Andrzej KRAJEWSKI: La révolution pétrolière a commencé en Pologne

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Andrzej KRAJEWSKI

Historien, chroniqueur actif en vulgarisation scientifique.

Ryc.Fabien Clairefond

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La carrière de l’or noir comme ressource énergétique n’aurait jamais été si fulgurante sans la curiosité technologique de quelque quatre Polonais.

.Les noms d’Ignacy Łukasiewicz et de Jan Zeh nous font immédiatement penser à la lampe à pétrole. Celui de Witold Zglenicki – à la découverte de gisements de ce minerai aux alentours de la Mer Caspienne. Celui encore d’Ignacy Mościcki, président de la République de Pologne dans l’entre-deux-guerres – à ses inventions en matière d’engrais azotés. Toutes vraies, ces associations hâtives n’embrassent pas pour autant la totalité de l’apport scientifique et civilisationnel de ces quatre chercheurs, en lien avec la naissance de l’industrie pétrolière. En fait, le pétrole n’était pas complètement inconnu à l’espèce humaine. Durant des milliers d’années, dans les régions où il giclait naturellement du sol, on l’appelait huile de roche ou huile de terre. Mais ses propriétés énergétiques incroyables ne furent découvertes qu’en 1852 par Ignacy Łukasiewicz. Ce jeune Polonais diplômé de pharmacie achète auprès d’un commerçant juif Abraham Schreiner quelques bouteilles contenant de l’huile de roche et convainc son ami Jan Zeh de mener des expériences ensemble. A Lviv, dans la pharmacie « Pod Złotą Gwiazdą » (‘Sous l’Étoile d’Or’), leur lieu de travail, ils construisent un distillateur capable de supporter la pression du pétrole porté à ébullition. Ensuite, Łukasiewicz mélange ce magma bouillonant avec d’autres substances chimiques. Quand vient le tour de l’acide sulfurique couplé à une solution de sodium, le brut commence à se fractionner : à la surface surgit l’essence, hautement inflammable, un peu plus bas se maintient le naphta, suivi du gazole et du mazout, le fond du distillateur étant occupé par le fioul.

Dotés chacun de ses caractéristiques propres, ces nouveaux composés chimiques révolutionneront le monde. Entre temps, Łukasiewicz, lassé des montées d’humeur de Zeh, décide de poursuivre les recherches tout seul, d’autant plus qu’il est persuadé que les retombées économiques de la découverte sont non négligeables. Il s’intéresse plus particulièrement au naphta, mais les lampes existantes ne sont pas adaptées à sa température et à sa vitesse de combustion. Partant donc du principe que c’est le produit qui crée le marché, il commande auprès d’un ami ferblantier Andrzej Bratkowski la mise au point d’une lampe idéale pour le naphta. Conçue en mars 1853, elle connaîtra des décennies de succès, pour n’être détrônée que par les ampoules électriques. La technique de raffinage du pétrole, elle, s’avéra immortelle. C’est grâce à elle que le pharmacien fait fortune, en construisant des raffineries en Galicie polonaise. Conscient, bien avant John D. Rockefeller, que le vrai argent va dans la poche non pas de celui qui extrait le minerai, mais bien de celui qui le transforme pour ensuite le distribuer, Łukasiewicz domine le marché européen : en 1874, par ses raffineries passent déjà 21 000 tonnes de pétrole. A la même période, les constructeurs de moteurs à essence Nicolaus August Otto et Karl Benz découvrent que le carburant qui obtient les meilleurs résultats est celui provenant du raffinage selon la méthode de Łukasiewicz. Du coup, la demande de l’essence se voit considérablement augmenter.

C’est dans cette tendance que s’inscrit parfaitement l’activité d’un autre Polonais, le géologue Witold Zglenicki. Installé dès 1891 à Bakou, il y collabore avec la compagnie pétrolière des frères Nobel. Son apport est très précieux. Non seulement il parvient à trouver rapidement de nouveaux gisements, mais il met au point un appareil à mesurer la courbure de puits, grâce auquel le nombre d’explosions et d’incendies lors de nouveaux forages baisse. Ce qui l’intéresse pourtant le plus, c’est de savoir comment on peut extraire du pétrole d’en dessous de la Mer Caspienne. Depuis 1896, il perfectionne donc un projet de plateforme de forage subaquatique, interrompu en 1904 par une progression fulgurante du diabète. Après sa mort, ses idées innovatrices inspireront les magnats du pétrole aux Etats-Unis. Il suffit de dire que les plateformes de forage en mer assurent aujourd’hui un tiers de la production mondiale de pétrole.

.L’industrie de l’or noir se sert d’une autre technologie encore mise au point par un Polonais. Il s’agit cette fois-ci d’Ignacy Mościcki. Quand ce chercheur et inventeur mondialement reconnu (40 technologies novatrices à son actif) quitte la Suisse pour la ville de Lviv, il est contacté par l’institut de recherche scientifique et technique « Metan ». Les puits localisés en Galicie se mesurent, à l’époque, à un problème de taille : la saumure pénètre les gisements et les contamine à tel point que des milliers de tonnes d’un pétrole jugé impropre au raffinage doivent être jetés dans la nature. Mościcki, après une seule visite dans les locaux de « Metan », trouve la solution. Il dira plus tard qu’ « il lui en a fallu dix minutes » pour imaginer une technologie qui consistait à faire évaporer, en injectant du gaz de combustion ou de l’air chaud, le pétrole mis sous pression, pour ensuite le faire condenser fraction par fraction. La première ligne technologique du projet voit le jour en 1921 dans la raffinerie de Jedlicze. Très prisé par les Américains, le brevet de Mościcki s’exporte rapidement outre Atlantique. Peu de gens le savent aujourd’hui. Tout comme peu de gens se souviennent d’un certain Zglenicki, inventeur de la plateforme de forage, ou des expériences de deux pharmaciens de Lviv qui ont découvert beaucoup plus qu’une simple lampe à pétrole.

Andrzej Krajewski

Texte co-publié avec le mensuel polonais „Wszystko Co Najważniejsze” dans le cadre d’un projet réalisé avec l’Institut de la mémoire nationale (IPN) et Narodowy Bank Polski (la banque centrale polonaise NBP).

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 25/06/2021