Prof. Ryszard BUGAJ: Un mouvement des valeurs simples

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Prof. Ryszard BUGAJ

Économiste, membre de l’opposition anticommuniste.

Un mouvement qui en appelait à l’idée de justice sociale ne pouvait pas continuer à cautionner des réformes reposant sur la doctrine néolibérale.

La première « Solidarité » a été, certes, un mouvement d’idées, mais un mouvement très dynamique et ancré dans des valeurs simples. Il reposait sur cette unique conviction : nous avons raison. Ce qui nous guidait, c’était les rêves d’un pays gouverné démocratiquement qui nous permettrait de vivre mieux. Nous savions que notre vision de la Pologne était la bonne, mais ce que nous ne savions pas, c’était que et comment faire pour la mettre en pratique. Et c’était d’ailleurs cette conviction d’avoir raison qui faisait adhérer à ce mouvement des millions de Polonais.

Sans le moindre doute, l’année 1980 a prouvé que les Polonais ont pour de bon cessé de croire que le communisme était un système leur permettant de vivre mieux. Encore 10 ans auparavant, il en était autrement. Quand – toujours sur la côte Baltique – un mouvement de protestation s’était érigé contre le pouvoir, le nouveau premier secrétaire du parti communiste Edward Gierek avait su touver un terrain d’entente avec le peuple. En gros, il lui avait promis, évidemment de manière informelle, que désormais le parti tacherait de bien gouverner.

Mais il n’a pas tenu sa promesse. C’est pourquoi, en 1980, le même type de contrat entre la population et le régime n’était plus envisageable. Nous étions conscients de la nécessité de créer notre propre organisation capable de mettre la pression sur les autorités. Et c’était de cette conscience qu’est née l’idée de « Solidarité ».

Pour ma part, presque depuis le début, il me semblait que notre lutte n’avait pas de grandes chances de succès. Je considérais notre génération comme perdue, une de plus, incapable en tout cas de corriger quoi que ce soit dans ce système qui nous avait été imposé. Je savais que nous aurions notre place dans l’histoire, mais j’étais tout sauf persuadé que nous pourrions imposer des changements réels dans le pays.

En 1980, en qualité de conseiller de « Solidarité », j’avais l’opportunité de suivre les débats de la Commission nationale de coordination où siégeaient ses plus importants activistes Lech Wałęsa et Andrzej Gwiazda et où Tadeusz Mazowiecki et Bronisław Geremek occupaient une place de rang. Avec de nombreux leaders de « Solidarité », j’avais tissé des relations d’amitié, je tutoyais presque tout le monde. Wałęsa, je l’ai connu en septembre et j’avoue que j’ai été sidéré. Ce qui sautait aux yeux c’était son invraisemblable mégalomanie. Mais du temps de la première « Solidarność », il avait mon soutien total, j’étais toujours de son côté.

Vers la moitié de 1981, la nervosité commençait à se faire sentir car notre action n’aboutissait à rien de concret. Nous manquions de vision. La loi martiale, interrompant le carnaval de « Solidarność », a « résolu » notre problème, tout en érigant le mythe du mouvement.

« Solidarité », en tant que syndicat légal, ne s’est reconstruite qu’en 1989, sans pour autant retrouver sa position d’avant : le nombre d’adhérants n’atteignait pas plus de 2,5 millions (donc un quart seulement des effectifs dans les années 1980-1981) et diminuait rapidement. Mais l’espoir de recréer un mouvement de masse était toujours très présent. Les premières législatives semi-libres du 4 juin 1989 marquaient pourtant une césure : un certain nombre de figures du mouvement – qui voulaient avant tout le renforcer et veiller à ce qu’il continue de contrôler le pouvoir de l’extérieur – étaient absents des listes électorales (Zbyszek Bujak, Władek Frasyniuk, Janek Rulewski).

Une fois les élections terminées, s’est ouverte une bataille autour de l’héritage de « Solidarité ». Les divergence étaient d’ailleurs inévitable. Avant, le ciment du mouvement était l’énnemi commun : le communisme. Quand il a disparu, il n’était plus possible de fédérer tout le monde sous la même bannière. D’un autre côté, on ne pouvait pas tout simplement dissoudre « Solidarité » ou la transformer en un nouveau syndicat sous un nouveau nom – n’oublions pas que sa légalisation avait été une des conditions négociées lors des débats de la Table ronde. D’ailleurs, en 1989, personne n’était en mesure de prévoir le destin, pas très beau, que « Solidarność » connaîtrait plus tard.

Ne pas avoir su préserver le mythe de « Solidarité » tenait aussi du contexte historique entourant les changements. Partout dans le monde dominait alors la doctrine néolibérale. C’était la raison pour laquelle la transformation polonaise a pris la tournure que nous connaissons. À l’époque, tous les changements étaient présentés comme favorables à la société. Or, les réformes néolibérales s’accompagnaient de douloureuses conséquences pour les travailleurs, et avant tout d’un chômage de masse. Et c’était l’une des raisons pour laquelle « Solidarność » a commencé de perdre si rapidement en importance.

Un mouvement qui en appelait à l’idée de justice sociale ne pouvait pas continuer à cautionner des réformes reposant sur la doctrine néolibérale. C’était une contradiction. Et c’était la raison pour laquelle la popularité du mouvement dans la population ne cessait de chuter. Les divergences quant à l’évolution du syndicat dans le contexte du capitalisme démocratique à l’œuvre en Pologne n’allaient que davantage se creuser.

Ryszard Bugaj

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 28/08/2020
Slawek Bieganski / Forum