
L’ancre polonaise de la liberté
L’histoire enseigne qu’une Pologne indépendante et en essor dynamique constitue un soutien important pour le monde libre.
.Ce fut l’un des discours majeurs de Woodrow Wilson au sujet des affaires étrangères. Le 22 janvier 1917, dans la troisième année de la Grande Guerre ravageant l’Europe, le président des États-Unis présenta au Sénat une vision ambitieuse de la paix mondiale. Il y trouva une place pour un État qui depuis plus de cent ans ne figurait pas sur les cartes : « […] Les hommes d’État du monde entier s’accordent à dire qu’il doit y avoir une Pologne unie, indépendante et autonome. » Et même si son évaluation était trop optimiste – à l’époque ni la Russie, ni l’Allemagne ni l’Autriche-Hongrie ne souhaitaient une Pologne pleinement souveraine –, un an et demi plus tard seulement, le vœu du président américain devint réalité.
L’ADN d’une nation libre
.Lorsqu’au XVIIIe siècle la Russie, la Prusse et l’Autriche se partagèrent la Pologne, elles étaient déterminées à ce qu’elle ne renaîtrait jamais. La Convention de Saint-Pétersbourg de 1797, signée par les empires ayant procédé au démembrement du royaume de Pologne, prévoyait même « la nécessité d’abolir tout ce qui peut faire naître [son] existence ». Cependant, les Polonais – qui ont l’amour de la liberté dans leur ADN – n’acceptèrent jamais la perte de leur État et se battirent les armes à la main pour le reconquérir : d’abord aux côtés de Napoléon, puis lors des soulèvements qui se soldèrent longtemps par des défaites et des répressions, mais qui en même temps renforcèrent la conscience nationale. Tout aussi important s’avéra le travail organique ardu, à savoir l’ensemble des activités visant à renforcer la vitalité et l’organisation de la société divisée sous la domination étrangère.
Le déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914 fut, du point de vue des Polonais, un tournant géopolitique très attendu. Ses puissants oppresseurs étaient à couteaux tirés. Il fallait en profiter le mieux possible. L’éminent militant indépendantiste Józef Piłsudski commença à former les Légions polonaises, combattant aux côtés de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie contre la Russie. L’homme politique expérimenté Roman Dmowski, à Lausanne, puis à Paris, fit pression sur les hommes politiques de l’Entente en faveur de la cause polonaise. Ignacy Jan Paderewski se révéla également un diplomate très efficace. Ce pianiste de renommée mondiale réussit à avoir de son côté le président Wilson et son conseiller Edward Mandell House.
Une combinaison efficace de jeu diplomatique et d’effort militaire permit à la Pologne de retrouver son indépendance après 123 ans de captivité. Le 16 novembre 1918, cinq jours après l’armistice de Compiègne mettant fin à la Première Guerre mondiale, Piłsudski fit parvenir un télégramme aux « gouvernements et nations belligérants et neutres » notifiant « l’existence d’un État polonais indépendant, couvrant toutes les terres de la Pologne unifiée ».
D’une indépendance à l’autre
.Pour autant, il n’était pas alors certain que l’État renaissant survivrait et, si oui, sous quelle forme. Les Polonais se battirent avec succès pour une frontière occidentale favorable lors de quatre soulèvements contre l’Allemagne – un en Grande Pologne et trois en Silésie – et lors des négociations de paix à Paris, où Dmowski et Paderewski brillèrent à nouveau. L’armée commandée par Piłsudski réussit à vaincre les bolcheviks, qui voulaient porter leur révolution sanglante vers l’Ouest « à travers le cadavre de la Pologne blanche ». La bataille de Varsovie en 1920, au cours de laquelle les Polonais dominèrent l’Armée rouge, sera considérée par le britannique Lord Edgar D’Abernon comme la dix-huitième bataille décisive de l’histoire de l’humanité.
Dans les années 1920 et 1930, les Polonais prouvèrent qu’en temps de paix aussi ils étaient capables d’exploits. Les terres si longtemps divisées entre les trois oppresseurs furent à nouveau réunies en un seul organisme. Le jeune État ne craignait pas de réaliser des investissements d’envergure. À Gdynia, un paisible village de pêcheurs au bord de la mer Baltique, fut rapidement construit l’un des plus grands et modernes ports d’Europe. Dans la seconde moitié des années 1930, au sud de Varsovie, commença la construction de la Région industrielle centrale (COP) dont le but était de renforcer le potentiel de défense du pays et de lui permettre de faire un saut de modernisation. Ce projet très avancé fut interrompu par la Seconde Guerre mondiale.
