Saint Jean-Paul II et l’écologie
Parler de St. Jean-Paul II et de l’écologie requiert au moins quatre brefs préalables:
- La Foi des chrétiens comporte une dimension sociale, d’amour et de solidarité (qui se retrouve dès le Pentateuque). Cela concerne la création toute entière : aussi la Terre avec ses écosystèmes, ses biomes.
- Nombre de Saints, avant Jean-Paul II, avaient réfléchi au rapport entre les humains et le reste de la création, notamment les animaux.
- Après la Constitution Gaudium et Spes du Concile Vatican II, Paul VI développa une vision intégrale de la pensée sociale catholique, proposant par exemple des liens entre l’écologie, la démographie, la morale, la sexualité, le développement des peuples, la technologie qui transforme la nature.
- Paul VI et la diplomatie du Saint-Siège s’intéressent beaucoup à l’écologie entre la fin des années 1960 et 1972. Il a été observé que ce travail dynamique s’est interrompu assez brusquement (sauf quelques initiatives, par exemple de la Commission “Iustitia et Pax”). N’explorons pas ici les possibles raisons de cette interruption, mais constatons simplement que, parler de Jean-Paul II et d’écologie, c’est parler du retour de l’écologie dans le magistère pontifical.
L’encyclique Redemptor hominis, quelques mois après le début du ministère pontifical du pape polonais, donne le ton : « Peut-être ne sommes-nous pas convaincus (…) par les paroles de l’Apôtre des nations (…), sur “la création (qui) gémit dans les douleurs de l’enfantement jusqu’à maintenant” et qui “attend avec impatience la révélation des fils de Dieu”, sur la création qui “a été soumise à la caducité”? Le progrès immense (…) qui s’est manifesté particulièrement au cours de notre siècle, dans le domaine de la mainmise de l’homme sur le monde, ne révèle-t-il pas lui-même, et à un degré jamais connu, cette soumission multiforme “à la caducité”? Il suffit de rappeler ici (…) la pollution de l’environnement naturel dans les lieux d’industrialisation ».
Pendant une décennie, plusieurs de ses encycliques et de ses exhortations font allusion aux défis écologiques. Laborem excercens en particulier, consacrée au travail, s’inquiète de la dimension éthique de la domination de l’humanité sur la nature, et de « l’augmentation du prix de l’énergie et des matières de base, la prise de conscience toujours plus vive du caractère limité du patrimoine naturel et de son insupportable pollution ». Reconciliatio et paenitentia synthétise la mission de l’Eglise comme « la tâche, pour elle centrale, de la réconciliation de l’homme avec Dieu, avec lui-même, avec ses frères, avec toute la création ». Sollicitudo rei socialis considère « le souci de l’écologie » comme un symptôme positif, et rappelle la primauté du principe de la destination universelle des biens par rapport à la propriété privée : cette dernière est nécessaire, certes, mais sur chaque propriété « pèse une hypothèque sociale, c’est-à-dire que l’on y discerne, comme qualité intrinsèque, une fonction sociale ». Un principe qui doit illuminer les réflexions sur les forêts, les surfaces cultivées et l’eau qui s’y trouve, le sous-sol et ses gisements, les mers.
Vient finalement ce qui reste considéré comme le premier message pontifical intégralement consacré à l’écologie : le Message pour la Journée mondiale de la Paix du 1er janvier 1990. D’après ce que des diplomates en activité à l’époque m’ont raconté, il eut une grande résonnance au niveau international. Le texte aborde une longue série de défis : la couche d’ozone et l’effet de serre ; les grandes concentrations urbaines ; la consommation d’énergie ; les effets négatifs de l’application de certaines découvertes dans le cadre industriel et agricole ; la combustion des carburants fossiles ; la déforestation incontrôlée ; l’usage de certains types de désherbants ; les altérations météorologiques et atmosphériques ; l’immersion possible des terres basses ; la destruction incontrôlée des espèces animales. Surtout, il établit un lien solide entre l’écologie et la morale : le problème écologique a des implications morales, et la destruction de l’environnement est « le résultat d’une vision réductrice et antinaturelle qui dénote parfois un véritable mépris de l’homme ».
Ces sujets sont repris peu après dans Centesimus annus. Les questions typiquement environnementales y sont associées à l’écologie humaine et à l’écologie sociale. Evangelium vitae proclame fortement la « culture de la vie », et le respect de l’environnement y sert de trampoline pour parler de la vie humaine : « Appelé à cultiver et à garder le jardin du monde, l’homme a une responsabilité propre à l’égard du milieu de vie, c’est-à-dire de la création que Dieu a placée au service de la dignité personnelle de l’homme, de sa vie, et cela, non seulement pour le présent, mais aussi pour les générations futures. C’est la question de l’écologie – depuis la préservation des “habitats” naturels des différentes espèces d’animaux et des diverses formes de vie jusqu’à l’“écologie humaine” proprement dite (…). Une certaine participation de l’homme à la seigneurie de Dieu est aussi manifeste du fait de la responsabilité spécifique qui lui est confiée à l’égard de la vie humaine proprement dite ».
Dans ses encycliques et ses discours, notamment ceux qu’il adresse à l’Académie pontificale des sciences ou à la FAO, Jean-Paul II s’intéresse à l’énergie solaire, aux problèmes agricoles et à l’eau, aux manipulations génétiques (en ayant sur ce dernier point une ouverture d’esprit qui peut surprendre ceux qui ne connaitraient pas ces positions sur ce sujet). Il condamne maintes fois le néomalthusianisme et le consumérisme. Le souci pour les agriculteurs – particulièrement proches de la nature et mis à l’honneur lors du Jubilé de l’an 2000 – et pour les peuples natifs ainsi que pour les droits de ces personnes et de leurs familles jalonne ses enseignements. Ses appels à la solidarité contre la désertification depuis Ouagadougou dénoncent la honte d’un développement injuste, boiteux, qui afflige une partie pauvre et souvent exploitée de l’humanité.
C’est bien une vision intégrale qui s’articule dans la pensée du pape de la « culture de la vie ». La diplomatie du Saint-Siège, pendant son pontificat, travaille à promouvoir ses positions, par exemple lors de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (Rio de Janeiro 1992) et le Sommet sur le développement durable (Johannesburg 2002).
Les encycliques Caritas in veritate (2009) et Laudato si’ (dont nous allons bientôt célébrer les 5 ans) continueront la réflexion de Jean-Paul II.
.Je souhaite conclure en revenant sur un geste, humble et tellement symbolique : le baiser sur le sol, à son atterrissage, dans les pays qu’il visite. Cela peut être interprété comme le geste d’un pasteur qui traite les nations, leur territoire et leurs cultures avec respect et affection ; et encore comme une façon de sanctifier le territoire entier du pays visité, avec ses urbanisations, ses forêts, ses campagnes, où se déroule l’aventure humaine.
Tebaldo Vinciguerra,
Officiel du Dicastère pour le Service du Développement Humain Intégral