La Pologne – un hub innovant pour des scientifiques des pays limitrophes ?
Nous assistons à une situation assez paradoxale : nous formons assez onéreusement et à un niveau relativement élevé des ingénieurs, physiciens, médecins, naturalistes pour ensuite affirmer que notre État est trop pauvre pour pouvoir les embaucher – ecrit Pr. Maciej CHOROWSKI
.Quand, en 1990, pendant mon séjour à Mountain View dans la Silicon Valley californienne j’ai demandé au propriétaire et directeur général d’une des entreprises technologiques implantées là-bas et, en même temps, professeur de physique à l’université de Stanford, ce qui représentait la force et le plus grand avantage de la Silicon Valley, il m’a répondu que pour lui c’était la possibilité d’atteindre n’importe quelle technologie en moins d’une heure.
Le plus grand atout des endroits où se créent des innovations est la concentration de gens, d’entreprises, de capitaux et de puissants centres universitaires. En Pologne, où parmi les mots les plus répétés actuellement il y a innovation, start-up, venture capital et des notions qui s’y réfèrent, de réelles chances sont-elles réunies pour reproduire le phénomène de la Silicon Valley, par exemple le long de l’autoroute A4 reliant la Silésie aux Basses Carpates ? Ce n’est pas évident.
Les endroits où les technologies les plus récentes se concentrent à un niveau garantissant leur croissance vers des états permettant des tournants technologiques, se caractérisent par une richesse ethnique et, en règle générale, par une plus grande proportion de la population allochtone. Ils doivent donc être des endroits où on vient plus qu’on en part. Cela concerne également les pays où de tels centres technologiques sont implantés. C’est pourquoi on n‘est plus étonné de constater que ces bassins de technologies avancées sont implantés et voient continuellement le jour aux États-Unis, pays d’une longue tradition d’immigration qui accueille 2 millions de personnes environ chaque année. Parmi les nouveaux arrivants il y a des gens très bien éduqués, venant pratiquement de tous continents et pays, y compris de Pologne. Malgré la baisse d’intérêt pour un travail temporaire aux États-Unis après l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne, les USA continuent à offrir les meilleures conditions de développement (et de salaires) aux informaticiens, scientifiques et ingénieurs de certaines spécialités.
En simplifiant, on peut dire que, pour que dans une région donnée puissent apparaître de nouveaux hubs technologiques, elle doit être localisée dans un pays identifié comme lieu cible pour l’immigration par les gens qui décident de changer leur lieu de domicile et qui cherchent à améliorer sensiblement leur confort de vie tout en souhaitant réaliser leurs passions professionnelles. La Pologne d’aujourd’hui n’est pas un tel pays. C’est pourquoi il ne faut pas s’attendre à ce que des hubs technologiques voient le jour seulement par ce que telle sera la volonté des décideurs ou parce que on n’arrêtera pas de mettre à toutes les sauces des mots tels que innovation et start-up. L’effet pourrait même être l’inverse que celui escompté, car des aspirations seront éveillées chez les jeunes qui, ensuite, partiront aux États-Unis pour pouvoir y réaliser leurs rêves. Est-ce inévitable ?
La Pologne, au moins plusieurs fois, a été une terre d’immigration attractive pour des personnes et des groupes qui, une fois sur place, ont su apporter leur contribution à l’accroissement du niveau technologique du pays.
Au XIIIe siècle, le roi Henri le Barbu a fait venir en Silésie des Cisterciens qui construisaient des moulins, des foulons et leurs cloîtres étaient l’époque des centres de transfert de technologies d’alors. Depuis le règne de Casimir le Grand, les territoires polonais sont devenus, à peu de chose près, une « Terre de la Grande Promesse » d’un côté, pour les peuples sémites y compris pour les Juifs séfarades d’Espagne fuyant ce pays après la Reconquête et, de l’autre, pour les descendants des Khazars originaires d’Asie centrale. Leur impact sur le développement de l’artisanat et de l’économie monétaire est incontestable. Durant l’époque de « l’âge d’or » de la République de Pologne, grâce au mécénat des rois et des magnats, la Pologne est devenue un endroit attractif où affluaient des ingénieurs de l’époque – des bâtisseurs de châteaux et de palais de la Renaissance et des artisans de haut niveau.
Les exemples cités montrent bien qu’il n’y a pas lieu à douter que la Pologne pourrait devenir un lieu d’immigration attractif pour des gens prêts à se joindre à la course aux nouvelles technologies si les conditions y sont réunies. Ces conditions, ce sont : une politique économique sensée (comme du temps des rois Henri de Silésie, au XIIIe siècle), l’égalité des chances accordée aux étrangers (comme du temps de Casimir le Grand) et un marché intérieur absorbant de nouveaux styles et technologies (comme du temps des Jagellons). Ces conditions peuvent-elles, aujourd’hui, être réunies ?
