Hanna NENCKA COMBE: Contre tous les mauvais vents

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Hanna NENCKA COMBE

Diplômée en physique théorique à l’Université Adam Mickiewicz de Poznań, sa thèse à l’Institut de Physique moléculaire est récompensée par le prix de l’Académie des Sciences polonaise. Elle travaille au Centre des mathématiques à Madère et à l’Université Columbia à New York. Auteure d’environ 60 travaux traitant des modèles en réseau des théories de jauge, des théories des opérateurs fractals et de la géométrie des variétés statistiques.

Le 7 novembre de cette année nous fêtons le 150e anniversaire de la scientifique Marie Curie-Skłodowska. Pour moi, elle reste éternellement jeune et vivante. Elle m’accompagne depuis toujours – ecrit Hanna NENCKA COMBE

.C’était en octobre 1903. Leon Nencki, chimiste, médecin, activiste social et frère de mon arrière-grand-père, triomphait. Son élève de l’Université volante a reçu le prix Nobel en physique. La plus prestigieuse récompense a été décernée à trois scientifiques : à Henri Becquerel, pour sa découverte de la radioactivité et aux époux Pierre et Marie Curie, pour leurs recherches sur ce phénomène ainsi que pour la découverte du polonium et du radium.

Déjà l’année précédente, en 1902, on connaissait les effets thérapeutiques du radium radioactif. Leon Nencki, persuadé que son rôle était la popularisation auprès de tous les Polonais des connaissances sur l’essence de la radioactivité, sur les découvertes des époux Curie ainsi que sur ses applications thérapeutiques, donnait des conférences dans des assemblées de sociétés scientifiques varsoviennes, rencontrait les médecins de Varsovie et ceux de la région de Kalisz et de Łódź. Il parlait des possibilités d’application du radium en médecine. Nencki était également invité par des organisations féministes. Ses interventions avaient pour sujet aussi l’utilisation de la découverte de Marie Curie-Skłodowska dans le traitement des cancers. Il allait partout : à Łódź, Pabianice, Sieradz, Piotrków.

Bientôt la mort l’a enlevé, mais ses émules continuaient son oeuvre et parlaient de la célèbre Polonaise, de ses recherches et des possibilités qu’offraient ses découvertes. Le personnage de la scientifique gagnait de plus en plus en importance, et les filles, encouragées par son exemple, finissaient par se décider à entamer des études en sciences naturelles et en médecine dans différentes universités européennes.

.En 1911, Marie Curie-Skłodowska devient, pour une deuxième fois, lauréate du prix Nobel, cette fois-ci en chimie, pour avoir isolé du radium métallique et prouvé l’exsitence dans la nature de deux nouveaux éléments chimiques. À la même époque, les médecins de la région de Kalisz et Łódź tirent la sonnette d’alarme. Le nombre de femmes malades d’un cancer a fait une envolée spectaculaire là-bas. En 1913, Edward et Matylda Herbst font un don de 20 mille roubles à une oeuvre caritative lodzienne pour l’achat d’un gramme de radium en vue de créer un établissement de soins ayant recours à la curiethérapie. Pourtant, ces 20 mille roubles ne suffisent pas à acheter le très cher gramme de radium. Łódzkie Chrześcijańskie Towarzystwo Dobroczynności (Action caritative chrétienne de Łódź) dédie cette somme à l’achat de seulement 54 milligrammes de bromure de radium qui arrive à Łódź au début de 1914.

Cependant, la Première guerre éclate. Dans cette situation, il n’est plus question de créer un établissement de soins pour les femmes malades. Il ne verra le jour qu’en 1926. En France, Marie Curie-Skłodowska veut se rendre utile pendant la lourde épreuve de la guerre et a l’idée de créer un service radiologique pour les examens à rayons X des blessés. Néanmoins, elle est parfaitement consciente que la France manque aussi bien d’hôpitaux disposant d’appareils roentgen que de spécialistes radiologues. Elle fait donc un inventaire de ces appareils et, en même temps, apprend la radiologie.

Le Ministère de la Guerre français l’autorise à créer un service radiologique. Se rendant compte que transporter les blessés peut s’avérer dangereux pour leur vie, Marie Curie-Skłodowska opte pour la possibilité de rapprocher les appareils à rayons X au plus près de la ligne de front. Mais comment le faire ? Elle crée donc un réseau d’unités radiologiques mobiles, en équipant les véhicules en appareils nécessaires. Elle arrive à trouver 200 voitures de tous types, qui seront équipées d’une dynamo de 110 volts/15 ampères, un appareil à rayons X, le nécessaire équipement photographique, des rideaux, quelques écrans et des gants de protection pour les techniciens. Grâce à ces ambulances mobiles, Maria Curie-Skłodowska peut se rendre en personne sur la ligne de front. En 1914, sa fille Irène la rejoint, et quand Marie Curie-Skłodowska forme le personnel radiologique, Irène la remplace sur la ligne de front en effectuant des examens à rayons X des blessés.

Grâce à ce réseau radiologique mobile, mise en oeuvre par Marie Curie-Skłodowska, plus d’un million de soldats blessés sont sauvés de la mort certaine.

