Mateusz MORAWIECKI: Les conditions de la survie et du développement de l'Europe

Les conditions de la survie et du développement de l'Europe

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Mateusz MORAWIECKI

Premier ministre de la République de Pologne.

Ryc.Fabien Clairefond

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Le Premier ministre polonais Mateusz MORAWIECKI a exposé sa vision de l’avenir de l’Europe dans un discours prononcé à l’Université de Heidelberg

.Que nous enseigne l’histoire de l’Europe ? Pour répondre à cette question, j’aimerais commencer par nos relations, celles entre Polonais et Allemands. Voisins depuis plus de onze siècles, nous avons vécu, travaillé, nous sommes préoccupés de nos problèmes et les avons résolus non seulement côte à côte mais souvent ensemble. Nous avons fondé nos premières universités à la même époque – à Cracovie en 1364, à Heidelberg en 1386. Au cours des siècles, il y a eu beaucoup de Polonais d’origine allemande ou d’Allemands d’origine polonaise et slave.

Aujourd’hui, Polonais et Allemands travaillent étroitement dans le domaine de l’économie, ce qui crée une interdépendance. La Pologne est la cinquième partenaire commerciale de l’Allemagne, après la Chine, les États-Unis, les Pays-Bas et la France. Bientôt, nous passerons à la quatrième place, dépassant la France. Et puis même à la troisième. Beaucoup ne s’en rendent pas compte, mais la Russie se classe seizième.

La Pologne, ensemble avec les autres pays du groupe de Visegrad, est aujourd’hui un partenaire bien plus important que la Chine ou les États-Unis. Il convient de noter à quel point l’Allemagne et la Pologne sont importantes l’une pour l’autre. Et bien que nous portions un regard différent sur certaines questions, nous continuons de partager de nombreux problèmes qui doivent être surmontés ensemble.

La Pologne continue de faire face au cruel héritage de la Seconde Guerre mondiale. Nous avons alors perdu notre indépendance, notre liberté et plus de cinq millions de citoyens. Les villes polonaises ont été mises en ruines et plus d’un millier de villages brutalement pacifiés. Et alors que l’Allemagne de l’Ouest pouvait se développer librement, la Pologne a perdu cinquante années de son avenir en résultat de la Seconde Guerre mondiale.

Je ne veux pas m’attarder sur cette question, mais il est impossible de l’ignorer : la Pologne n’a jamais reçu de réparation de l’Allemagne pour les crimes, les destructions et les spoliations des trésors de la culture nationale durant la Seconde Guerre mondiale.

Après tout, une pleine réconciliation entre un agresseur et sa victime n’est possible que lorsqu’il y a dédommagement. En ce moment crucial de l’histoire de l’Europe, nous avons plus que jamais besoin d’une telle réconciliation, car les défis auxquels nous sommes confrontés sont graves.

L’histoire de l’Europe, avec sa plus grande blessure – la Seconde Guerre mondiale – a jeté mon pays, avec tant d’autres, derrière le « rideau de fer » pour près d’un demi-siècle. Avec mes pairs, nous avons grandi, sommes allés à l’école, avons entrepris un travail ou des études à l’ombre des crimes communistes. Des millions de jeunes Européens vivant derrière le rideau de fer savaient qu’il y avait la liberté d’un côté et le colonialisme russe de l’autre. Souveraineté pour les uns, domination impériale pour les autres.

D’un côté, une Europe libre tant désirée. De l’autre, un totalitarisme barbare. La vie sous la botte de la Russie soviétique.

Si quelqu’un nous avait dit que nous verrions de nos yeux la fin du communisme, nous ne l’aurions pas cru. Comme la plupart des experts de la Russie soviétique en Occident.

Et pourtant, cela a eu lieu ! La Solidarité polonaise – Solidarność –, la guerre en Afghanistan, le pape Jean-Paul II et le durcissement de la position américaine pendant l’ère Reagan ont conduit à la chute du communisme criminel.

Le temps de la démocratie était venu.

Aujourd’hui, je voudrais souligner le rôle de la souveraineté de l’État-nation dans le maintien de la liberté des nations. La lutte des nations asservies d’Europe centrale était, en son cœur, une lutte pour la souveraineté nationale.

Cette question a uni tous les patriotes du large spectre politique parce que nous croyions que nos droits et libertés ne pouvaient être sauvegardés que dans le cadre d’États de nouveau souverains. Et nous avions raison. Cela était particulièrement évident pendant les périodes de crise sociale et économique. Même pendant la récente crise du COVID-19, nous avons vu que des États-nations efficaces étaient essentiels pour protéger la santé des citoyens.

