Mateusz MORAWIECKI: « Le Nouvel ordre polonais »

« Le Nouvel ordre polonais »

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Mateusz MORAWIECKI

Premier ministre de la République de Pologne.

Ryc.Fabien Clairefond

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Le redémarrage post-pandémique sera utilisé pour rebâtir le système économique et social afin de le rendre plus résistent aux crises futures, plus juste, capable de hisser la Pologne à un niveau supérieur de développement.

.Nous vivons des temps étonnants. Les quinze derniers mois sont passés sous le signe de l’inquiétude pour notre santé et notre vie, de la peur pour notre avenir aussi. De nombreux Polonais se demandaient non seulement s’ils réussiraient à éviter la contamination, mais aussi s’ils garderaient leurs emplois, si leurs familles auraient la sécurité financière, si leurs enfants ne seraient pas obligés de tirer un trait sur un futur meilleur.

La pandémie aurait vraiment pu nous faire reculer dans les années 1990. Il suffit de voir les données économiques désastreuses de certains pays – aussi en Europe – pour comprendre que le scénario noir n’était pas qu’une vision sortie d’un film catastrophe. Il n’en a pourtant rien été, car aujourd’hui, à la différence des années 1990, les Polonais pouvaient compter sur un État impliqué activement dans l’organisation de l’aide à tous ceux qui en avaient besoin.

Un soutien sans précédent dans le cadre du bouclier anti-crise et du bouclier financier nous a permis d’éviter les conséquences calamiteuses de la crise de la Covid-19 et immobiliser un PIB en chute libre à 3 % – le troisième meilleur résultat en Europe et le meilleur parmi les pays à plus de dix millions d’habitants. Un succès encore plus spectaculaire : un taux de chômage maintenu aux alentours de 3 %, ce qui nous hisse en pole position du classement européen.

D’autres données confirment que l’économie polonaise s’en sort vraiment bien. Près de 25 milliards d’euros d’exportations en mars 2021 sont un record polonais absolu. En mai, l’indice PMI a passé la barre de 57 points – un autre record historique. Quelques mois plus tôt, la Commission européenne a fait savoir que la Pologne faisait partie des quatre pays de l’UE dont la stabilité des finances publiques était assurée à court et à long terme. Dans une situation pareille, on ne peut commettre qu’une erreur : considérer que les choses vont dans la bonne direction et renoncer à l’action.

La crise comme opportunité.

.Une crise dont on ne tire pas de leçons tourne vite à la catastrophe. À l’inverse, une crise qui est correctement lue et comprise est non seulement une chance mais aussi un accélérateur de changements – telle est l’idée à la base du « Nouvel ordre polonais », si on devait la résumer en deux phrases.

Le malaise qui touche la planète est unique en ce sens qu’il est inutile de chercher des solutions dans les manuels. Que ce soit Hayek ou Lassalle, aucune théorie n’avait pas prévu une paralysie totale de l’activité économique et sociale presque partout dans le monde. Face à la crise de la Covid-19, nous devons donc agir comme ont agi face à ce même coronavirus les médecins : en l’absence de médicaments idoines, l’expérience nous enjoint d’agir sur les symptômes. Et l’histoire de nous apprendre qu’en temps de crise, c’est à l’État de se montrer présent et actif. Les crises se gèrent, elles ne doivent pas être laissées à elles seules.

En 1933, le président Roosevelt a annoncé le « New Deal », la réponse américaine à la Grande dépression, un programme de réformes visant une relance de l’économie et des exportations ainsi que d’imposants investissements publics – on a construit 120 000 bâtiments publics et 77 000 ponts. Dans la décennie suivante, les États-Unis se sont dotés d’un réseau d’autoroutes. Ce scénario est une inspiration pour la Pologne.

Qualité nouvelle.

.Englobant, certes, la reconstruction après la pandémie, les objectifs du « Nouvel ordre polonais » visent surtout le remodelage du système économique et social afin de le rendre plus résistant aux crises futurs, plus juste, capable de hisser la Pologne à un niveau supérieur de développement.

