Wołodymyr JERMOŁENKO
Comment assurer la sécurité de l’Europe ?
Toute action provoquant l’érosion de la confiance et de la solidarité aussi bien dans l’Otan que dans l’UE sert les intérêts de leurs ennemis, tous ceux qui veulent contester l’ordre existant pour pousser surtout l’Europe dans une situation dont elle a fait l’expérience au siècle dernier.
.« Le sommet doit montrer (a montré) l’unité des État membres de l’Alliance » – voilà une phrase qui, comme une incantation, revient dans tous les documents et communiqués officiels avant et après les sommets de l’Otan. On retrouve d’ailleurs la même rhétorique dans le discours des institutions européennes. Ces appels à plus d’unité sont en fait l’émanation de la conviction qu’aucun pays de notre continent, y compris la France et le Royaume-Uni, pourtant dotés de potentiel nucléaire, n’est capable de s’assurer tout seul sa sécurité. Or, l’unité bâtie entre des pays souverains et démocratiques ne peut reposer que sur le sentiment de solidarité, constamment ravivé par tous les alliés et partenaires et assorti de mécanismes à même de donner corps à cette idée. Face à une multiplication sans précédent de défis et de menaces, il nous faut en effet une solidarité bâtie à tous les niveaux possibles.
D’abord, il nous faut une solidarité au sein de la communauté transatlantique. Il est difficile de s’imaginer aujourd’hui et dans un futur prévisible une Europe en sécurité (surtout face à la menace de la politique agressive russe) sans l’engagement des États-Unis. À leur tour, les États-Unis, confrontés aux défis à l’échelle planétaire, y compris au défi le plus important qu’est aujourd’hui la Chine, ont besoin de coopérer avec l’Europe. Dans le tandem USA (plus le Canada)–Europe, c’est à l’Europe de bâtir, dans un esprit de solidarité, une vision des relations transatlantiques commune à tous les pays du continent, qui vienne renforcer et non pas affaiblir nos liens. Les outils que les Européens possèdent pour réaliser cette tâche sont deux organisations qu’ils ont créées ou cocréées comme émanation d’une volonté institutionnelle de construire un ordre garantissant la sécurité et la prospérité : l’Union européenne et l’Otan. Il est donc très important d’éviter des actions au nom d’un intérêt particulier, au-dessus des têtes des autres alliés et partenaires, sans prendre en compte le contexte des obligations inscrites dans les traités.
Fidèle à ce principe, le président polonais Andrzej Duda, lorsqu’il menait des pourparlers avec le président Donald Trump dont la conséquence a été la signature d’un traité de renforcement de la coopération militaire entre la Pologne et les USA, avait soin de conduire de régulières consultations avec le secrétaire général de l’Otan pour que les actions intentées par la Pologne correspondent non seulement à ses propres intérêts et ceux des pays de la région, mais qu’elles s’inscrivent dans le contexte de l’alliance dans son ensemble. Pour ce qui est de l’administration de Joe Biden, il faut considérer comme positif le fait qu’il reste particulièrement attaché à la dimension institutionnelle des relations transatlantiques dont témoigne entre autres sa participation à la réunion des chefs d’État de neuf pays du flanc est de l’Otan (le Groupe B-9) le 10 mai de cette année.
Un exemple d’actions menées au-dessus des têtes des alliés (Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Hongrie, Roumanie et Bulgarie) et des partenaires est sans aucun doute le projet du gazoduc Nord Stream 2. Sa dimension est plus politique qu’économique et la façon dont il est mené devrait sans doute donner du fil à retordre à tous, pas seulement aux pays de la région directement intéressés. La question du Nord Stream 2 montre combien il reste encore à faire quant à l’usage des mécanismes institutionnels de confiance et de solidarité (dans ce cas précis plus particulièrement au sein de l’Union européenne) et quelle énorme responsabilité repose sur ces pays qui du fait de leur puissance et leur importance peuvent plus facilement succomber à la tentation de primer leurs propres intérêts sur le bien commun.
Toute action provoquant l’érosion de la confiance et de la solidarité aussi bien dans l’Otan que dans l’UE sert les intérêts de leurs ennemis, tous ceux qui veulent contester l’ordre existant pour pousser surtout l’Europe dans une situation dont elle a fait l’expérience au siècle dernier.
En second lieu, nous avons besoin d’une solidartié des institutions – l’Otan et l’UE – comme principaux pilliers de la sécurité en Europe. Du point de vue polonais, c’est l’Otan qui devrait maintenir son rôle primordial quant à la défense des pays européens. L’UE, à son tour, dispose de ressources et d’outils qui peuvent faciliter cette tâche (par exemple assurer la mobilité des troupes ou bâtir le potentiel militaire). Au lieu de rivaliser, les deux institutions devraient agir selon le principe de complémentarité.
Puis, nous avons besoin d’une solidarité de perception des menaces et d’une solidarité géographique qui y est strictement liée. Pour les pays du Groupe B-9, pour la Turquie, mais aussi pour la Suède et la Finlande qui ne font pas partie de l’Otan, les événements à l’est de l’Europe sont particulièrement préoccupants. Mais les actions agressives de la Russie ont, en dehors de leur dimension militaire, un caractère hybryde, sous forme d’attentats, d’ingérence dans des élections à l’étranger et de désinformation. Ces actions ne concernent plus que les voisins les plus proches de la Russie.
Nous ne devons pas oublier que pour de nombreux pays en Europe il existe une menace terroriste constante et que la perception des défis et des dangers n’est pas la même en Pologne ou en Roumanie qu’en Italie ou au Portugal. Néanmoins, ce qui paraît crucial, c’est la construction du sentiment de responsabilité et d’unité entre alliés comme le précise l’article 5 du traité de Washington et de solidarité dans le cadre de l’Union européenne. Tout cela en conformité avec le principe de sensibilité 360 degrés, permetant d’éviter les clivages inuitiles Nord-Sud.
Enfin, nous avons besoin de bâtir une solidarité entre voisins, notamment entre des pays comme l’Ukraine, la Géorgie ou la Moldavie. Dans le cas de l’Ukraine, le mécanisme du Triangle de Lublin – la Pologne, la Lituanie et l’Ukraine ont mis sur pied une unité militaire commune – en est un bon exemple.
.Ce qui sert la construction d’une solidarité à niveaux multiples dans le cadre de l’Otan et de l’UE, c’est une coopération régionale, non pas dans une logique de l’alternative, mais dans celle de la « valeur ajoutée » visant un renforcement des deux organisations. Le meilleur exemple en est le Groupe des neuf de Bucarest. Le récent sommet des présidents du groupe (en présence du président des États-Unis J. Biden et du secrétaire général de l’Otan J. Stoltenberg) a montré une fois de plus que des pays ayant parfois une perception différente des dangers peuvent parler d’une seule voix et, comme l’indiquait le président Andrzej Duda, agissent main dans la main pour plus d’unité et de force au sein de l’alliance. C’est dans cet esprit que la Pologne perçoit son engagement dans les autres formats régionaux – le Groupe de Visegrád, l’Initative des Trois mers ou le Triangle de Weimar.
Paweł Soloch