Avant, lors de la crise de la dette, nous avons vu un conflit clair entre les pays du sud de l’Europe : la Grèce, l’Italie et l’Espagne et les institutions supranationales qui prenaient des décisions économiques en leur nom sans mandat démocratique. Dans les deux cas, nous avons atteint les limites de la gouvernance supranationale en Europe.

En Europe, rien ne sauvegardera mieux la liberté des nations, leur culture, leur sécurité sociale, économique, politique et militaire que les États-nations. D’autres systèmes sont illusoires ou utopiques. Ils peuvent être renforcés par des organisations intergouvernementales et même en partie supranationales, telles que l’Union européenne, mais rien ne peut remplacer les États-nations en Europe.

L’Europe est née bien avant la République américaine, dont l’unité s’est aussi forgée par une guerre civile. C’est pourquoi il est si trompeur de se référer à cette analogie historique. Tout système politique qui ne respecte pas la souveraineté, la démocratie ou la volonté élémentaire d’une nation, conduira tôt ou tard à l’utopie ou à la tyrannie.

C’est l’Europe chrétienne qui a donné naissance à une civilisation qui respecte la dignité humaine plus que toute autre. Cette civilisation mérite d’être protégée. Surtout face à des civilisations au cœur dur et de plus en plus fortes, qui ne se soucient guère des valeurs démocratiques et libérales. Nous voulons construire une Europe forte pour relever les défis mondiaux du XXIe siècle. C’est la taille de l’Union européenne qui en fait une force significative dans le monde, et non son système décisionnel de plus en plus incompréhensible.

Nous avons besoin d’une Europe qui soit forte grâce à ses États-nations, et non d’une Europe bâtie sur leurs ruines. Une telle Europe n’aura jamais aucune force, car la puissance politique, économique et culturelle de l’Europe découle de l’énergie vitale fournie par les États-nations. Les alternatives sont soit une utopie technocratique, que certains à Bruxelles semblent envisager, soit un néo-impérialisme, déjà discrédité par l’histoire moderne. La lutte des nations européennes pour la liberté ne s’est pas terminée en 1989. Cela se voit mieux à notre frontière orientale.

Je voudrais donc aborder maintenant une question d’importance vitale pour l’Europe. Il s’agit de l’Ukraine.

.Je parlerai de l’importance de la lutte de l’Ukraine du point de vue de nos valeurs européennes communes. De plus, j’exposerai les conclusions que nous devons en tirer.

Pour quoi les Ukrainiens se battent-ils vraiment aujourd’hui ? Pour quoi sont-ils prêts à risquer leur vie ? Pourquoi ne se sont-ils pas immédiatement rendus à la deuxième armée la plus puissante du monde ?

La lutte des Ukrainiens pour le droit à l’autodétermination nationale est une autre manifestation héroïque de la défense de l’État-nation et de la liberté. Mais, pour avoir la volonté de se battre, il faut vraiment croire en ce pour quoi on se bat.

Aujourd’hui, les Ukrainiens ne se battent pas seulement pour leur propre liberté. Depuis le 24 février 2022, ils se battent aussi au quotidien pour la liberté de l’Europe tout entière. Et c’est aussi notre avenir qui dépend du déroulement de cette guerre. La défaite de l’Ukraine serait celle de l’Occident. Du monde libre dans son ensemble. Une défaite plus grande que le Vietnam. Après une telle défaite, la Russie frapperait à nouveau en toute impunité et le monde tel que nous le connaissons changerait dramatiquement. Une longue série d’inconnus dangereux suivrait. La défaite du monde libre enhardirait Poutine, tout comme l’apaisement des années 1930 a enhardit Hitler.

Poutine, comme Hitler à l’époque, bénéficie également d’un énorme soutien public. Il n’est pas exagéré de dire que nous sommes confrontés à la menace d’une troisième guerre mondiale. Le moyen d’éviter ce scénario est d’arrêter de nourrir la bête.

L’histoire se déroule sous nos yeux.

Lorsque nos enfants liront leurs manuels scolaires, ils se demanderont si nous en avons fait assez pour leur assurer un avenir paisible. Avons-nous pensé à eux et au bien de nos pays à long terme ou seulement au confort à court terme et au report à plus tard des décisions difficiles ? Avons-nous appris des erreurs du passé ou continuerons-nous à les répéter ?

Pourquoi s’agit-il d’un tournant dans l’histoire européenne ?

