«Solidarité» est notre ADN
Nous l’avons connue à travers des récits familiaux et des histoires hautement politisées. À travers aussi nos propres tentatives de comprendre ce qu’elle était, pourquoi nos parents y avaient adhéré et quelles étaient leurs réticences.
Nous avons vu tant de fois à la télé des foules tout en couleurs manifestant dans les rues pour exiger des changements, exiger la dignité. Nous connaissons par cœur les revendications des grévistes et nous savons le prix que d’aucuns avaient dû payer, tel le père Jerzy Popiełuszko, martyrisé par des bourreaux communistes. Nous savons aussi les différends dans le camp de « Solidarité ». Et enfin, nous connaissons la Pologne d’aujourd’hui bâtie sur ses idéaux.
« Solidarité » n’est pas que de l’histoire. Elle semble méconnue, ancienne, et pourtant elle est toujours là, toujours à découvrir et à faire sienne. Car la révolution de la dignité, tirant ses origines dans ce mois d’août 1980, lorsque 10 millions de Polonais avaient exprimé leur rejet d’un monde du mépris et de la soumission, se poursuit bel et bien.
Elle est aussi un mythe. Le récit d’une revendication à laquelle nous aspirons toujours. Quand nous protestons aujourd’hui, nous faisons référence aux contestataires issus de la NZS – Association indépendante des étudiants, la petite sœur de « Solidarité » et la plus grande organisation estudiantine en Pologne. Quand nous débattons, c’est selon le modèle de dialogue à l’œuvre dans les années 1970 et 1980 dans la revue « Kultura » et chez Radio Free Europe où intellectuels et dissidents polonais mettaient les fondations d’une Pologne libre, celle qui allait venir après la parenthèse communiste.
« Solidarité » est aussi le dernier bastion des grandes figures d’autorité dont nous manquons de plus en plus. Elle avait son représentant dans presque chaque maison, en renforçant ainsi, de génération en génération, le sentiment de fierté. Fierté de voir ces mères qui, de nuit, enregistraient des émissions de Radio Free Europe pour pouvoir, le lendemain, faire écouter en classe des tubes des Beatles ou autre Gainsbourg (comme la sublimissime « Je t’aime, moi non plus »), faisant fi des regards haineux du proviseur communiste et des menaces de licenciement. Fierté de voir ces mères manifester dans les rues et lutter au nom d’un meilleur avenir pour leurs enfants. Fierté aussi de voir ces pères construire humblement et durant des décennies leur Pologne… Le mot d’ordre de leur action contre les injustices ne pouvait être autre que « solidarité ». Et c’est pourquoi, aujourd’hui, quand nous voyons les souffrances des Libanais, les nécessiteux en Algérie, les manifestants pour la liberté en Biélorussie, nous savons que la raison est de leur côté. En remplissant le mot « solidarité » de sens, nous cultivons une aide désintéressée. C’est dans nos gènes.
Nous avons étudié à l’étranger, visité la moitié du monde. Mais nous restons en Pologne. Pourquoi ? Parce que c’est une histoire toujours à découvrir ? Parce qu’on y retrouve ce mélange de modernité et des meilleures traditions du parlementarisme et de la liberté ? Parce qu’on peut y façonner notre présent et notre futur à notre propre manière ? Ou est-ce par obligation de cultiver ce qu’on nous a appris ? Par respect pour ceux qui ont sacrifié leur santé ou leur vie pour cette Pologne qui est notre réalité aujourd’hui ?
« Solidarité » est en fait un devoir qui a besoin, même 40 ans plus tard, de son deuxième volet.
Mateusz Krawczyk, Michał Kłosowski