Les défis économiques du patriotisme moderne
Les grandes traditions intellectuelles polonaises de la liberté républicaine et de Solidarność, ainsi que la mission, inachevée, des grands projets de la IIe République sont fondamentales pour comprendre le patriotisme moderne d’aujourd’hui – écrit Mateusz MORAWIECKI
.Les cent dernières années de l’histoire de la Pologne peuvent être qualifiées d’ « histoire du temps d’épreuve patriotique ». La reconstruction de l’État polonais après une parenthèse de 123 ans de partages a été possible grâce à une guerre généralisée et une grande union des citoyens de la jeune République face au danger mortel de l’année 1920. Mais cette reconstruction a aussi été possible grâce au positivisme des habitants de la Grande-Pologne, aux tireurs de l’organisation indépendantiste Polskie Drużyny Strzeleckie de Lviv, et à des milliers de cercles clandestins où on avait inculqué à des élèves rebelles l’amour de la Pologne.
Le patriotisme de 1918 était un patriotisme moderne, rassemblant des gens de convictions et d’origines différentes, conscients de la mission historique de devoir construire une Pologne des « maisons de verre ». C’était un patriotisme de grands projets de modernisation – tels que la construction de la ville de Gdynia ou de la Région industrielle centrale (COP). Un patriotisme qui a dû, plus tard, affronter les deux plus terribles totalitarismes du XXe siècle.
Un patriotisme moderne de notre époque se définit par les défis du monde contemporain. Et aussi, par la fidélité à la tradition qui a permis à la Nation de survivre à l’orage de l’histoire du siècle dernier.
L’histoire de la Pologne est profondément ancrée dans l’esprit de liberté républicaine.
L’un de ses plus grands fils fut Tadeusz Kościuszko, le héros de la révolution américaine. Le testament de Kościuszko, jamais exécuté, dans lequel il conjurait son ami Thomas Jefferson d’affranchir les esclaves et de leur assurer de dignes conditions de vie, symbolise que l’Amérique aurait pu éviter la guerre de Sécession fratricide et le tragique héritage de l’esclavage. Le républicanisme de la jeune république aurait pu être plus polonais. 250 ans auparavant, Andrzej Frycz Modrzewski, fut le premier parmi les activistes politiques et penseurs à clamer l’égalité de tous les états devant la loi.
Quand nous pensons à la naissance d’un nouveau patriotisme allemand à l’époque des guerres napoléoniennes, ce dont Thomas Mann a fait un excellent portrait dans son roman Charlotte à Weimar, il est difficile de ne pas succomber à l’impression que le plus grand écrivain du romantisme allemand découvre en lui-même, inconsciemment, l’âme républicaine polonaise. Surtout quand on y lit l’aversion du vieux Goethe envers la fascination naissante chez les Allemands pour les succès du militarisme prussien. Le monde aurait été un bien meilleur endroit, si cette passion polonaise pour la liberté et l’égalité avait gagné dans les coeurs et les esprits américains et allemands.
Une autre grande tradition polonaise est celle de Solidarność. Elle a éclaté avec une telle puissance en 1980, combinant la lutte pour la dignité des travailleurs à la lutte pour la liberté et au message de Jean-Paul II. Les Polonais ont montré au monde entier que la grandeur de Solidaność était quelque chose qui pouvait unir dans leur reconnaissance les républicains anticommunistes américains et les syndicats français. La Solidarność polonaise a cassé non seulement les divisions polonaises, mais aussi celles du monde, prouvant ainsi qu’il n’y avait pas de murs que l’on ne serait pas en mesure d’abattre.
Ces grandes traditions intellectuelles polonaises de la liberté républicaine et de Solidarność, ainsi que la mission, inachevée, des grands projets de la IIe République sont fondamentales pour comprendre le patriotisme moderne d’aujourd’hui. La grande modernisation polonaise pourra réussir si et seulement si elle est fidèle à la tradition polonaise, continuant ce qui en elle est le meilleur. Mais en même temps, si elle se concentre aussi sur la création de nouvelles règles de vie sociale et économique en phase avec le XXIe siècle.
Le patriotisme, aujourd’hui, c’est avant tout bâtir une économie moderne et innovante qui ne sera pas au service de quelques-uns mais au service de la prosperité de tous. Une économie où les succès des patrons seront les succès des salariés et des communautés locales. Une économie où les institutions fortes traiteront les faibles avec indulgence, et les forts avec fermeté.
C’est la force économique d’un état qui constitue l’élément clé de la soft power dans notre monde globalisé d’aujourd’hui. C’est elle qui favorise le développement de la fierté nationale, et qui, ce qui est plus important, permet d’assurer un meilleur demain à la société.