.Juste avant le 24 février 2022, j’avais entendu dire que Poutine n’attaquerait pas l’Ukraine.

Beaucoup d’hommes politiques en Europe ont préféré le croire, espérant qu’il serait possible de poursuivre le Wandel durch Handel avec la Russie aux dépens de l’Europe centrale.

Dans ce contexte, permettez-moi de revenir à la question : pour quoi se battent les Ukrainiens ? S’ils ne se concentraient que sur les biens matériels et n’étaient pas unis par leur sens de la communauté, ils auraient abandonné depuis longtemps. C’est ce sur quoi Poutine comptait. Il pensait que les Ukrainiens choisiraient la paix plutôt que la liberté. Mais il avait tort.

Pourquoi ? Quelle a été l’erreur du Kremlin ? Poutine n’est pas un fou, comme voudraient le faire croire nombre de ceux qui font affaire avec lui depuis vingt ans. Poutine était aveuglé par sa propre vision du monde. Il était incapable de voir que les Ukrainiens sont une nation.

Et maintenant, ils ont enfin leur propre État-nation – bien qu’il soit loin d’être parfait – et ils sont prêts à sacrifier leur vie pour lui.

La propagande russe prétend qu’il n’existe pas de nation ukrainienne distincte. Nous connaissons tous le dicton : « Si les faits ne correspondent pas à la théorie, changez les faits ». C’est pourquoi la Russie essaie d’expliquer aux Ukrainiens, par la force, qu’ils n’ont pas droit à une identité nationale. Et pourtant ce sont les petits-enfants des soldats qui aujourd’hui risquent leur vie pour une Ukraine libre qui diront un jour fièrement à l’école : mon grand-père a combattu près de Kherson ! Et le mien a repoussé l’assaut sur Kiev ! Mon grand-père est mort à Marioupol. Et les soldats d’aujourd’hui, ces futurs grands-parents, savent qu’ils se battent aussi pour que leurs petits-enfants puissent vivre dans un pays libre.

Rappelons-nous : Une nation est une communauté de vivants, de morts et de ceux qui vont naître.

Aujourd’hui, l’Europe est témoin de crimes commis au nom d’une idéologie anti-nationale. C’est ce qui motive Poutine : le désir d’éliminer toute différence, de détruire toutes les identités nationales et de les fondre dans le grand empire russe. Dans le « russkij mir ».

La propagande russe a, à plusieurs reprises, fait la fausse accusation de fascisme ukrainien. C’est exactement ce qu’a dit Staline : « Appelez vos adversaires fascistes ou antisémites. Il suffit de répéter ces épithètes assez souvent ». Il faut le dire clairement : un fasciste est quelqu’un qui veut détruire d’autres nations. C’est quelqu’un qui viole les droits de l’homme et piétine la dignité humaine. Le fasciste aujourd’hui, c’est Vladimir Poutine et tous les complices de l’agression russe. En tant qu’Européens, nous avons le devoir de nous opposer au fascisme russe. C’est cela l’identité européenne.

Quelles leçons devrions-nous tirer de la guerre en Ukraine ?

.Les Ukrainiens nous rappellent aujourd’hui ce que devrait être l’Europe. Chaque Européen a droit à la liberté et à la sécurité personnelles. Chaque nation a le droit de prendre des décisions clés concernant le futur de son territoire.

La démocratie peut être mise en œuvre au niveau municipal, régional ou national, partout où existent des liens fondés sur une identité commune. Par conséquent, un vote dans lequel 140 millions de Russes voteraient « pour » l’incorporation de l’Ukraine à la Russie et 40 millions d’Ukrainiens voteraient « contre » ne serait pas démocratique, n’est-ce pas ?

Quelles autres leçons peut-on tirer de plus d’un an de guerre en Ukraine ? Une chose est claire pour moi : la politique de « faire des affaires » avec la Russie a fait faillite.

Ceux qui, pendant des décennies, ont voulu une alliance stratégique avec la Russie et ont rendu les pays européens dépendants d’elle pour leur énergie, ont commis une terrible erreur. Ceux qui ont mis en garde contre l’impérialisme russe et répété à plusieurs reprises qu’il ne fallait pas faire confiance à la Russie avaient raison.

Ceux qui, pendant de nombreuses années, ont financé les préparatifs de guerre russes, désarmé l’Europe et imposé un partenariat avec la Russie à des plus faibles qu’eux, portent la coresponsabilité politique de la guerre en Ukraine et des problèmes économiques et énergétiques actuels auxquels sont confrontés des centaines de millions d’Européens.

