Tartu et son université symbolisent le fort lien qui relie nous tous – Polonais, Lettons, Lituaniens, Estoniens, Finlandais, Islandais et Géorgiens. L’esprit de liberté n’arrête pas de nous pousser tous vers l’avant – souligne Kersti KALJULAID.
Dans le cœur même de Tartu, nous avons l’honneur d’accueillir nos amis venus célébrer avec nous les cent ans de la République d’Estonie, amis avec lesquels nous partageons les mêmes valeurs. Il y a un siècle, ils ont vécu, tout comme nous, une période décisive dans les premières années de fondation de leurs États respectifs.
Je me réjouis de pouvoir commémorer avec vous le centenaire de l’indépendance de notre pays ici, à Tartu, la ville qui abrite notre plus grande et plus importante université. Notre unique universitas. L’Université a permis à la ville de Tartu de devenir ce qu’elle est maintenant pour les Estoniens et pour le monde entier. Car elle constitue avant tout un rempart du monde universitaire des Estoniens et des Européens.
Pour les Estoniens, Tartu est un centre important du mouvement indépendantiste national. Le premier poète estonien, Kristjan Jaak Peterson, a étudié ici au début du XIXe siècle. Sa statue sur le Toomemägi – la colline de la Cathédrale – était pour nous un signe d’espoir de voir un jour notre langue trouver une place pérenne dans la famille des langues du monde. Cet espoir a pu se réaliser.
En 1869, à Tartu, s’est tenu le premier festival du chant estonien. Dans la ville était actif aussi le premier rédacteur de journal estonien, Johann Voldemar Jannsen. Les Estoniens chantaient les mélodies dont les paroles avaient été écrites par la fille de Jannsen Lydia Koidula durant les festivals du chant depuis plus d’un siècle.
Quand le sentiment national, lié au premier festival du chant, s’est fait sentir, les étudiants ont fondé à Tartu une association, en choisissant les couleurs bleue, noire et blanche pour composer le drapeau estonien. Le grain de l’indépendance est tombé sur la bonne terre. Depuis 1919, les cours à l’Université de Tartu sont dispensés en langue estonienne. Le drapeau tricolore des étudiants est désormais le drapeau national; il est présent sur la colline Toompea à Tallin, dans les maisons estoniennes, mais aussi devant les sièges de l’ONU, l’UE et l’OTAN, tout comme les drapeaux des autres pays.
L’Université de Tartu a été fondée par le roi de Suède Gustave II Adolphe en 1632. Elle nous est chère à tous. Beaucoup d’entre nous ont un parent ou un enfant qui y a vécu les meilleurs moments de sa jeunesse. Nous y avons acquis des savoirs qui nous ont aidés à atteindre l’endroit où nous nous trouvons actuellement, et elle nous conduira encore plus loin.
L’Université est un centre important aussi pour nos invités d’honneur. Autrefois, elle a accueilli de nombreux étudiants polonais, lorsque le tzar avait fermé les universités polonaises après l’insurrection de novembre.
Il y a 150 ans environ, de plus en plus de Lettons, nos bons amis du sud, ont commencé à venir ici. Riga ne possédait pas encore d’université, et c’est la raison pour laquelle aussi bien les Lettons que les Estoniens considéraient l’Université de Tartu comme la leur. Chaque Letton connaît les noms de Krišjānis Valdemārs, Juris Alunāns et Krišjānis Barons. Ont étudié ici des membres du mouvement indépendantiste national letton et c’est ici qu’ils ont fondé la première organisation estudiantine lettonne.
Tartu était la maison de l’organisation indépendantiste estudiantine lituanienne, à la tête de laquelle se trouvait le futur président de l’Université Lituanienne et ophtalmologue de renom Petras Avižonis. Tartu était aussi l’endroit où, en 1979, quarante cinq Estoniens, Lettons et Lituaniens courageux ont signé l’Appel balte, pour rappeler le tragique anniversaire du pacte Ribbentrop-Molotov.
En tant que premier pays à reconnaître l’indépendance de l’Estonie en 1991, l’Islande a rappelé au monde entier l’injustice résultant de ce pacte. Soit dit en passant, Tartu et son université ont aidé les Estoniens à s’approcher de l’esprit islandais, de ses sagas, de son folklore et de sa littérature.
Dans leurs souvenirs, les étudiants estoniens ont parlé avec un grand respect des étudiants géorgiens, en suggérant qu’ils étaient tous des princes. Ce n’était évidemment pas le cas, bien que les noms de Pavlenišvili, Vatšnadze, Tsereteli et Mkheidze apparaissent bel et bien dans les registres de l’Université. Il y a parmi eux les pères fondateurs de la Géorgie indépendante.
Un rôle particulier dans l’histoire de l’Estonie et de Tartu a été joué par les Finlandais. Déjà au XVIIe siècle, ils étudiaient à Tartu, mais les relations entre Estoniens et Finlandais se sont réellement nouées après la fondation de l’État estonien. La décision d’opter pour l’usage de la langue estonienne à l’Université a été signe de courage car peu de professeurs et de cadres parlaient estonien. Les Finlandais sont venus à la rescousse : Johannes Gabriel Granö, Kalle Väisälä et Ilmari Manninen – et certainement d’autres encore – ont été à l’université de Tartu dès le début.
Pour renforcer le lien finno-ougrien, un accord d’amitié a été signé entre les organisations estudiantines estoniennes et finlandaises, qui existent toujours et qui continuent à être les piliers du pont qui relie les deux nations.
Tartu et son université symbolisent le fort lien qui relie nous tous – Polonais, Lettons, Lituaniens, Estoniens, Finlandais, Islandais et Géorgiens. L’esprit de liberté n’arrête pas de nous pousser tous vers l’avant.
Kersti KALJULAID