La science est vouée aux affaires
Investir dans la recherche et l’innovation devient un élément important des stratégies de développement des entrepreneurs polonais – écrit Piotr DARDZIŃSKI
Quand j’ai dit à l’un des professeurs amis que j’écrivais un texte intitulé « La science est vouée aux affaires », il était légèrement contrarié et m’a affirmé que ça ne lui plaît pas. Un peu surpris, je lui ai demandé ce qui exactement ne lui plaisait pas. Le mot « vouée », a-t-il répondu. De manière quelque peu provocante, j’ai continué à l’interroger pour savoir s’il émettrait les mêmes réserves au cas où j’écrivais « la science est vouée au succès. » « Ce serait bien », ai-je entendu en réponse. Ce qu’il n’a pas aimé, c’est en fait le mot « affaires ».
Bien que la plupart des Polonais aient abandonné le stéréotype, populaire au début des années 1990, selon lequel un homme d’affaires équivaut à un parvenu et qu’ils aient depuis compris l’importance des entreprises, non seulement grandes, mais aussi petites et moyennes, la communauté scientifique garde toujours ses distances vis-à-vis des PME. En même temps, nous réalisons tous que, aujourd’hui, il est impossible de bâtir une forte économie et une prospérité sans recourir à la science. En outre, il est de plus en plus évident que les projets de recherche de pointe ne peuvent être mis en œuvre sans une coopération avec les entreprises aux besoins desquelles ces projets sont censés répondre.
Ma thèse est que science – si elle se veut ambitieuse – a besoin de l’économie.
C’est pourquoi la science est vouée aux affaires. Cette relation indissociable est d’ailleurs l’un des meilleurs moyens de la réussite pour les deux parties. Je suis heureux que malgré l’opinion répandue, et à mon avis fausse, que les scientifiques et les entrepreneurs habitent deux mondes et parlent deux langues différentes, il y ait de plus en plus d’exemples de personnes, d’institutions et de milieux qui combinent la science et l’économie avec beaucoup de succès. C’est aussi possible car le paysage de l’innovation est en train de changer de manière dynamique en Pologne.
Lorsque nous avons travaillé intensément sur le Livre blanc de l’innovation en 2016, les consultations avec des entrepreneurs, des investisseurs et des scientifiques ont débouché sur des propositions législatives qui ont été incluses dans la première loi sur l’innovation, élaborée en coopération avec le ministère de l’Entreprise et de la Technologie (le ministère du Développement à l’époque) et le ministère des Finances. La principale de ces propositions, entrée en vigueur le 1 janvier 2017, augmentait le crédit d’impôt à la recherche et le développement de 30 à 50%.
La solution méritait un traitement accélérée car, selon les données des bureaux des contributions, 528 contribuables, particuliers et sociétés, ont bénéficié de l’exonération fiscale à la R&D en 2016, alors qu’un an plus tard le chiffre a presque doublé à 1 090. Le montant des dépenses déclarées en 2017 a atteint 1,91 milliard de zlotys, contre 1,2 milliard de zlotys en 2016, et le total des déductions s’est élevé à 584 millions de zlotys, soit trois fois plus que l’année précédente. L’annonce que la deuxième loi sur l’innovation portera les déductions à 100%, et pour les entreprises ayant le statut de centres de recherche et de développement – jusqu’à 150%, était peut-être une incitation supplémentaire à bénéficier du plan des aides fiscales.
L’adoption rapide des deux projets de loi appuyant les activités de R&D a eu une influence positive sur le sentiment des entrepreneurs.
Selon un rapport publié en juillet 2018 par KPMG, au cours de 2017, 14% des entreprises effectuant de la recherche et développement ont bénéficié du crédit d’impôt (lequel a en fait incité plus d’un tiers d’entre elles à commencer la recherche et développement), 31% ont l’intention de l’applique dans leurs déclarations de revenus de 2018, et 64% prévoient d’augmenter leurs dépenses de R&D au cours des trois prochaines années. Les dépenses de R&D dans le secteur des entreprises connaissent une progression plus rapidement qu’en termes globaux. Par exemple, pour les années 2014-2016, ledit taux a atteint 56% et 11% respectivement. L’investissement dans la recherche et l’innovation n’est plus une activité épisodique pour les entreprises polonaises, mais un élément bien important de leurs stratégies de développement.
