Prof. Maciej CHOROWSKI: Comment l'économie polonaise peut-elle mettre à profit les nouvelles technologies ?

Comment l'économie polonaise peut-elle mettre à profit les nouvelles technologies ?

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Prof. Maciej CHOROWSKI

Professeur en sciences techniques, directeur du Centre national de Recherche et de Développement, ancien doyen du département Mécanique-Énergétique de la Polytechnique de Wrocław. A collaboré avec le CERN, a été mandaté par le Ministère de la Science et de l’Éducation supérieure auprès du CERN pour des questions concernant l’infrastructure de recherche. Entre 2002-2011 président du Parc technologique de Wrocław. Membre du Conseil national de Développement auprès du Président de la République.

Ryc.Fabien Clairefond

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La chance de la Pologne est de savoir conjuguer les nouvelles technologies avec les secteurs industriels traditionnels – écrit le professeur Maciej CHOROWSKI

.Le développement des nouvelles technologies et produits qui connaissent une utilisation de masse est entré en phase de courbe exponentielle. Sont concernés entre autres les smartphones, les systèmes de communication, de stockage et de traitement de données, les réseaux sociaux, les cellules photovoltaïques, les stocks d’énergie. Suivront bientôt les véhicules autonomes, les drones ou même les villes intelligentes (appelées smart cities). Cela veut-il dire que nous sommes inévitablement condamnés au succès ? Suffirait-il donc de „décréter” l’innovation, d’introduire dans l’espace public les notions propres à stimuler l’attitude pro-innovations, de donner accès à un certain nombre de fonds VC et d’inciter les gens talentueux et entrepreneurs à fonder des start-up pour que le nouveau monde, extraordinaire, celui de l’industrie 4.0 vienne tout seul ? Ce qui est inarrêtable, c’est la consommation de masse de services basés sur le transfert d’informations. Mais la seule consommation des technologies les plus récentes, bien qu’ayant tous les traits de la modernité, ne se traduit pas automatiquement par la force de l’économie et son attractivité.

La Pologne saisira sa chance quand les investissements dans les start-up et les programmes de recherche et de développement seront mis à l’échelle leur permettant, en cas de succès, d’avoir une réelle chance d’être commercialisés. La situation idéale est quand la demande de capitaux mesurée par les dépenses d’investissement (CAPEX) est relativement petite, le marché continue de croître de manière exponentielle, et les dépenses d’exploitation s’étalent linéairement (OPEX). Une telle situation peut avoir lieu surtout dans des secteurs tels que la technologie financière, l’analyse des données, l’intelligence artificielle (IA). Particulièrement cette dernière est attrayante et peut sceller le succès de la Pologne dans la construction d’une nouvelle industrie.

L’intelligence artificielle peut être développée et mise en œuvre de façon autonome. Or, le marché est partagé inéquitablement. Google, le moteur de recherche le plus répandu, dispose d’un marché d’un ordre de grandeur plus grand que le numéro 2. Idem pour les réseaux sociaux, Uber et d’autres entreprises de nouvelles technologies. À l’échelle globale, les champions sont relativement peu nombreux, et ce sont les numéros deux qui se trouvent dans la pire situation : leurs dépenses s’étalent vers des sommes très importantes, mais ils sont durablement repoussés du marché par le puissant numéro 1. Devenir le numéro 1 est possible, mais dans de nouveaux domaines et sans copier les leaders incontestables d’aujourd’hui –  Google, Facebook, Bookingcom ou Uber. Dans la réalité polonaise, celle d’un pays qui a un peu moins de 40 millions d’habitants, où le marché intérieur est relativement peu profond, la chance, c’est de conjuguer les nouvelles technologies avec les secteurs industriels traditionnels.

L’une des définitions de l’intelligence artificielle dit que nous pouvons la charger de résoudre un problème de manière autonome, si dans la situation analogue le processus décisionnel de l’homme ne dure pas plus qu’une fraction de seconde. C’est par exemple la conduite d’une voiture (le temps de réaction du chauffeur à des situations imprévisibles sur la route est de l’ordre d’une fraction de seconde), le triage, la traduction simultanée. La force de l’intelligence artificielle est de pouvoir analyser une immense quantité de données en même temps et modifier les algorithmes décisionnels sans ingérence humaine (l’apprentissage automatique). Cette technologie devient ainsi particulièrement intéressante en tant qu’outil de modernisation de l’industrie dans les secteurs où se sont épuisées les méthodes traditionnelles d’amélioration des processus technologiques, d’augmentation de la productivité, de limitation de la consommation d’énergies et de l’émission de substances nocives. En font partie notamment le secteur énergétique, le génie des procédés physico-chimiques, la communication et la recherche scientifique avancée.

