Jan PARYS: Conséquences internationales de l'agression russe contre l'Ukraine en 2022

Conséquences internationales de l'agression russe contre l'Ukraine en 2022

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Jan PARYS

Homme politique, sociologue et publiciste, ministre de la défense nationale de 1991 à 1992.

Ryc. Fabien CLAIREFOND

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L’agression russe a radicalement changé la situation de l’Ukraine. Le pays se bat pour son intégrité territoriale depuis le 24 février 2022. Il subit également d’énormes pertes humaines et matérielles. L’Ukraine n’a jamais menacé la Russie, mais elle est devenue un objet d’agression à des fins impériales.

.Les pays de l’OTAN sont voisins des pays qui participent à la guerre. Plus d’un demi-million de soldats sont impliqués dans la guerre des deux côtés. Néanmoins, lors de l’invasion russe de l’Ukraine, les consultations des pays de l’Alliance au titre de l’article 4 du traité de l’Atlantique Nord n’ont pas été lancées, la « lance de l’OTAN » n’a pas été utilisée, les unités créées dans le cadre de l’initiative 30 fois 30 de l’année 2018 n’ont pas été déployées à l’est, les missiles Patriot n’ont pas été installés autour de l’isthme de Suwałki, bien que ce soit la région la plus menacée d’Europe. Comment de telles actions de l’alliance sont perçues par Vladimir Poutine ? Cela prouve-t-il la crédibilité de l’alliance ?

La défense de l’Ukraine est possible car plusieurs pays occidentaux apportent à ce pays une aide militaire et matérielle. La volonté de fournir une aide à l’Ukraine par les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Pologne, la Roumanie, les États baltes et d’autres a été une surprise pour la Russie. La guerre, qui devait durer seulement quelques jours, dure maintenant depuis plusieurs mois. Aujourd’hui, la Russie se prépare à mener une guerre longue. Sur la base de la décision de Poutine, plus de 1 000 entreprises en Russie ont commencé à travailler sous un régime militaire. Aucun appel occidental ou sanction économique n’a poussé la Russie à renoncer à ses plans de conquête de l’Ukraine. L’Europe est donc le champ d’une vraie guerre pour la première fois depuis 1945. Les combats en Ukraine ne sont pas un conflit frontalier mineur à la périphérie ou un conflit de pouvoir à l’intérieur d’un pays.

La guerre entre la Russie et l’Ukraine se déroule sur le territoire de l’Ukraine, mais elle affecte la sécurité de toute l’Europe. Elle détruit le système international existant. En ce sens, cette guerre touche tous les pays du monde. Désormais, aucun pays de l’hémisphère nord ne peut se sentir en sécurité. L’ancien monde caractérisé par une certaine stabilité n’existe plus. Le 24 février, Vladimir Poutine a abandonné le concept de coexistence pacifique au profit de la confrontation armée et de la division du monde en camps hostiles. Aujourd’hui, nous avons un monde qui défend la paix et un autre monde qui veut changer l’ordre géopolitique actuel par la confrontation militaire. Après des années de la politique de stabilité, la Russie a décidé de revenir à la construction d’un monde bipolaire. Le moment de la stabilité – comme nous pouvons le voir maintenant – était seulement une période de pause dans l’expansion de la Russie afin que la Russie puisse se renforcer après avoir perdu la guerre froide. Aujourd’hui, la Russie revient à son ancienne politique. Elle veut retrouver ses zones d’influence dans leur configuration nouvelle.

Nous sommes donc actuellement confrontés à une situation internationale complètement nouvelle. Après la Seconde Guerre mondiale, les grandes puissances ont créé les Nations Unies, c’est-à-dire une organisation dont la tâche est de protéger la paix dans le monde. Cette obligation a été imposée principalement aux puissances militaires membres permanents du Conseil de sécurité. La Russie dispose également d’un siège permanent au sein de ce Conseil. Maintenant il s’est avéré que le pays qui devrait protéger la paix a commencé une agression afin de modifier les frontières en Europe par la force militaire. Cela signifie que Vladimir Poutine a consciemment détruit le système de sécurité internationale dont la Russie était coresponsable depuis 1945.

Le comportement de la Russie envers l’Ukraine est un exemple très négatif pour les autres pays. La Chine a intensifié ces derniers mois ses menaces dirigées contre Taïwan. En plus des attaques politiques, nous assistons également à des exercices intenses de l’aviation chinoise autour de ce pays. Les autorités de Pékin ont publiquement remis en question l’existence de Taiwan en tant qu’état souverain. Elles annoncent ainsi le rattachement de Taiwan à la Chine, même si cela devrait se faire par la force. Ainsi, nous avons une seconde puissance mondiale qui entre dans la politique d’affrontement militaire.