Il faut être conscient que nous vivons dans l’époque de la crise du capitalisme démocratique. Le capitalisme anglo-saxon ne parvient pas à combler les inégalités sociales, et le modèle français a perdu sa compétitivité. Est-il possible de trouver un modèle du capitalisme qui puisse être, à la fois, innovant, compétitif et, aussi, solidaire ? La réponse est affirmative. La réponse polonaise à ces défis est le Plan de développement responsable.
Lorsque Jean Monnet, après la Deuxième guerre mondiale, à la demande du général de Gaulle, a préparé un plan de modernisation de l’économie française, sa tâche était beaucoup plus facile que celle qui se pose aujourd’hui devant la Pologne. La IVe République avait une structure de l’économie où les secteurs clés étaient entre les mains françaises et les décisions sur la direction à prendre étaient prises à Paris. Le saut vers la modernité était un choix français.
La Pologne, en tant que pays postcommuniste, possède une structure déformée de la propriété. Les centres de décision dans les secteurs clés tels que les banques, les industries et même les médias et le commerce, se trouvent en dehors des frontières polonaises. Le résultat en est que les centres de recherche et de développement dans les secteurs clés de l’industrie n’étaient pas localisés en Pologne et que durant la dernière crise financière les banques étrangères ont limité leur activité de crédit conformément aux décisions de leurs centrales. Cela a provoqué également une fuite des cerveaux accompagnée de rengaines cosmpolites et de la pédagogie de la honte qui ont affaibli l’esprit et la spititualité des citoyens polonais. Pour que ce saut vers la modernité soit vraiment un choix polonais, nous devons produire du capital polonais dans l’économie – organiquement, permettant aux entreprises polonaises de croître, mais aussi par des mesures directes, en repolonisant la propriété lorsque les conditions sur le marché s’y prêtent.
Par où mène le chemin vers la richesse des nations ? Par une industrialisation tournée vers les exportations. Pour rendre cela possible en Pologne, nous avons créé le Fonds national pour le développement, l’homologue de la KfW allemande – le moteur des investissements en Pologne – et a été entamée une réforme de la diplomatie économique – la transformation de l’Agence nationale pour les investissements et le commerce en une corporation moderne. De plus, nous avons lancé des programmes phares dans les secteurs d’avenir tels que les voitures électriques, les drones et les véhicules autonomiques, mais aussi les meubles dans la nouvelle mouture de l’Internet des objets. Avec cela, la Pologne a une chance de devenir un des leaders mondiaux. Nous avons changé la philosophie de comment attirer des investissements étrangers – les entreprises et les capitaux ne seront plus bradés, à la place, nous proposerons des projets « greenfield », surtout dans le domaine high-tech.
Les résultats obtenus en deux ans sont bien visibles : dans l’Union européenne, les 2/3 des nouveaux postes dans l’industrie, dans la première partie de 2017, ont été créés en Pologne et les investissements des plus grands producteurs mondiaux de voitures transforment la Pologne en un bassin automobile européen. La Pologne a créé « Start in Poland », le plus grand programme de soutien aux start-up en Europe centrale et orientale, ce qui, pour la première fois, permettra de poloniser les technologies modernes. Parallèlement, nous avons réussi à réduire la pauvreté extrême parmi les enfants de 94% en un an seulement, en battant les records mondiaux dans la réduction des inégalités sociales. Tout cela a été financé avec l’argent résultant de la reconstruction du recouvrement des impôts et de la lutte contre les mafias de la TVA. En ayant recours à des mécanismes d’analyse des données modernes et en créant l’Administration fiscale nationale, nous avons obtenu d’excellents résultats en matière de la TVA, de l’IS et des droits d’accise.
L’économie polonaise devient un leader mondial dans la résolution des problèmes d’inégalités économiques et sociales. C’est une vraie révolution européenne, pas encore décrite. Elle est on ne peut plus positive et on ne peut plus polonaise.
C’est quoi un patriotisme moderne ? C’est participer tous ensemble à la création d’un nouveau modèle polonais du capitalisme démocratique qui peut devenir le leader de la quatrième révolution industrielle. C’est choisir de s’engager dans la construction d’un budget participatif dans sa localité, choisir de rester en Pologne, fonder une entreprise dans son garage pour, plus tard, changer la face du monde. C’est aussi choisir d’emmener sa famille visiter les lieux de mémoire du syndicat Solidarność, de la Révolution de janvier 1863, ou bien de l’État polonais clandestin. La Pologne a un grand avenir devant elle, mais seulement si elle reste fidèle à son passé. L’héroïsme polonais est déjà une marque planétaire. Il est temps que l’économie polonaise la devienne à son tour. C’est cela un patriotisme moderne.
Mateusz Morawiecki