Michał KŁOSOWSKI: Une troisième vague de solidarité

Une troisième vague de solidarité

Photo of Michał KŁOSOWSKI

Michał KŁOSOWSKI

vice-rédacteur en chef de « Wszystko Co Najważniejsze », chef du département des projets spéciaux à l’Institut des Nouveaux Médias.

Ryc.Fabien Clairefond

Autres textes disponibles

L’idée de la solidarité polonaise est l’espoir d’une organisation différente de notre partie du monde – en opposition à la soi-disant « paix russe » organisée de manière impériale et égoïste. Solidarité contre impérialisme.

Tout pays et toute nation a son ADN. Face au conflit en Ukraine, cela est clairement visible. Alors que la Russie, quel que soit le moment historique ou le système politique, les courants intellectuels ou le pouvoir sur place, se constitue par une idée impériale, la Pologne est créée par quelque chose de complètement différent : la subsidiarité et la solidarité, qui en ce moment refont surface. Les meilleurs exemples en sont l’ouverture aux Ukrainiens fuyant la guerre et le soutien que notre pays apporte à ceux qui luttent pour l’indépendance et la liberté.

Les chiffres sont éloquents : trois millions de réfugiés ont traversé les points de passage frontaliers entre la Pologne et l’Ukraine. La Pologne est devenue une plaque tournante de l’aide vis-à-vis de l’Ukraine : c’est par là qu’est acheminée l’aide humanitaire vers le pays voisin déchiré par la guerre. Tout cela parce que nous comprenons bien que les Ukrainiens fuient la brutalité des agresseurs russes et tout ce qu’elle apporte : morts, destructions, meurtres, viols… Les Polonais ont massivement ouvert leurs cœurs et leurs maisons, ont invité leurs voisins ukrainiens dans les écoles et les universités. C’est une nouvelle ouverture dans les relations entre nos nations, le début d’une nouvelle histoire de deux sociétés liées par le voisinage, même si jusqu’ici pas nécessairement comme nous le souhaiterions. L’agression de Vladimir Poutine a tout changé.

D’où vient ce changement ? Des leçons de notre propre histoire. À chaque stade de l’éducation, nous avons appris combien de fois dans notre histoire nous avions dû chercher refuge et aide auprès de nos voisins ou bien auprès des étrangers. Car l’histoire polonaise des deux cents dernières années est une lutte constante pour la liberté et l’indépendance, le droit à l’autodétermination et à rester séparés des puissances qui nous entourent – exactement ce pour quoi les Ukrainiens se battent aujourd’hui : pour des valeurs foncièrement humaines.

Nous avons été accueillis par la France lors de la Grande Émigration (première moitié du XIXe s.), par la Grande-Bretagne, la Perse ou encore par la lointaine Inde. Face à la menace qui pesait sur nos vies, nous pouvions compter sur des amis partout dans le monde. Aujourd’hui, ce sont les Ukrainiens qui nous en remercient.

Les Polonais ont accueilli tous ces nécessiteux le cœur ouvert : ils publient des informations sur le nombre de personnes qu’ils sont capables de loger et de nourrir, se rendent à la frontière et à Lviv en Ukraine, organisent des convois humanitaires. Ils s’engagent au sacrifice de leur santé et leur vie. Les Ukrainiens sont transportés gratuitement de la frontière vers l’intérieur du pays par des gens ordinaires et les chemins de fer offrent à tout réfugié ukrainien des billets gratuits. La capitale polonaise, Varsovie, offre un refuge sûr à tous ceux qui en ont besoin, de sorte que sa population a augmenté de près d’un cinquième en l’espace de deux mois. Le gouvernement polonais a mis à la disposition des Ukrainiens tout ce dont peuvent bénéficier les citoyens polonais : allocation 500+ pour les enfants, soutien médical, assistance sociale et éducation. C’est un nouveau départ, une troisième vague de solidarité qui secoue maintenant la Pologne. La première était celle du syndicat éponyme « Solidarité », un mouvement social de masse qui a étonné le monde entier ; la seconde a été un grand élan nationale à la mort de Jean-Paul II lorsque nous nous sommes tous promis la concorde et la paix, et que pendant plusieurs semaines la Pologne a été embrassée par un consensus au-delà des origines des uns et des autres. La troisième vague a émergé en ce moment, alors que nous divisons en deux le succès de notre transformation polonaise au cours des trente dernières années ; nous partageons tout ce dont nous disposons avec les Ukrainiens.

Les réfugiés ukrainiens sont logés principalement chez des particuliers. Cela fait plusieurs millions de personnes. Quelqu’un pourrait rétorquer : ils ont été accueillis par la diaspora ukrainienne, installée en Pologne depuis 2014, par l’Église et d’autres organisations du tiers secteur. C’est vrai. Et parce qu’il y a encore des institutions fortes en Pologne, comme l’Église, qui se contente d’aider sans flash ni publicité inutile, il n’a pas été nécessaire de construire des centres de réfugiés. Parce que l’Église, c’est avant tout des gens. Les réfugiés ont pu voir ce que c’est la proverbiale hospitalité polonaise (« Un invité dans la maison, Dieu dans la maison »). Ils trouvent refuge dans les maisons des Polonais, mais aussi dans les résidences universitaires et les hôtels, où l’État prend en charge les frais d’hébergement et de repas et où le service bénévole est généralement assuré par de jeunes Polonais pour lesquels cela reste une expérience générationnelle.

L’idée de la solidarité polonaise est l’espoir d’une organisation différente de notre partie du monde – en opposition à la soi-disant « paix russe » organisée de manière impériale et égoïste. Solidarité contre impérialisme.

Nous devons faire tout notre possible pour prendre soin des personnes qui fuient l’Ukraine. Cela découle directement de l’idée de la communauté polonaise : solidarité et subsidiarité, qui nous accompagnent depuis des décennies. Si, après l’euphorie initiale, nous laissons triompher nos vices nationaux, nous manquerons la grande opportunité qui s’offre à nous aujourd’hui. Liberté, démocratie et solidarité ne sont pas de vains slogans pour les Polonais et les Ukrainiens. Quant aux autres pays qui se sont libérés de la « tyrannie rouge », ils sont d’une importance cruciale.

Michał Kłosowski

28/04/2022