si l’Institut polonais de la mémoire nationale veut porter dans le monde l’histoire de la Pologne et des Polonais, c’est pour nous permettre à tous d’y puiser des expériences, la sagesse et la responsabilité, tellement pertinentes dans une politique mondiale de plus en plus globalisée.

Karol NAWROCKI

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 31/08/2021