Poutine s’est comporté comme un trafiquant de drogue qui donne la première dose gratuitement, sachant que l’accro reviendra plus tard et acceptera n’importe quel prix. Poutine est rusé, mais il n’est pas brillant. L’Europe lui a succombé si facilement principalement à cause de sa propre faiblesse.

Cette faiblesse était la poursuite d’intérêts particuliers aux dépens d’autres pays.

Si les nations individuelles de l’Union européenne cherchent à dominer les autres, l’Europe pourrait être la proie des mêmes erreurs du passé. Et toutes les décisions d’arrêter l’agresseur russe peuvent à nouveau être annulées. Cela se produira si quelques-uns des plus grands pays décident qu’il est plus rentable pour leurs élites de faire des affaires avec le Kremlin, même au prix du sang. Aujourd’hui, c’est le sang ukrainien. Demain, ce sera peut-être celui lituanien, finnois, tchèque, polonais, mais aussi allemand ou français. Nous devons empêcher que cela se produise.

Ces leçons devraient nous amener à nous poser la question fondamentale : quelles sont les valeurs européennes aujourd’hui et qu’est-ce qui les menace ?

.Et je vais me concentrer maintenant sur ce troisième « sujet majeur ». En termes de prospérité matérielle, nous vivons la meilleure époque. Mais cette prospérité a-t-elle tué notre esprit ? Nous soucions-nous toujours de ce pour quoi nous vivons ? Serions-nous prêts à défendre nos foyers, nos proches, notre nation, en cas d’agression ? Cette tension entre le domaine de l’esprit et celui de la matière n’est pas nouvelle. Nous sommes, après tout, à l’université où Hegel était professeur.

En littérature, peu se sont préoccupés de ce problème aussi bien que le grand Thomas Mann, « la conscience de l’Allemagne » à l’époque des crimes nazis allemands. Ce sont les héros de Mann qui désirent un sens de la vie plus élevé – pas seulement l’accumulation de biens et leur consommation.

Au cours des dernières décennies, de nombreux Européens en sont venus à croire que la consommation parsemée de revendications superficielles de « valeurs européennes » est la dernière étape de l’histoire. Nous nous opposons à cette approche. Frapper les autres avec le fouet des « valeurs européennes » sans s’entendre sur leur définition ou comprendre quels changements doivent être apportés par certains pays, est précisément – au sens de Thomas Mann –  autodestructeur pour l’Union européenne.

Autrefois le symbole de l’Europe était l’ancienne agora. Un lieu où chaque citoyen pouvait s’exprimer sur un pied d’égalité. Aujourd’hui, trop souvent, l’agora européenne est remplacée par les bureaux des institutions bruxelloises, où les décisions se prennent à huis clos.

Comme l’a dit un jour sans ambages un politicien européen à propos du mécanisme des institutions de l’UE : « Nous décrétons quelque chose. S’il n’y a pas de tollé parce que la plupart des gens ne comprennent pas ce qui a été mis en œuvre, nous continuons pas à pas jusqu’au point de non-retour ». C’est un court chemin pour que l’UE devienne une autocratie bureaucratique.

Parallèlement aux nouvelles circonstances géopolitiques, le sort de l’Union européenne est également en train d’être déterminé. Sera-t-elle une communauté démocratique ou une machine bureaucratique et une structure centralisatrice ?

La politique est toujours une question de choix. Mais ce choix doit être fait dans les urnes, et non dans l’intimité des bureaux des bureaucrates. Voulons-nous vraiment une élite cosmopolite paneuropéenne au pouvoir immense mais sans mandat électoral ?

Je mets en garde tous ceux qui veulent créer un super-État gouverné par une élite étroite. Si nous ignorons les différences culturelles, le résultat sera l’affaiblissement de l’Europe et une série de révoltes, peut-être même un nouveau Printemps des Nations comme celui de 1848. 

À l’époque, les Allemands ont fait un énorme effort pour construire un État uni et moderne. Ils ont dû attendre vingt ans pour ses résultats politiques, mais ils ont été victorieux. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un dilemme similaire. Si les dirigeants européens, comme les aristocrates de type Metternich de l’époque, préfèrent le pouvoir des élites et l’imposition de leurs valeurs par le haut, ils finiront par rencontrer des résistances. Cela peut arriver tôt ou tard, mais c’est inévitable. Cela vaut la peine de revenir à la question fondamentale : quelles sont les valeurs européennes ?