Le diagnostic des maux pandémiques devait commencer par un état des lieux de notre système de santé. Partout, y compris dans les pays les plus riches, la Covid-19 a conduit ce secteur au bord du gouffre. Sans la politique résolue de restrictions et de mise en place d’hôpitaux d’urgence, la situation de notre pays serait tournée, elle aussi, à une catastrophe épidémique. Son échelle et le chaos qu’elle aurait pu provoquer seraient difficilement imaginables, si, bien auparavant, nous n’avions pas entamé la numérisation du secteur. Durant les cinq dernières années, le financement du système de santé a dépassé 22 milliards d’euros, mais malgré cela, la qualité du service rendu reste toujours en décalage des attentes des Polonais. C’est un signal fort que le système de financement des soins médicaux a atteint ses limites. Il est temps d’en finir avec la philosophie de la réorganisation. Si on veut faire un bond qualitatif qui hissera la Pologne au niveau de l’Occident, nous devons accélérer sensiblement la cadence, en consacrant 7 % du PIB à la santé.

Paradoxe fiscal polonais.

.Jusqu’à présent, la Pologne a été le seul pays où une part de l’assurance-maladie était déductible des revenus imposables. Pour ceux qui gagnaient le plus, c’était donc la voie la plus courte vert l’optimisation fiscale. Bien que, nominalement, le système des impôts soit progressif en Pologne, il est devenu de fait régressif : les personnes aux bas revenus payent des impôts proportionnellement plus élevés que les personnes aux hauts revenus.

Le désordre fiscal polonais non seulement allait à l’encontre du sentiment de justice et constituait une entrave à la construction de la cohésion sociale, mais surtout favorisait l’accroissement des inégalités. Des études récentes montrent bien que la crise de l’année pandémique 2020 a creusé encore davantage ces disparités entre les plus riches et les plus pauvres.

Vers une Pologne réellement solidaire.

.« Le Nouvel ordre polonais » est la réponse à ces défis. Il puise dans l’esprit de la solidarité, une solidarité authentique, qu’il faut comprendre dans son acception la plus large. Il s’agit d’une solidarité dans sa dimension horizontale, d’une justice sociale qui nivelle les inégalités de revenus et qui soutient les plus pauvres. Ainsi, nous avons proposé que les revenus jusqu’à 30 000 zlotys (env. 6 670 euros) soient exempts d’impôts. C’est un seuil comparable à ceux en vigueur dans d’autres pays d’Europe. Mais le « Nouvel ordre polonais », c’est aussi la solidarité dans sa dimension verticale, qu’on peut qualifier d’intergénérationnelle. D’un côté, on se tourne vers le passé pour soutenir davantage les seniors (retraites exonérées d’impôts, retour aux valeurs sans lesquelles il est difficile de s’imaginer l’avenir de la société polonaise et de l’Europe dans son ensemble). De l’autre, il s’agit de nous donner des moyens afin de prendre un meilleur soin des générations futures, de poser des fondations d’un développement durable qui permettra à nos enfants de gagner plus et de travailler dans de meilleures conditions et – last but not least – de vivre dans un environnement où on pourra respirer l’air pur et pas seulement en lire comme de quelque chose de réglementé, disponible à quelques privilégiés.

.L’entame de la décennie 2020 est un moment crucial pour la Pologne. Nous nous trouvons au seuil des changements civilisationnels dont l’échelle dépassera tout ce que nous avons pu vivre jusque-là. L’histoire a fait que nous n’étions qu’observateurs des précédents changements. Là s’offre à nous l’opportunité d’être les plus importants acteurs de ces nouvelles transformations. Le scénario est prêt et nous ferons de notre mieux pour que le « Nouvel ordre polonais » ait la plus large acceptation possible. C’est dans l’union que se mesure le succès de toute stratégie de développement.

Mateusz Morawiecki

Texte co-publié avec le mensuel polonais „Wszystko Co Najważniejsze” dans le cadre d’un projet réalisé avec l’Institut de la mémoire nationale (IPN) et Narodowy Bank Polski (la banque centrale polonaise NBP).

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 25/06/2021