La Stratégie de Développement Responsable, appelée le plan Morawiecki, met en place les bases à une bonne politique économique. La réalité des salaires, cependant, dans les métiers décidant de l’accumulation d’un capital intellectuel (scientifiques, ingénieurs, médecins) n’est pas suffisamment attractive pour assurer un intérêt considérable pour des offres d’emploi polonaises, même dans les meilleurs centres technologiques, universitaires et scientifiques du pays, auprès de jeunes originaires d’Europe de l’Ouest, d’Amérique, d’Inde, et d’Orient. En plus, ces gens ne se voient pratiquement pas offrir de clairs chemins de carrière – y a-t-il, parmi des centaines d’écoles supérieures en Pologne, une où le président soit un étranger venu en Pologne pour prendre ce poste ? On peut évidemment, par un système de subventions et un accès relativement facile au capital-risque, inciter de jeunes entrepreneurs créatifs, des scientifiques et des ingénieurs étrangers à venir en Pologne, mais il faudrait d’abord endiguer la fuite des cerveaux polonais.
Nous assistons à une situation assez paradoxale : nous formons assez onéreusement et à un niveau relativement élevé des ingénieurs, physiciens, médecins, naturalistes pour ensuite affirmer que notre État est trop pauvre pour pouvoir les embaucher. Une situation pareille, mais à un degré encore plus élevé, est à observer par exemple en Inde où sont créés de très bonnes universités techniques et de très performants instituts technologiques formant surtout de futurs migrants économiques vers les États-Unis et les pays du Golfe. C’est donc une naïveté que de croire que le manque laissé ici par nos jeunes concitoyens bien éduqués puisse être comblé par des immigrés venus des pays limitrophes. Pour que ceux-ci puissent devenir réellement un élément important du système d’accroissement de l’innovation de l’économie polonaise, plusieurs conditions devraient être réunies : alignement du niveau des salaires en Pologne sur celui des centres universitaires étrangers, acceptation d’étrangers aux postes de direction dans les centres scientifiques et de recherche polonais, affranchissement des acteurs technologiques polonais du système des subventions, limitation de l’étatisme.
Tant que la plus grande incitation pour fonder une entreprise sera en Pologne un accès potentiel à des subventions pour les start-up, tant ces entreprises ne vont pas, en principe, survivre à la fin de la période de financement de leur activité via l’argent public.
Il faut une plus grande ouverture des grandes sociétés appartenant à l’État, des collectivités locales et du système des marchés publics aux risques que constitue l’achat de technologies et de produits innovants auprès des entreprises technologiques locales, sans références.
C’est le marché et surtout le marché intérieur qui doit être un aimant pour les immigrés les plus créatifs voulant mener une activité économique en Pologne ou travailler dans des entreprises technologiques. Il faut mettre à la disposition de nouvelles entreprises technologiques l’infrastructure de recherche qui existe mais qui vieillit aussi, tout comme le fait par exemple l’université de Stanford en faveur de ses start-up.
Les immigrés voulant en Pologne réaliser leurs passions et, en même temps, gagner de l’argent grâce à leur participation au développement économique du pays doivent trouver ici des conditions favorables leur permettant de mener une activité économique, mais aussi de s’y établir sans entraves ni complications bureaucratiques. Ils devraient être acceptés, aussi au sens de l’intégration sociale, malgré leur connaissance insuffisante de la langue polonaise et les disparités culturelles. Ils doivent désirer devenir des citoyens de la République et non seulement traiter la Pologne comme un pays de transit et d’escale vers une réalité meilleure.
.Pour rendre cela possible, il faut d’abord que les jeunes et talentueux Polonais ressentent la fierté d’être des citoyens de la République et devenir des modèles du succès pour les nouveaux arrivants. Les dernières données montrent que cela a déjà lieu. Pourvu qu’on ne le masque pas efficacement par la propagande du succès, assez simpliste. De presque un million d’Ukrainiens qui se sont établis en Pologne, les uns pour une courte durée, d’autres, pour plus longtemps, 30 % environ sont des gens diplômés. Ce sont eux et leurs semblables qui doivent désirer entrer dans le monde des nouvelles technologies et réaliser leur « rêve polonais ». La réalisation de ce scénario dépend de nous, de la foi des jeunes Polonais en la possibilité de réussir en Pologne, de l’attractivité de la culture polonaise. Et beaucoup moins du système d’incitation à travers des subventions accordées aux start-up et de l’omniprésente rhétorique d’innovation.
Maciej Chorowski