Le pacte diabolique de deux totalitarismes – conclu en août 1939 par Adolf Hitler et Joseph Staline – plongea le monde dans un nouveau conflit, encore plus sanglant et plus terrible que celui de 1914–1918. Cette fois, la Pologne connut une double occupation : allemande et soviétique. L’une est symbolise jusqu’à nos jours par les exécutions massives, les rafles, les déportations vers Auschwitz et le travail forcé. L’autre – par les camps de travail de Sibérie, les steppes du Kazakhstan et Katyn, où la fleur de l’intelligentsia polonaise fut abattue d’une balle dans la nuque. Au total, l’hécatombe de la Seconde Guerre mondiale coûta la vie à près de 6 millions de citoyens, dont la grande majorité des Juifs polonais. Elle entraîna également d’énormes pertes matérielles pour le pays, qui s’élèvent aujourd’hui à des centaines de milliards de dollars.
Les Polonais, comme lors de la Première Guerre mondiale, reprirent les armes pour retrouver leur indépendance. Sous l’occupation, une armée secrète fut créée et se développa, subordonnée au gouvernement polonais en exil, d’abord sous le nom d’Union de la lutte armée (ZWZ), puis sous celui d’Armée de l’Intérieur (AK). C’est elle qui déclencha le soulèvement de Varsovie le 1er août 1944, la plus grande révolte urbaine d’Europe contre le joug allemand. Les soldats polonais combattirent également sur les fronts décisifs de la guerre : dans la bataille aérienne d’Angleterre, à Tobrouk, au Mont-Cassin et à Falaise. Avec une détermination appréciée ne serait-ce que par le général américain George Patton, ils se battirent – comme le firent autrefois Kazimierz Pułaski et Tadeusz Kościuszko – pour leur propre liberté et celle des autres nations.
Pourtant, la fin de la Seconde Guerre mondiale n’apporta pas à la Pologne la liberté, mais un nouvel esclavage. Pendant plusieurs décennies, le pays tomba sous la domination des communistes, installés sur les baïonnettes et les chars de l’Armée rouge. Nous ne réussîmes à nous défaire de la dépendance à l’égard de l’Union soviétique qu’à la fin des années 1980, grâce à la participation significative du pape Jean-Paul II et au mouvement Solidarnosc, fort de plusieurs millions d’adhérents.
Une Pologne forte dans une Europe sûre
.Aujourd’hui, la Pologne est là où notre cœur fut toujours : dans les structures politiques, économiques et militaires de l’Occident. Après des années de politique prédatrice des envahisseurs, d’économie socialiste inefficace et de difficile adaptation aux réalités du marché, nous avons à nouveau une chance de faire un bond de développement. Il nécessite des investissements aussi audacieux que le port de Gdynia et la Région industrielle centrale. Ces dernières années, plusieurs projets importants furent réalisés ou du moins démarrés. Un terminal GNL nommé en l’honneur du président Lech Kaczyński fut construit à Świnoujście. La presqu’île de la Vistule fut traversée par un canal ouvrant la route libre d’Elbląg vers la mer Baltique. Le gouvernement précédent lança également des projets visant à construire le Port de communication central (CPK) entre Varsovie et Łódź – la plus grande plate-forme de correspondance dans cette partie de l’Europe, reliant l’aéroport, les réseaux routiers et les chemins de fer à grande vitesse.
La Pologne, avec près de 38 millions d’habitants, possède le potentiel nécessaire pour devenir durablement le leader de la région – non seulement en termes d’indicateurs de croissance économique, mais aussi en termes d’activité pour le développement et la sécurité communs. Déjà dans l’entre-deux-guerres, les concepts d’Intermarium étaient vivants – une alliance de pays d’Europe centrale et orientale situés entre la mer Baltique, la mer Noire et la mer Adriatique. Ce qui se cachait derrière, c’était la conviction qu’une coopération étroite entre les pays de la région leur permettrait de se défendre contre la menace soviétique, mais aussi de maintenir leur subjectivité, ce dont ils n’auraient aucune chance au sein de la Mitteleuropa allemande. Aujourd’hui, l’Intermarium – fondé sur la solidarité des pays d’Europe centrale et orientale – pourrait affaiblir efficacement la menace russe tout en entravant une domination allemande excessive en Europe.
L’agression à grande échelle de la Fédération de Russie contre l’Ukraine nous fit comprendre encore plus clairement que la liberté n’est pas donnée une fois pour toutes. La Pologne fournit une aide sans précédent à Kiev – du soutien militaire à l’accueil de centaines de milliers de réfugiés. Les alliés de l’OTAN peuvent également compter sur Varsovie : l’année prochaine, nous consacrerons 4,7 % du PIB à la défense – bien plus de 2% requis des membres de l’Otan. En Pologne, nous comprenons bien les obligations des alliés, surtout en ces temps difficiles.
.La Pologne unie, indépendante et autodéterminée du discours du président Wilson renforce aujourd’hui aussi la stabilité et la sécurité du monde libre.