Si nous voulons vraiment parler de valeurs démocratiques aujourd’hui, il est temps de procéder à un grand examen de conscience européen
La guerre en Ukraine a fait apparaître la vérité sur la Russie. Ceux qui ne voulaient pas voir que l’État de Poutine avait des tendances impérialistes doivent aujourd’hui se rendre à l’évidence : en Russie, les démons des XIXe et XXe siècles ont été ravivés : le nationalisme, le colonialisme et un totalitarisme de plus en plus visible. Mais la guerre en Ukraine a également révélé la vérité sur l’Europe. De nombreux dirigeants européens ont été séduits par Vladimir Poutine et vivent aujourd’hui un choc.
Le retour de l’impérialisme russe ne devrait pas nous surprendre. L’Europe s’est retrouvée dans la situation présente non pas parce qu’elle était insuffisamment intégrée, mais parce qu’elle a refusé d’écouter la voix de la vérité. Cette voix se faisait entendre de Pologne depuis de nombreuses années.
Cette ignorance de la voix polonaise est une illustration du problème plus large auquel l’UE est confrontée aujourd’hui. En son sein, l’égalité des États individuels est de nature déclarative. La pratique politique montre que les voix allemandes et françaises ont une importance prépondérante. Nous avons donc affaire à une démocratie formelle et à une oligarchie de fait dans laquelle le pouvoir est détenu par les plus forts.
Le mécanisme de sécurité qui protège l’UE de la tyrannie de la majorité est le principe de l’unanimité. Il peut être frustrant de chercher un compromis entre 27 pays qui ont si souvent des intérêts contradictoires, et le compromis lui-même peut ne pas satisfaire tout le monde à 100 %. Toutefois, cela permet de s’assurer que chaque voix est entendue et que la solution adoptée répond aux attentes minimales de chaque État membre.
Si quelqu’un suggère de rendre l’UE encore plus dépendante des décisions allemandes qu’auparavant – ce qui reviendrait à abolir la règle de l’unanimité – il suffit de faire une brève analyse rétrospective des décisions allemandes. Si, ces dernières années, l’Europe avait toujours agi comme le voulait l’Allemagne, notre situation serait-elle meilleure ou pire aujourd’hui ?
Si toute l’Europe avait suivi le vote allemand, non seulement Nord Stream 1, mais aussi Nord Stream 2 auraient été lancés depuis de nombreux mois. La dépendance de l’Europe au gaz russe, qui sert aujourd’hui à Poutine d’outil de chantage contre tout le continent, serait presque irréversible.
Si toute l’Europe avait fourni des armes à l’Ukraine à la même échelle et au même rythme que l’Allemagne, la guerre aurait pris fin depuis longtemps. Et cela aurait été une victoire absolue pour la Russie. Quant à l’Europe, elle se serait trouvée à la veille d’une autre guerre. Dans la mesure où la Russie, encouragée par la faiblesse de ses adversaires, aurait continué à avancer.
Aujourd’hui, toute voix occidentale visant à limiter les livraisons d’armes à l’Ukraine, à alléger les sanctions, à amener les “deux parties” (c’est-à-dire l’agresseur et la victime) au dialogue – est un signe de faiblesse aux yeux de Poutine. Et pourtant, l’Europe est beaucoup plus forte que la Russie.
Si nous voulons vraiment parler de valeurs démocratiques aujourd’hui, il est temps de procéder à un grand examen de conscience européen. Pendant trop longtemps, la valeur la plus importante pour de nombreux pays a été le prix peu élevé du gaz russe. Nous savons néanmoins que celui-ci a pu être réduit dans la mesure où le prix réel du sang, versé aujourd’hui par l’Ukraine, n’y était pas ajouté.
La victoire sur l’impérialisme en Europe est également un défi pour l’Union européenne elle-même. L’UE a de plus en plus de mal à respecter la liberté et l’égalité de tous les États membres. De plus en plus, nous entendons dire que ce n’est plus l’unanimité mais la majorité qui doit décider de l’avenir de l’ensemble de la Communauté. L’abandon du principe de l’unanimité dans davantage de domaines de compétence de l’UE nous rapproche d’un modèle où les plus forts et les plus grands dominent les plus faibles et les plus petits.
Je lance donc un appel à tous les dirigeants européens afin qu’ils aient le courage de mener une réflexion adaptée à l’époque dans laquelle nous vivons. Nous nous trouvons dans un moment historique. La Russie impériale peut être vaincue – grâce à l’Ukraine et au soutien que nous lui apportons. La victoire dans cette guerre ne dépend que de notre constance et de notre détermination.
La situation actuelle nous oblige à réfléchir dans un cadre totalement nouveau. Nous devons avoir le courage d’admettre que l’UE n’a pas été à la hauteur face à la crise de la Covid et face à la guerre. Le problème, toutefois, n’est pas que nous avançons trop lentement sur la voie de l’intégration et que nous devrions accélérer ce processus de manière exponentielle. Le problème est que cette voie est elle-même erronée. Parfois, au lieu de faire deux pas en avant, il vaut mieux faire un pas en arrière et regarder les choses sous un certain angle. La perspective d’un retour aux principes qui organisent la communauté européenne à partir de zéro semble la plus sûre Il ne s’agit pas de saper les fondements de l’UE, mais bien de les renforcer, plutôt que de les transgresser. L’Europe a besoin d’espoir comme jamais auparavant. Et elle ne peut trouver cet espoir que dans un retour aux principes et non dans le renforcement de la superstructure institutionnelle.
Mateusz MORAWIECKI