Pierre LÉVY: Pour nous, la Pologne a vocation à être au cœur de l’Europe

Pour nous, la Pologne a vocation à être au cœur de l’Europe

Photo of Pierre LÉVY

Pierre LÉVY

L'Ambassadeur de France en Pologne.

Ryc.Fabien Clairefond

Autres textes disponibles

Il s’agit simplement de continuer à écrire l’histoire et non de tenir la plume pour d’autres puissances – écrit Pierre LÉVY

Pour les passionnés d’histoire, si nombreux en France et en Pologne, 2018 est exceptionnellement riche. Cette année est marquée pour les Français et les Polonais de nombreux anniversaires. En 1918, la fin de la Première Guerre mondiale et l’indépendance retrouvée de la Pologne. En 1968, les manifestations étudiantes dans nos deux pays. Mais à chaque fois, l’histoire et la mémoire se distinguent entre nos deux pays. En 1918, les Français peuvent souffler en paix tandis que la guerre continue à l’Est pour la Pologne avec le soutien de la France, dont un certain capitaine de Gaulle dans la mission militaire française. En 68 la France ne connut pas la répression et la haine déferlant en Pologne. Nous nous sommes enfin retrouvés avec le tournant des années 90’s : la chute du Mur de Berlin, la dislocation du bloc soviétique, l’avènement de la démocratie et le retour de la Pologne dans la famille européenne qui conduit à notre relation actuelle.

Puisons dans cette histoire commune une énergie renouvelée pour l’avenir. Car les acquis d’aujourd’hui en sont les fruits les plus spectaculaires et tangibles : l’exceptionnelle réussite de la Pologne dans une UE qui lui a apporté sécurité et prospérité, comme jamais dans son histoire tourmentée, ainsi que le remarquable développement de la relation franco-polonaise dans tous les domaines.

La Pologne est le premier partenaire commercial de la France en Europe centrale et orientale (17 Mds € d’échanges annuels en 2017) et la première destination des investissements français dans la région (stock de près de 18 Mds € en 2017, représentant environ 1000 entreprises françaises qui emploient près de 250 000 salariés). La coopération scientifique et universitaire est très importante avec 78 doubles diplômes, le programme d’actions intégrées Polonium et des relations institutionnelles développées entre les principaux organismes de recherche français et polonais (CNRS et Académie Polonaise des Sciences). L’université de Varsovie héberge le Centre de civilisation française et d’études francophones (CCFEF), pôle de recherche et de débats. L’Institut français à Varsovie et à Cracovie et le réseau des 7 Alliances françaises sont bien inscrits dans le paysage culturel polonais. Le lycée français de Varsovie, portant le nom de René Goscinny, père d’Astérix, fêtera en 2019 son centenaire.

Il nous faut bâtir sur ces acquis pour porter la relation encore plus haut dans une Union européenne renforcée. Au plan économique, l’Europe sort de la crise et le contexte est favorable pour aller de l’avant. L’environnement international instable nous pousse aussi à l’action. Face aux menaces à l’Est et au Sud, aux atteintes à la sécurité collective, aux incertitudes pesant sur le système commercial multilatéral, l’UE doit être à l’initiative.

Nous sommes au début d’une nouvelle séquence européenne. En France, le président de la République, élu sur un programme très européen, est déterminé à appliquer ses convictions profondes : faire de l’UE un espace de croissance, combinant compétitivité et cohésion sociale, un espace de sécurité, fondé sur des valeurs communes. L’année prochaine marquera aussi le début d’un nouveau cycle politique, avec les élections au Parlement européen à Strasbourg et le renouvellement institutionnel européen.

Dans l’immédiat, nous avons à relever des défis structurants pour l’avenir de notre construction commune : le Brexit, qui doit nous conduire à bâtir dans l’unité une nouvelle relation étroite avec le Royaume Uni en préservant pleinement nos intérêts et le prochain cadre financier pluriannuel, c’est-à-dire le budget européen des années 2021-27. L’équation, de l’ordre de 1000 milliards d’euros, sera, cette fois, encore plus difficile à résoudre avec le départ du Royaume Uni, la nécessité de financer les politiques actuelles ainsi que de nouveaux besoins. Nous devrons être guidés par une question fondamentale : que voulons-nous faire ensemble ? Quelles sont nos priorités ? Quelle serait la valeur ajoutée européenne ?

L’Europe doit aussi contribuer à nous protéger. Les efforts engagés pour renforcer l’Europe de la défense doivent s’intensifier afin de permettre aux Européens de se doter des capacités de projection et de coopération industrielle. Ces atouts nous serviront dans le cadre des opérations européennes, celles de l’OTAN ou dans d’autres configurations. Convaincue que la sécurité des Européens est indivisible, la France est engagée à l’Est comme au Sud avec son modèle d’armée complet.

La transformation énergétique et la poursuite de la lutte contre le dérèglement climatique constituent un autre défi structurant. La prochaine échéance majeure est la COP24, à Katowice en décembre. La multiplication d’initiatives au plan local, en Pologne comme ailleurs, traduit la prise de conscience que la transition écologique est dans notre intérêt bien compris et qu’elle contribuera à la modernisation de nos économies et de nos modes de vie. L’électromobilité en est un bon exemple. Dans le domaine numérique, l’UE doit être en pointe pour protéger les données personnelles et promouvoir l’innovation à travers la puissance du marché unique du numérique. Enfin, la transformation éducative doit aussi s’appliquer : développer Erasmus, sans doute le programme européen le plus connu ; favoriser la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs ; créer des universités européennes. La Sorbonne y travaille avec l’UW et d’autres universités européennes de premier plan.

Nos idées sont sur la table avec les discours prononcés par Emmanuel Macron à la Sorbonne et devant le Parlement européen. Tout est proposé, rien n’est imposé. A la Pologne de déterminer comment elle entend se positionner dans cette séquence. Pour nous, elle a vocation à être au cœur de l’Europe. Le principe européen d’unité dans la diversité doit s’appliquer : avancer dans l’unité est nécessaire, mais l’unité ne signifie pas uniformité.

.Au moment où l’ordre international multilatéral construit depuis 1945 est contesté, le choix des Européens est clair : soit ils décident de prendre leur destin en mains, soit les autres puissances mèneront le jeu sans nous ou – pire encore – contre nous. C’est tout le sens de la souveraineté européenne dont parle le président de la République. Il s’agit simplement, oserais-je dire, de continuer à écrire l’histoire et non de tenir la plume pour d’autres puissances. Nous le devons à nos jeunes générations qui ont la chance de vivre dans des démocraties à une période préservée de la guerre.

Pierre Lévy

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 13/07/2018