La conduite de la Russie en Ukraine et les plans de la Chine envers Taiwan créent une situation complètement nouvelle. Nous ne pouvons pas considérer qu’il s’agit des affaires intérieures de la Russie et de la Chine. Tous les pays du monde sont confrontés à une situation dramatique. Si nous reconnaissons que les pays les plus forts peuvent impunément frapper des pays plus faibles, le monde connaîtra bientôt une série de guerres. Au lieu de la stabilisation nécessaire au développement, nous aurons le chaos dans le monde entier. Par conséquent, la réaction de l’opinion publique et des hommes politiques à la guerre en Ukraine est tellement importante. Car ce n’est pas seulement le sort de l’Ukraine qui est en jeu. La question est de savoir si nous acceptons la modification de frontières par la violence. Quiconque se tait aujourd’hui sur l’agression ou qui prétend que la guerre ne le concerne pas parce que Kiev se trouve loin est très naïf. L’agression contre l’Ukraine est un précédent qui crée une nouvelle situation internationale. Une situation qui est dangereuse car elle viole les principes qui garantissaient la paix en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si le monde dépend de la bonne volonté de certains hommes politiques, nous pourrions bien entrer dans une ère d’anarchie internationale. Personne ne sortira gagnant de cette évolution, elle ne profitera ni aux états forts ni aux états plus petits. Nous pouvons déjà constater que la guerre en Ukraine a provoqué un déficit et une augmentation des prix des matières premières et des denrées alimentaires, ce qui affecte de nombreux pays à travers le monde.

Aujourd’hui nous savons que divers appels visant à arrêter la guerre en Ukraine n’ont donné aucun effet. Pendant plusieurs semaines, certains hommes politiques ont eu l’illusion qu’ils auraient pu convaincre Poutine à arrêter son agression, qu’il valait pour lui la peine de revenir aux anciennes frontières et aux anciens intérêts. En introduisant des sanctions économiques au lieu d’une implication militaire, les états occidentaux ont tenté d’arrêter l’agression russe en utilisant des méthodes non militaires. Cela a échoué. En l’absence d’un succès militaire rapide, la Russie a commencé à adapter son industrie d’armement aux besoins de la guerre. Elle est donc déterminée à poursuivre un long conflit armé. Elle considère la guerre en Ukraine comme une guerre contre l’Occident pour l’influence dans le monde. Elle espère que certains États occidentaux, intéressés seulement par leur prospérité économique, perdront leur volonté de soutenir les défenseurs de l’Ukraine. Les hommes politiques occidentaux sont souvent impatients : lorsque leurs plans échouent, ils recherchent rapidement une stratégie différente. C’est sur quoi compte Vladimir Poutine. Fatiguée et ennuyée par la guerre, l’opinion publique occidentale est la meilleure alliée de Poutine. Il pourrait bientôt s’avérer que les défenseurs des règles du droit international sont minoritaires, tandis que les partisans de la soumission à la force gagnent du terrain.

Que peuvent et doivent donc faire ceux qui craignent qu’après une agression il y en aura une autre et que le monde se retrouvera dans le chaos ? Il est déjà clair aujourd’hui que des appels et des demandes adressés à l’agresseur ne sont pas efficaces. Je suis convaincu qu’aucun mot n’arrêtera jamais un homme méchant armé. Ce dernier ne peut être arrêté que par un homme bon avec une arme, c’est-à-dire quelqu’un qui est prêt à défendre la paix, même si cela signifie qu’il est nécessaire de se battre pour la paix. Cela signifie que si nous voulons la paix, nous devons être prêts à défendre la stabilité mondiale. Quiconque limite la fourniture d’armes à l’Ukraine réduit les chances de victoire sur l’agresseur et ainsi aide l’agresseur. Un monde sûr est possible seulement si l’agresseur est arrêté. L’agression ne peut profiter à personne. L’agresseur doit payer pour les torts qu’il a commis. Punir l’agresseur est une condition nécessaire pour que les générations futures vivent dans un monde de sécurité. Pour faire face à d’importants enjeux sociaux, climatiques, environnementaux et sanitaires, il faut d’abord assurer un système de sécurité stable dans le monde. Aucun problème ne peut être résolu lorsque le monde est un champ de bataille. Il faut donc dire clairement qu’un homme politique qui adopte une attitude d’observateur face à la guerre contribue à la déstabilisation du système international. Celui qui est neutre envers la guerre en cours devient son partisan. Il assume non seulement la responsabilité des torts et des crimes commis en Ukraine, mais il expose l’Europe à la déstabilisation et son pays à l’agression. Car l’agresseur, dès qu’il obtiendra des succès, ne s’arrêtera pas, mais attaquera d’autres pays.