Un exemple spectaculaire d’utilisation de l’intelligence artificielle est son application dans les programmes de recherche qui nécessitent de multiples itérations d’une grande quantité de paramètres entrants. Il s’agit notamment des projets qui sont actuellement mis en œuvre dont l’objectif est de maîtriser la réaction thermonucléaire comme source d’énergie relativement bon marché et sûre. Dans la moitié du XX siècle à peu près, on répétait qu’à l’horizon 2000 l’énergie thermonucléaire aurait été maîtrisée, en définissant ainsi presque une nouvelle constante physique. C’est à cette constante qu’est assujetti le réacteur thermonucléaire élaboré actuellement à Cadarache en Provence par l’organisation internationale ITER IO – le tokamak ITER. La construction du tokamak ITER, qui n’est qu’un réacteur expérimental, la conception et la construction d’un réacteur suivant – DEMO – qui doit être une centrale prototype, prendront, selon les estimations actuelles, les 50 années déjà mentionnées. Les dépenses pour les recherches et la construction du réacteur s’élèveront à 20 milliards d’euros.

Ces dernières années, certaines entreprises et institutions américaines (y compris Google, Lockheed Martin, MIT) ont annoncé que dans quelques années, au plus tard, on maîtriserait les réactions thermonucléaires dans des installations expérimentales utilisant l’apprentissage automatique. Les expériences sont menées dans des réacteurs soumis à de rapides remodèlements, maintenant le plasma dans des pièges créés par exemple par des unités de lasers. L’utilisation de l’intelligence artificielle permet de diminuer radicalement le temps d’itérations successives dans les recherches expérimentales et d’obtenir les résultats définitifs en un laps de temps d’un ordre de grandeur plus court que dans le cas des expériences conçues traditionnellement, comme ITER.

Pour que l’intelligence artificielle puisse devenir un moteur de la croissance, elle doit être liée aux processus qui soit ont ralenti durant la phase de développement d’une technologie du fait du temps de plus en plus long que prenaient les itérations des rapprochements successifs aux solutions optimales (comme pour les réacteurs thermonucléaires développés à partir des années 50 du XX siècle qui étaient basés sur l’utilisation de pièges à plasma magnétiques, y compris ITER), ou ont atteint les limites d’efficacité et, étant donné les systèmes de commande actuels, semblent sans avenir et devraient être retirés de l’usage.

Font partie de ces derniers notamment les centrales à charbon qui sont la base du système énergétique polonais. Beaucoup de blocs à charbon ont été construits dans les années 60 et 70 du siècle précédent. On estimait qu’ils devaient travailler à la base du système, avec une charge stable et les normes environnementales et les exigences d’efficacité thermodynamique telles qu’en vigueur à l’époque. Elles doivent durant les prochaines années soit être mises en conformité avec les meilleures technologies disponibles, soit arrêtées, démontées et retirées du système électroénergétique. Vu les exigences, qui paraissent contradictoires, concernant l’augmentation de l’élasticité de ces blocs, l’amélioration de leur efficacité thermodynamique et la réduction des émissions, il est impossible d’atteindre l’effet permettant leur exploitation future. Pour cela, il faudrait avoir recours à de nouvelles technologies de commande, pouvoir exploiter en mode online toutes les données générées et incorporer des éléments d’apprentissage automatique.

Le Centre national des Recherches et du Développement (NCBR), en coopération avec le milieu énergétique et les scientifiques de diverses spécialités, a tenté de résoudre le problème de l’exploitation future d’une grande partie des centrales à charbon polonaises, en mettant en place, dans la nouvelle formule des marchés publics pré-commerciaux, un nouveau programme de recherches « Blocks 200+ ». Si ce programme réalisé de manière analogue aux programmes de recherche des agences américaines DARPA ou DOE réussit, s’ouvrira une réelle opportunité pour allonger, d’une décennie au moins, l’exploitation d’environ 25% des centrales à charbon polonaises. Une telle attitude permet une synergie des secteurs industriels traditionnels avec les nouvelles technologies et une authentique transformation de l’industrie sans lui faire perdre ses capacités de production.

La mutation de l’économie polonaise en une industrie appelée 4.0 ne se fera pas automatiquement uniquement par la saturation des espaces public, privé et industriel en nouvelles technologies achetées de plus en plus bon marché.

Ceux qui sauront conjuguer leurs compétences avec les nouvelles technologies, en particulier celles conformes avec le marché qui s’étale de manière exponentielle, seront les grands gagnants. Cela nécessite évidemment du courage et une aptitude à prendre des décisions concernant en particulier l’introduction dans les chaînes technologiques existantes des processus (qui perturbent et modifient fortement ces chaînes) provenant justement de l’intelligence artificielle, des technologies de fabrication additive ou de nouveaux matériaux. L’entourage législatif doit évidemment suivre ces processus.

Le succès, en particulier dans le cas de la grande industrie, dépendra de la volonté et du courage des décideurs, c’est-à-dire les conseils d’administration, les conseils de surveillance et les propriétaires, surtout ceux qui représentent le secteur public. Ils doivent voir les opportunités qu’offrent les nouvelles technologies et être ouverts aux nouveaux milieux représentant des visions technologiques, des cultures organisationnelles et des dynamiques d’action différentes. Ils doivent aussi ne pas avoir peur de coopérer avec ceux qui, dotés d’outils modernes, proposent d’abandonner les paradigmes d’action en vigueur aujourd’hui.

Maciej Chorowski

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 17/05/2018
Traduit par Andrzej Stańczyk