Michał KŁOSOWSKI : Ville du pardon. Wrocław comme espace de dialogue et de réconciliation, pas seulement religieuse

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Michał KŁOSOWSKI

Rédacteur en chef adjoint de Wszystko co Najważniejsze, chef du département des projets internationaux de l'Institut des nouveaux médias, publie dans la presse polonaise et étrangère. Auteur d'émissions de radio et de télévision. Boursier du Département d'État américain et de l'Angelicum de Rome. Diplômé de l'Université Jagellonne, l'Université pontificale Jean-Paul II de Cracovie et London University of Arts.

Ryc.Fabien Clairefond

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Il y a peu d’endroits en Pologne où l’histoire exige avec autant d’intensité le souvenir et, en même temps, demande avec autant de fermeté la réconciliation. Wrocław, un carrefour des cultures, des religions et des nations, a appris au fil des décennies à reconstruire des décombres non pas les murs mais l’homme. Même s’il vit dans l’ombre du passé – écrit Michał KŁOSOWSKI

.Qu’est-ce exactement cette réconciliation, tonton ? C’est la question que m’a posée récemment mon filleul, âgé de presque dix ans. Comment lui expliquer pour qu’il comprenne qu’il ne s’agit pas d’un simple « je suis désolé » d’un côté, accompagné d’une demande de pardon, mais aussi d’une posture ouverte, mais droite, de l’autre ; c’est appeler les choses par leur nom, énumérer les péchés jusqu’à la lie et les brûler à blanc. Une telle réconciliation fait mal, même s’il n’y a que celle-ci qui conduit finalement au pardon. Mais c’est peut-être que toutes les douleurs ne sont pas mauvaises ?

Surtout, la réconciliation n’est pas un slogan tiré d’un livre de catéchisme ni un geste politique pompeux. Il s’agit donc d’un processus qui peut être divisé en étapes spécifiques. Une décision quotidienne de se souvenir, car il est impossible d’oublier, mais pas de se venger. De reconnaître la douleur, protéger la blessure, mais ne pas la transmettre ; ne pas laisser la gangrène se développer. Et en ce sens, Wrocław est une ville qui comprend la réconciliation peut-être comme aucune autre en Pologne.

Ville à strates multiples

.L’histoire spirituelle de Wrocław ne débute pas en 1945. Des siècles durant, cette ville fut un creuset de pensées religieuses, philosophiques et artistiques allemandes, tchèques et polonaises. Après tout, avant la guerre, Breslau était l’un des centres les plus importants de la culture allemande, le lieu de naissance et d’activité de personnalités telles qu’Edith Stein, philosophe convertie du judaïsme, carmélite déchaussée, assassinée à Auschwitz et aujourd’hui sainte de l’Église catholique et patronne de l’Europe.

Sa vie est un peu comme la biographie de la ville elle-même. Pleine de tensions entre les identités, dramatique, mais tendant finalement vers la transcendance. En mouvement grâce aux choix qu’elle a faits. Élève de Husserl et compagnon de pensée de Heidegger, a laissé derrière lui non seulement des œuvres philosophiques mais aussi un testament spirituel dans lequel la raison et la foi se rencontrent non pas sur les barricades, mais dans la prière et la souffrance. En se souvenant d’elle, Wrocław se souvient que la sainteté peut être un pont, pas un mur. Et ce n’est que le début.

Après la guerre, Breslau est devenu Wrocław. La population allemande fut déplacée et des rapatriés des confins orientaux, des Polonais de Lviv, de Vilnius et de Stanisławów sont arrivés dans la ville. Ils entendaient souvent de leurs hôtes allemands qu’ils ne venaient que pour « quelque temps ». Et ils ont apporté avec eux non seulement leurs valises, mais aussi leurs blessures, leur langue, leurs traditions et leur foi. Wrocław allait devenir le « nouveau Lviv », mais l’esprit du lieu résistait aux étiquettes faciles. Les églises évangéliques d’avant-guerre étaient remplies de liturgies latines, sans toutefois perdre leur histoire ; l’architecture de la ville, telle une plaie qui pèle, a fait sentir sa présence bien après la guerre.