Il est gratifiant de constater l’intérêt croissant des entreprises polonaises pour Horizon 2020. Ce programme européen a notamment permis de cofinancer 346 projets réalisés par des entreprises domestiques pour un total de 89,9 millions d’euros. Mais surtout, les entreprises polonaises ne cèdent plus aux bénéficiaires traditionnels des programmes-cadres de l’UE, à savoir les universités et les instituts, en termes de nombre de projets cofinancés dans le cadre d’Horizon 2020. Les entreprises polonaises, y compris les PME, ne craignent plus la coordination financière des projets complexes. La société SDS Optic de Lublin en est un exemple imminent : elle a obtenu une subvention de 4 millions d’euros.
La démocratisation de l’accès au financement de la R&D est en cours.
Certains changements apportés aux programmes mis en œuvre par le Centre national de Recherche et Développement (NCBiR), une agence polonaise supervisée par le ministre des Sciences et de l’Enseignement supérieur, ont ouvert la porte de ce qui était auparavant un club exclusif et élargi les critères d’éligibilité des entrepreneurs qui peuvent solliciter l’aide publique à la recherche et du développement. Aujourd’hui, tout le monde est éligible, et pas seulement ceux qui disposent de grands capitaux. Les entrepreneurs préfèrent le Fast Track. Il s’agit d’un programme démocratisant l’accès aux innovations, accessible à tous les entrepreneurs – start-ups, PME, entreprises – quelle que soit leur forme juridique et la durée de leur présence sur le marché. Grâce aux formalités réduites au minimum, les entrepreneurs peuvent mieux gérer la préparation de leurs demandes. Dans l’édition de cette année du Fast Track, plus de 500 projets innovants sont entrés en lice pour obtenir des subventions, la grande majorité (399 demandes pour un total de près de 2,5 milliards de zlotys) provenant des PME. À la fin de 2018, près de 1,5 milliard de zlotys seront repartis parmi les entrepreneurs visés par le Fast Track.
La mise en œuvre des projets ambitieux nécessite un personnel bien formé et préparé. Le 1er octobre 2018 a marqué l’entrée en vigueur de la Constitution pour la Science, une réforme en profondeur des universités polonaises. En répondant aux besoins des entrepreneurs, elle prolonge les stages obligatoires pour les étudiants de 3 à 6 mois et ouvre la voie à l’élaboration des programmes d’études en coopération avec les entrepreneurs. La coopération avec les industries, notamment dans le cadre de la troisième mission des universités, aura également un impact sur les unités scientifiques.
Le programme de doctorat industriel, lancé il y a deux ans, est particulièrement important pour le développement des ressources humaines dans les domaines de la science et de l’économie. Il permet aux entreprises de recruter et de rémunérer équitablement les jeunes scientifiques effectuant, sous la supervision de leurs directeurs de thèse, des recherches commandées par leurs employeurs. Dans la première édition, nous avons sous-estimé le potentiel des entrepreneurs polonais : nous n’avons prévu recruter que 60 doctorants, alors qu’il y avait plus de 380 inscriptions. L’édition de cette année, toujours ouverte, a déjà vu s’enregistrer plus de 650 candidats pour 500 places. Force est de dire que la plupart d’entre eux travaillent dans des petites et moyennes entreprises.
.Il y a encore beaucoup à faire en Pologne, notamment en ce qui concerne le financement de la R&D. Cependant, on peut déjà constater que la coopération bien planifiée entre scientifiques et entrepreneurs suscite un vif intérêt de part et d’autre, et d’ailleurs pas seulement eux, mais tout le monde en bénéficie. La science est vouée aux affaires.
Piotr Dardziński