Karol POLEJOWSKI: Le pape qui fit chuter les murs

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Karol POLEJOWSKI

Historien médiéviste, docteur en sciences humaines, professeur d'université, président adjoint de l'Institut de la mémoire nationale depuis 2021.

Ryc. Fabien Clairefond

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Jean-Paul II a rapidement conquis les cœurs des gens du monde entier. Et tout aussi rapidement, il est devenu la terreur des apparatchiks communistes, qui le percevaient comme un danger mortel pour le maintien de leur mainmise.

.«Ce n’est pas dieu possible !», s’exclama au téléphone Edward Gierek, le numéro un de l’appareil communiste polonais. C’était le soir du 16 octobre 1978. Gierek avait appris peu de temps auparavant par Stanisław Kania, l’un de ses proches collaborateurs, que le Collège des cardinaux avait élu Karol Wojtyła comme pape.

À Cracovie, où Wojtyła était archevêque, des foules, en toute spontanéité, se rassemblaient déjà sur la place du Marché. La joie se répandait également dans d’autres villes du pays. Pour les communistes, qui considéraient l’Église comme un ennemi et une menace, ce qui s’était produit n’annonçait rien de bon. En ouvrant la réunion du Politburo le 17 octobre, Gierek déclara ouvertement : « Camarades, nous avons un problème. » Mais même lui ne pouvait probablement pas prévoir l’énorme problème que Jean-Paul II allait poser à l’ensemble du bloc de l’Est.

Le testament de Lénine remis en cause

.«La religion est l’opium du peuple» déclara, dans la moitié du XIXe siècle, Karol Marx. Ces mots furent repris quelques décennies plus tard Vladimir Lénine. Dans l’État soviétique totalitaire, qui cherchait à contrôler chaque sphère de la vie des citoyens, la liberté constitutionnelle de religion était un paravent qui cachait une lutte impitoyable, voire obsessionnelle, contre le christianisme. Avec la même impitoyabilité, les Soviétiques commencèrent à combattre l’Église dans les territoires polonais de l’est, conquis en 1939 en vertu du pacte entre Joseph Staline et Adolf Hitler.

Au même moment, les Allemands réprimaient férocement l’Église dans la Pologne occidentale et centrale occupée. En conséquence, un ecclésiastique polonais sur cinq est mort pendant la Seconde Guerre mondiale. « Mais les autres sont restés. Beaucoup. Je ne les laisserai pas agir, penser, respirer », assure dans le film Karol, l’homme qui devint pape un officier des services secrets communistes, Julian Kordek. Nous sommes en 1946. Le jeune Wojtyła est ordonné prêtre et, dans la Pologne d’après-guerre – livrée par les Alliés au bon vouloir des Soviétiques –, la lutte contre l’Église reprend. Et bien que Kordek soit un personnage de fiction, le film reflète fidèlement les méthodes des communistes : les prêtres sont enfermés dans des prisons, le primat Stefan Wyszyński est interné en 1953 et Wojtyła est entouré d’informateurs des services secrets. La répression doit briser l’Église et l’esprit des Polonais.

Ce calcul ne fonctionna pas. Déjà les célébrations du Millénaire du baptême de la Pologne en 1966, précédées d’un programme pluriannuel de la Grande Neuvaine, furent clairement un témoignage que la nation ne s’était pas laissé intimider et séculariser, et que l’Église catholique restait une institution puissante et véritablement indépendante. Malgré les difficultés causées par les autorités, des centaines de milliers de Polonais participèrent aux célébrations.

Un autre grand pas sur la voie du réveil national fut la première visite de Jean-Paul II en Pologne, en juin 1979. Quelques mois plus tôt, lors de l’inauguration solennelle de son pontificat, il pronoça ces paroles significatives : « N’ayez pas peur ! », adressées au monde entier, mais particulièrement importantes comme message aux sociétés derrière le Rideau de fer. Lors d’une homélie prononcée à Varsovie, sur la place de la Victoire, Jean-Paul II lança un autre appel, également entré dans l’histoire : « Que ton Esprit descende et renouvelle la face de la terre. Cette terre. »

Le pontificat qui changea le monde

.Ce désir, exprimé le 2 juin 1979, se concrétisa moins d’un an plus tard. En août 1980, une grève éclata au chantier naval de Gdańsk – alors chantier naval Lénine – pour se propager rapidement dans toute la Pologne. C’est ainsi que vit le jour le syndicat indépendant et autonome Solidarnosc, un mouvement social de près de dix millions de membres, indépendant des autorités communistes. Jean-Paul II soutint Solidarité dès le début et, en janvier 1981, il reçut ses leaders au Vatican.

Des nuages ​​sombres s’épaissirent à nouveau sur le chemin de la Pologne vers la liberté. En mai 1981, Mehmet Ali Ağca blessa gravement le pape. De nombreux indices laissent supposer qu’il agit pour le compte des services communistes bulgares – et que l’inspiration de l’attentat vint de Moscou. En décembre de la même année, Wojciech Jaruzelski, fraichement élu nouveau secrétaire général de la Pologne populaire, instaura la loi martiale pour en finir une fois pour toutes avec le syndicat Solidarnosc et sauver le régime rouge.

Mais rien ne pouvait arrêter l’avalanche de liberté. En juin 1983, le deuxième pèlerinage de Jean-Paul II dans sa patrie fut une bouffée d’oxygène pour l’opposition démocratique et apporta un nouvel espoir dans le cœur des Polonais. L’impuissance des communistes était à son comble. « Il ne nous reste désormais que de rêver que Dieu l’appellera dans son sein le plus tôt possible », déclara le ministre de l’Intérieur Czesław Kiszczak, bras droit de Jaruzelski, à propos du pape. Heureusement, ce terrible rêve ne se fit pas réalité. Les actions des services secrets communistes, qui firent tout pour neutraliser l’influence du Vatican, ne donnèrent pas non plus beaucoup de résultats.

Le pontificat de Jean-Paul II changea le visage d’autres sociétés aussi. Sa politique orientale, fondée sur la défense constante des droits de l’homme, porta également ses fruits en Ukraine soviétique, en Lituanie, en Tchécoslovaquie et dans d’autres pays du bloc de l’Est. Elle favorisait le renouveau religieux et national, renforçait les cercles d’opposition et sapait les bases du système communiste ; elle complétait parfaitement les actions du président américain Ronald Reagan, qui défiait ouvertement « l’empire du mal ».

Les effets tangibles apparurent à la fin des années 1980. En Pologne, les législatives de juin 1989 furent une victoire écrasante de Solidarnosc ; pour les communistes, ce fut une défaite après laquelle ils furent incapables de reprendre l’initiative. Bientôt, l’Automne des Nations apporta des changements démocratiques dans tout « l’empire extérieur » soviétique. Finalement, en 1991, l’URSS elle-même s’effondra.

Le retour de l’histoire

.Le politologue Francis Fukuyama s’est trompé, lorsqu’il a prédit la fin de l’histoire à la fin de la guerre froide. Sous le règne de Vladimir Poutine, les élites politiques et militaires russes n’ont de cesse de reconstruire l’empire. Jean-Paul II n’est plus parmi nous depuis 20 ans. Mais dans ces moments difficiles, nous pouvons encore puiser dans son esprit.

Karol Polejowski

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 15/05/2025