Jolanta PAWNIK : Comment Wrocław a reconstruit Varsovie, Nowa Huta et d’autres villes polonaises

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Jolanta PAWNIK

Journaliste, conférencière et conseillère média. Passionnée de nouveaux médias. Une Cracovienne amoureuse de Sandomierz, sa ville natale. Auteure des livres Saga rodu Moszczeńskich (Saga de la famille Moszczeński) et Sandomierska piłka ręczna (Le handball à Sandomierz).

Le slogan de propagande « La nation tout entière reconstruit sa capitale » avait une signification particulière à Wrocław devenue en 1949–1954 un entrepôt grandeur nature de briques utilisées pour reconstruire d’autres villes polonaises détruites pendant la guerre. De nombreux immeubles varsoviens, la partie la plus ancienne de Nowa Huta et d’innombrables autres endroits ont été reconstruits avec des briques provenant de Wrocław. Tout cela dans le cadre de campagnes d’action citoyenne qui s’inscrivaient parfaitement dans le récit des autorités communistes sur l’avenir incertain des « Territoires récupérés ».

.Au sortir de la guerre, la conviction régnait que les frontières obtenues à la suite du conflit n’étaient que temporaires et qu’un nouveau conflit armé était inévitable. Dans ce climat, il n’était pas difficile de traiter avec dédain les biens laissés par la population allemande. Avec dédain et espoir de profit non seulement pour les pillards, mais aussi pour les décideurs communistes. C’est pourquoi, en toute légitimité, on « sécurisait les biens post-allemands », ce qui était considéré comme une « justice historique » et une sorte de compensation pour les destructions causées par les Allemands. La récupération des briques s’inscrivait parfaitement aussi dans le récit communiste selon lequel le cœur du pays, sa capitale, se reconstruisait grâce aux forces conjointes de la nation socialiste, tout en réduisant les coûts de cette reconstruction et en accélérant le déblayage des ruines.

La ville de Wrocław fut particulièrement touchée : ses quartiers nord et ouest furent détruits à 90%, et les quartiers sud et est à 10–30%. Pendant des années, elle fut traitée comme un entrepôt de matériaux de construction pour servir d’autres villes polonaises détruites, à tel point qu’il fut impossible, pendant les deux décennies suivantes, de lui redonner son aspect d’antan, et les efforts visant à améliorer les conditions de vie des nouveaux résidents se sont avérés infructueux. Dans les années 1960, il y avait toujours des endroits couverts de décombres et les terrains vides entre les immeubles de la vieille ville ne faisaient que rappeler la gloire passée des lieux.

Dans les années 1950, pour mener efficacement l’action de récupération de briques, la propagande communiste s’est servie de la population locale. « Chaque habitant de Wrocław donne 50 briques pour Varsovie », « Nous aidons à reconstruire la capitale » – ces slogans et d’autres encore encourageaient les gens à se joindre à ces actions destructrices. Des concours ont même été organisés pour récompenser ceux qui livraient le plus de briques aux centres de collecte avec comme prix des promesses de voyages dans la capitale reconstruite.

Comme il en résulte des arrêtés et des agendas fixés par les autorités communistes, à la suite des actions de démolition menées dans les années 1949–1954, non seulement les bâtiments gravement endommagés furent démolis, mais aussi ceux qui pouvaient être réparés avec peu d’efforts et d’investissement. Wrocław a irrémédiablement perdu de nombreux bâtiments historiques privés et publics, par exemple le bâtiment art nouveau de la Poste centrale.

L’opération de récupération de briques fut coordonnée par la Société municipale de démolition créée à cet effet. Pour améliorer leur transport, une ligne de chemin de fer fut posée pour permettre de joindre la vieille ville ; elle passait par l’actuelle place Dominikański, la rue des Victimes d’Auschwitz, la place de la Liberté et le remblai jouxtant les douves. Le matériau obtenu fut ensuite transporté vers des chantiers de construction dans différentes régions du pays. Conformément à un ordre de route préétabli, mais aussi sur la base d’arrangements privés sanctionnés par des pots-de-vin.

Bien qu’on affirme officiellement que toutes les briques de Wrocław étaient destinées à la capitale, en réalité, il ne s’agissait que d’une partie des matériaux collectés. De nombreux wagons remplis de briques sont partis pour Cracovie pour être livrés aux constructeurs des premiers lotissements de Nowa Huta, ainsi que vers d’autres villes du pays, notamment à Łódź et à Katowice. D’autres éléments d’infrastructure, des équipements sanitaires, des machines de production, même des tramways et des machines d’impression furent tout aussi bien concernés.

.Cette folie des démolitions a touché d’autres villes de Basse-Silésie, notamment Legnica, Świdnica et Brzeg, mais aussi la Poméranie occidentale. À Szczecin, le bâtiment du théâtre avec une scène tournante unique en Europe fut détruit, ainsi que la Porte du port, vieille de plus de trois cents ans.

Jolanta Pawnik

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