C’était en octobre 1964. Le soir est tombé sur la petite ville. Ma mère, ma grand-mère et moi étions en train de dîner. J’avais huit ans et, ce soir-là, je n’arrêtais pas de bouder et de pleurnicher car on m’avait catégoriquement exclue, en tant que petite fille, des jeux. Un copain m’avait expliqué que les filles ne pouvaient pas jouer aux découvreurs et aux explorateurs tout simplement parce qu’elles sont des filles. Ce soir-là le téléviseur était ouvert et il y avait les informations. Le présentateur racontait quelque chose n’arrêtant pas de répéter le nom d’une certaine Marie. L’écran grouillait de gens vêtus de robes sombres et longues, tous portant d’étranges couvre-chefs. Le cortège de ces personnages avançait lentement le long des couloirs pour s’arrêter enfin dans une grande salle très éclairée. Il s’est avéré que c’était des célébrations à l’université de Lublin portant le nom de Marie Curie-Skłodowska. Ma mère et ma grand-mère écoutaient avec une espèce de dévotion, oubliant complètement de surveiller ce que j’étais en train de faire, comment je le faisais et surtout si je continuais à manger. Comme ma mère et ma grand-mère me l’ont expliqué, Marie Curie-Skłodowska était une grande chercheuse de la nature qui avait fait des découvertes incroyables. L’autorité de mon copain Krzysiek s’est évaporée aussi sec. J’ai compris que les femmes pouvaient, elles aussi, accomplir des découvertes et qu’un monde encore inexploré existait autour de nous. Marie Curie-Skłodowska a eu le courage de lever, contre toutes adversités, le voile du secret de la nature et était celle qui a su se poser des questions. Depuis, je n’ai pas arrêté de bombarder mes professeurs de questions.

À l’école primaire, nous avons eu un excellent professeur de physique, un vrai enthousiaste. Après la leçon, pendant la récréation, il restait avec nous en salle de physique et faisait de belles expériences. C’était une époque où je lisais, avec ferveur, un livre sur Marie Curie-Skłodowska. Un jour d’hiver, à mon retour de l’école, j’ai décidé de faire des expériences physiques à la maison, en commençant par réparer un vieux poste de radio. Mes expériences domestiques s’arrêteront vite et avec un feu d’artifice. J’ai passé un temps sur les lampes, le câble électrique, ici j’ai vissé quelque chose, là j’ai coupé, et, fière de moi, j’ai mis en marche ce vieil appareil. Ce qui est arrivé ensuite a dépassé mes rêves. Une lueur bleue, une énorme étincelle, le tout accompagné d’un bruit… et la lumière s’est éteinte d’un coup. Le feu d’artifice inespéré a réveillé ma grand-mère qui m’a demandé ce qui s’y passait. J’ai fait sauter les plombs dans tout notre immense immeuble. La confusion a éclaté dans la cage d’escalier. Tous les voisins discutaient, on a vite fait venir le dépannage électricité, on a cherché les raisons de la panne. On ne pouvait pas savoir que Marie Curie-Skłodowska y était un peu pour quelque chose. Les ténèbres ont duré longtemps.

Quelques années plus tard, j’ai entamé des études de physique à l’université de Poznań. J’ai acheté plein de livres, en y dépensant presque tout mon argent. J’ai passé des nuits entières à étudier, tellement considérables étaient mes lacunes en mathématiques et physique.

.L’exemple de Marie Curie-Skłodowska avait néanmoins une énorme emprise sur moi. Bientôt, j’ai commencé à recevoir des distinctions pour enfin obtenir l’autorisation d’entamer des études en mode individuel. J’ai écrit une thèse en physique mathématique, récompensée par le prix de l’Académie des Sciences en 1984. Quand j’ai reçu ce prix si honorifique, j’avais une bourse d’études et je travaillais sur la construction d’un modèle de l’univers précoce à l’échelle de Planck avec François Englert (prix Nobel en 2013). Pendant des années, je me suis occupés à résoudre différentes énigmes de la nature, mais uniquement parce que, petite fille, j’y avais été incité par le bel exemple de la scientifique polonaise. Beaucoup de chercheuses, physiciennes, chimistes, naturalistes, mathématiciennes, ingénieures se sont, à un moment de leur vie, construites sur son exemple. Grâce au magnifique livre d’Ève Curie, Marie Curie-Skłodowska a pu rester entre nous pour toujours et exercer une influence sur les progrès de l’étude de la nature.

Pendant de longues années, loin de la Pologne, j’ai donné des cours à des étudiants en physique nucléaire et, avec une fierté indicible, je leur ai toujours parlé de la découverte du polonium et du radium. Un jour, on m’a demandé aussi de donner quelques leçons de physique à des enfants de huit et dix ans. C’était un défi très intéressant, je me demandais comment on pouvait initier des enfants aussi petits à la physique. J’ai pensé alors au livre de Marie Curie-Skłodowska intitulé Leçons de Marie Curie. En me basant sur ce petit livre que j’ai lu très attentivement, et en apportant quelques modifications, j’ai réalisé mes propres leçons. À ma grande joie, les enfants étaient aux anges, ont participé très activement à mes leçons, regardé avec admiration mes expériences, et … posé des questions. Maintenant, après des années, je sais que quelques-uns d’entre eux ont choisi des études en sciences exactes. J’espère secrètement que les leçons de Marie Curie-Skłodowska y ont été pour beaucoup.

Le 7 novembre de cette année nous fêtons le 150e anniversaire de la scientifique Marie Curie-Skłodowska. Pour moi, elle reste éternellement jeune et vivante. Elle m’accompagne depuis toujours. Le président de la République de Pologne Ignacy Mościcki, dans sa lettre de condoléances adressée à Irène Joliot-Curie pour la mort de sa mère, écrivait : La Pologne perd, en la personne de feu Madame Curie-Skłodowska non seulement une scientifique qui a honoré le nom de sa patrie dans le monde entier, mais une grande citoyenne, qui, durant toute sa vie, n’a cessé de veiller aux intérêts de sa nation.

.Je pense que la Pologne n’a jamais perdu et ne perdra jamais Marie Curie-Skłodowska, parce qu’elle vit toujours en nous.

Hanna Nencka Combe

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 04/11/2017
Traduction: Andrzej Stańczyk