Mais c’est là, à l’ombre de ces processus compliqués, que l’idée de réconciliation a mûri. Wrocław, au lieu d’être un espace d’oubli, est devenue une arène de rencontre – parfois difficile, parfois douloureuse, mais néanmoins possible – d’une rencontre avec la douleur, la souffrance, l’histoire ; et enfin, d’une rencontre entre des populations que la guerre était théoriquement censée diviser à jamais.

Heureusement, cela ne fut pas le cas.

« Nous pardonnons et demandons pardon »

.En 1965, c’est depuis Wrocław que s’est élevée l’une des voix les plus importantes de l’Église polonaise du XXe siècle : Bolesław Kominek, alors archevêque de Wrocław, fut le principal auteur de la Lettre des évêques polonais aux évêques allemands, dans laquelle on lit ces paroles devenues célèbres : « Nous pardonnons et demandons pardon ». La lettre a provoqué un tollé : les autorités de la République populaire de Pologne ont réagi avec fureur, de nombreux Polonais avaient encore des souvenirs frais des crimes allemands et, dans la propagande l’Allemagne était un ennemi éternel. Mais l’Église savait que la réconciliation devait précéder la politique ; que c’est la seule façon d’éviter de commettre les erreurs du passé. Et ainsi fut créée cette lettre qui, outre la célèbre phrase, contient également la dénomination et l’énumération des péchés, des blessures et des fautes. Car sans appeler les choses par leur nom, on ne peut pas parler de réconciliation, et encore moins de pardon.

Soixante ans plus tard, ces mots sonnent comme un manifeste spirituel. Une ville qui s’est relevée des ruines, tout en rejetant le mépris. Qui a accueilli les étrangers comme les siens. Qui a transformé une histoire étrangère en une mémoire commune. Et qui, une fois de plus, s’ouvre à d’autres qui ont besoin d’aide, rédigeant ainsi de nouvelles pages de son histoire, ne serait-ce que grâce à l’accueil de migrants ukrainiens.

La ville d’aujourd’hui ne se coupe pas du passé, mais le cultive d’une manière nouvelle. Il y existe de fortes communautés œcuméniques, juives, orthodoxes et gréco-catholiques. On peut assister à un service dans une église orthodoxe, à un concert dans une église luthérienne, à une conférence dans un centre culturel juif et à une méditation chez les Dominicains. Ce n’est pas parce la mode du pluralisme l’impose, c’est quelque chose de plus profond : c’est la coexistence spirituelle de la multitude de traditions. Comme si les rapatriés des confins orientaux avaient réussi à apporter ici ce qui était le plus important : l’esprit de cette Pologne, construite non seulement par les Polonais, mais par tous ceux qui ont choisi la République de Pologne comme leur place dans le monde.

Wrocław devient non pas tant une ville d’un centre religieux, mais plutôt de confiance religieuse. Elle ne crée pas de doctrines, mais des relations ; c’est la philosophie du dialogue transposée à l’échelle de la ville.

L’avenir de la réconciliation

.À une époque de tensions croissantes, de slogans faciles et de forte polarisation, Wrocław peut constituer une leçon tant pour la Pologne, que pour le monde. Ses habitants, ceux qui en créent le tissu, montrent que la réconciliation ne signifie pas renoncer à la vérité. Elle signifie la chercher ensemble, même si cela fait mal, même si c’est pénible. Elle ne signifie pas de passer les torts sous silence. Elle est la décision de décider de ne pas répondre au mal par le mal, mais d’essayer de rejeter les vieux schémas et les vieilles armes. Pour réessayer.

Dans ce processus, la religion n’est pas seulement un arrière-plan : elle représente une force qui, une fois mature, peut être un instrument de guérison. Et Wrocław, la ville d’Edith Stein et de Bolesław Kominek, en est la preuve. La ville pardonnée et qui pardonne.

Michał Kłosowski

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 29/04/2025