Au début de son indépendance retrouvée en 1918, la Pologne n’a pas de frontières établies de façon définitive. Pour cela, elle doit se battre à l’ouest, au sud et à l’est. À l’est, elle est amenée à combattre aussi pour défendre la civilisation de l’Occident.
À l’époque, la Pologne n’est séparée de la Russie soviétique – sa voisine fraîchement née – par aucune frontière officielle et les deux parties tentent de s’approprier le maximum de territoires que les troupes allemandes en retraite laissent derrière elles. Comme les Allemands, dans de nombreux cas, manifestent une attitude ouvertement plus favorable aux Soviétiques, ce sont ces derniers qui héritent de plus de terres. Dans les mois qui suivent, les combats engagés dans ces confins est de la République de Pologne font pencher la balance tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, sans qu’aucun des belligérants n’arrive à s’imposer clairement. Et la guerre qui s’y déroule doit décider non seulement de l’avenir de la Pologne, mais aussi, comme il va s’avérer plus tard, de celui de l’Europe.
« Au-delà du cadavre de la Pologne blanche brille la voie de la conflagration mondiale », écrit Mikhaïl Toukhatchevski dans son ordre daté du 2 juillet 1920. À la pointe de ses baïonnettes et de ses sabres, l’Armée rouge doit porter la révolution plus loin – jusqu’en Allemagne et même jusqu’en Angleterre – en se défaisant du monde impérialiste. Pour cela, il faut d’abord raser de la surface de la terre la Pologne – « le chien tenu à la chaîne par la France et le dernier chien de l’Entente ». Conscient du regroupement des troupes soviétiques à l’est qui préparent l’attaque contre la Pologne, le maréchal Józef Piłsudski prend la seule décision possible : attaquer l’ennemi sur son terrain et le dompter. S’emparer de Kiev est l’apogée des capacités de l’armée polonaise renaissante. La contre-offensive soviétique, et surtout la charge de la tristement célèbre Konarmya de Semion Boudionny, force les Polonais à battre en retraite.
Dans les villes, les villages et les hameaux occupés, les Soviétiques instaurent petit à petit leur pouvoir. À Smolensk, ils créent un Comité révolutionnaire provisoire polonais (Polrewkom), composé de collabos, dont le but est de prendre le pouvoir administratif dans les territoires conquis, pour les soumettre par la suite au Kremlin.
En août 1920, les Soviétiques s’approchent de Varsovie et lancent un appel à sa population : « Prenez le pouvoir entre vos mains ! ». Ils ont un avantage colossal en hommes, en équipements et en force de frappe. Il semble que bientôt la capitale polonaise tombe et l’Armée rouge se déverse sur le reste de l’Europe. Dans son autosatisfaction, l’état-major soviétique ne perçoit pas une chose : la renaissance de l’armée polonaise que viennent renforcer en très grand nombre des volontaires, des femmes et des hommes, des vieux et des jeunes. Personne ne manque à ses devoirs envers la Patrie. Les pays sympathisant avec la Pologne lui fournissent généreusement de l’aide militaire, dont des avions, inexistants dans le camp adverse. L’action des communistes de certains pays européens n’est pas en mesure de stopper cette aide. Les armes, souvent très modernes, parviennent aux unités fraîchement mises sur pied et aux soldats réguliers en manque d’équipements.
Le 15 août, les rêves bolcheviques de la révolution portée en Occident s’effondrent. La contre-attaque polonaise, appelée « Miracle de la Vistule », surprend l’ennemi. Suivant précisément les plans de la campagne, l’armée polonaise, avec tous ces renforts, montre sa supériorité sur l’Armée rouge et suite à d’innombrables batailles et escarmouches, reprend les territoires perdus, poussant l’adversaire à signer l’armistice le 12 octobre.
En août 1920, sur la ligne de la Vistule, on a eu affaire à la confrontation de deux mondes et de deux civilisations que tout sépare. D’un côté, l’anarchie, l’extermination et le mépris de tout ce qui n’était pas bolchevique, de l’autre, la volonté de se battre pour l’indépendance d’un État qui était revenu sur les cartes de l’Europe après 123 années d’asservissement. La destruction et l’esclavage bolchevique contre l’amour polonais de la liberté.
L’exploit des Polonais a dépassé les espérances. En repoussant l’offensive de l’Armée rouge, ils ont transformé un désastre inévitable en une victoire glorieuse pour conquérir deux décennies de liberté et d’indépendance pour leur Patrie. Ayant conjuré le danger de la révolution en Europe, ils ont fait de l’étendard de Polrewkom une pièce de la collection du Musée de l’indépendance à Varsovie. Sous nos yeux, l’histoire a fait un tour complet. Le monde a vu que la Russie, dans ses ambitions impérialistes, n’avait pas changé. Espérons que cette marche anticivilisationnelle se terminera comme en 1920. Je souhaite aux Ukrainiens d’être aussi efficaces dans leur lutte que les Polonais l’ont été il y a cent ans.
Karol Nawrocki