Arrêter la guerre est possible, mais cela nécessite un effort conjoint de nombreux pays. Si les pays européens se laissent diviser contre l’agresseur, l’avenir de l’Europe se retrouvera en question. Parce qu’aucun pays européen ne peut à lui seul arrêter un agresseur comme la Russie. Aujourd’hui nous savons que sans l’aide des États-Unis, la défense de l’Ukraine aurait duré seulement quelques jours. Cela montre à quel point le potentiel de l’Europe est négligeable vis-à-vis de la puissance militaire russe. Les ambitions des pays européens de jouer un rôle mondial n’ont aucun fondement dans le développement de leur industrie ou dans leur potentiel militaire. Ce qui plus est, nous sommes confrontés à des erreurs liées à la politique énergétique que les hommes politiques allemands ont imposée à l’Europe au fil des ans. Aujourd’hui, l’Allemagne – le plus grand pays d’Europe – est un pays de facto dépourvu de souveraineté, car les hommes politiques de Berlin n’ont pas la liberté de prendre des décisions politiques. Le sort de l’économie allemande – et donc de l’état allemand tout entier – dépend du caprice de Poutine. L’Europe ne dépend pas seulement des matières premières étrangères, elle a perdu son indépendance dans de nombreux domaines : par exemple, elle ne produit plus certains médicaments nécessaires, ne sait pas produire de microprocesseurs, etc. Dans cette situation, les pays européens ne peuvent pas garantir la santé de leurs citoyens ni assurer une production industrielle moderne sans coopérer avec des régimes hostiles. De cette manière, l’Europe, prenant des décisions idéologiques, a négligé des domaines importants et par conséquent, elle dépend de la bonne volonté des hommes politiques des pays qui ne nous sont pas amis. Cela constitue une preuve d’une politique très myope menée à Bruxelles depuis de nombreuses années. C’est la preuve que l’idée d’une économie mondiale – poursuivie par l’Union européenne – était un faux concept. C’était une politique qui ignorait les questions de sécurité et les menaces extérieures et qui créait consciemment des conflits idéologiques artificiels au sein de l’Europe. Aujourd’hui, il est clairement visible que dans l’Union européenne, certaines décisions avaient été prises sur la base des idées promues par des lobbyistes sans aucun débat de fond et sans tenir compte des opinions exprimées par des experts de différents pays.

Aujourd’hui, la Russie doit être mise devant un choix : respecter le statu quo ou faire face à une résistance armée. Moscou doit savoir qu’il n’y aura aucune concession par rapport à son agression. Toute agression militaire en Europe signifie que la Russie s’engage sur la voie de la guerre. La politique actuelle de la Russie signifie que dans les années à venir, la situation internationale sera déterminée par des pays à fort potentiel militaire. La sécurité de l’Europe dépend donc avant tout de la puissance des états du flanc oriental de notre continent. Pour des raisons de sécurité, il est de l’intérêt de toute l’Europe que les pays de l’Est – de la Roumanie à la Pologne – disposent de structures étatiques, industrielles et militaires fortes. Parce que ces pays sont les premiers à assumer la charge de défendre l’Europe sur le front de l’est. Cela devrait être une priorité de l’action de l’Union européenne. Malheureusement, la Commission européenne continue d’agir comme si elle ne comprenait pas la nouvelle situation sécuritaire.

Les garanties réelles concernant la sécurité européenne dépendent aujourd’hui du nombre de soldats en état de combattre, qui seront stationnés dans les pays chargés de la défense du flanc oriental de l’Europe. Jusqu’à présent, les pays les plus riches de l’Europe occidentale sont incapables de déployer plus de troupes pour défendre le flanc oriental que les États-Unis. Ce n’est guère normal. Cela signifie que certains pays européens ne veulent pas dissuader l’agresseur et empêcher une attaque ultérieure contre l’Europe.

.Tous les partisans d’une trêve entre la Russie et l’Ukraine doivent se rappeler qu’aujourd’hui une telle trêve signifierait l’occupation russe de plus de 20 % du territoire ukrainien. De nombreux hommes politiques occidentaux ne veulent pas se souvenir que Poutine ne cache pas ses intentions agressives qui concernent également d’autres pays, non seulement l’Ukraine. Dans l’ultimatum que la Russie a soumis aux pays occidentaux en décembre 2021, Poutine a clairement indiqué qu’il n’acceptait pas l’ordre international actuel. Il veut des changements géopolitiques en Europe, il veut surtout y limiter l’influence américaine. Cela signifie, en bref, qu’il veut pouvoir exercer un contrôle militaire et politique sur toute l’Europe. À la lumière des intentions de la Russie, le dilemme essentiel du choix entre la sécurité et la coopération avec Moscou doit être résolu définitivement et sans équivoque. 

Jan Parys

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 22/08/2022