Et plus important encore : qu’est-ce que l’Europe ? Son histoire ne date pas de quelques décennies. L’Europe a plus de deux millénaires. L’Europe est née de l’héritage des anciens Grecs, Romains et chrétiens. Ce sont nos racines, nous grandissons à partir d’elles, nous ne pouvons pas nous en couper.

Il n’y a pas d’Europe sans cathédrales gothiques élancées ni édifices d’universités. L’Europe s’est toujours envolée sur les ailes de la foi et de la raison. Et le modèle universitaire d’éducation qui a été créé en Europe s’est répandu dans le monde entier.

Cela s’est produit parce que l’université européenne était un espace de discussion et d’affrontement d’idées opposées – l’environnement le plus propice à la poursuite de la vérité.

Il ne devrait y avoir aucune place en Europe pour la censure ou l’endoctrinement idéologique. Nous avons déjà vécu cela dans le passé, lorsque les autorités communistes nous disaient quoi penser. Cela a également été vécu par les Allemands à l’époque d’Hitler, lorsque les livres d’auteurs libres-penseurs étaient brûlés.

L’Europe devrait être une cathédrale du bien et une université de la vérité !

Ici aussi, il convient de souligner que diverses interdictions, décisions arbitraires sur ce qui peut et ne peut pas être présenté dans les murs des universités ainsi que le politiquement correct sapent la mission éternelle de l’académie : la recherche de la vérité.

Et tout comme nous protégeons notre patrimoine matériel, nous devons également protéger notre patrimoine spirituel, qui se compose de dizaines de traditions culturelles et linguistiques différentes. La force de l’Europe au cours des siècles a été sa diversité. Nous partageons des valeurs communes, mais chaque nation a sa propre identité. Le Gleichschalten – la uravnilovka – est une route vers nulle part.

L’Allemagne et la France sont deux acteurs centraux en Europe. Au cours des 75 années entre 1870 et 1945, ils se sont livré trois guerres – ce n’est qu’après la dernière qu’est venue la réconciliation. Cette réconciliation porte aujourd’hui ses fruits dans les relations politiques particulières entre Berlin et Paris. Cette sensibilité mutuelle particulière aux logiques et aux sensibilités des deux capitales est née d’un passé tragique.

Dans un souci d’équilibre européen, mais aussi en raison d’un passé beaucoup plus tragique, le même modèle de sensibilité mutuelle à la logique et aux intérêts de Varsovie s’impose. Aujourd’hui, à Varsovie, nous n’avons pas le sens de cette sensibilité. Les bases de cette réconciliation ont été posées par deux grands Européens : Charles de Gaulle et Konrad Adenauer. Tous deux voulaient construire une paix durable en Europe.

Ils ont compris que le respect mutuel et la connaissance des racines de l’Autre étaient des conditions préalables à la coopération. Le chancelier Adenauer a déclaré : « Si nous nous détournons maintenant des sources de notre civilisation européenne, née du christianisme, il nous est impossible de ne pas échouer à essayer de reconstruire l’unité de la vie européenne. C’est le seul moyen efficace de maintenir la paix ».

Le général de Gaulle était également profondément conscient à la fois du grand héritage culturel de l’Europe et des horreurs de la « guerre interne. » De Gaulle disait : « Dante, Goethe, Chateaubriand appartiennent à toute l’Europe dans la mesure même où ils étaient, respectivement et éminemment, italien, allemand et français. Ils n’auraient pas beaucoup servi l’Europe s’ils avaient été des apatrides et s’ils avaient pensé, écrit en quelque espéranto ou volapük intégrés… »

Notre identité fondamentale est l’identité nationale. Je suis européen parce que je suis polonais, français, allemand, pas parce que je renie ma polonité ou ma germanité.

La tentative en Europe aujourd’hui d’éliminer cette diversité, de créer un homme nouveau, déraciné de son identité nationale, signifie saper les racines et scier la branche sur laquelle nous sommes assis.

Soyez averti : nous pouvons facilement tomber – des cultures fortes et des dictatures dures d’autres coins du monde n’attendent que cela. Elles seraient sûrement heureuses de voir l’Europe tomber dans l’insignifiance. Voudrions-nous que tous les Européens oublient leurs langues et ne parlent que le volapük ? Je ne le voudrais pas.

Certains essaient de nier la contribution de l’Europe au développement du monde parce qu’ils ne voient que les côtés sombres de l’histoire. Et en effet, les pays responsables de l’exploitation et du colonialisme, de l’impérialisme et des crimes terribles – comme le nazisme allemand et le communisme russe, comme les crimes dans les colonies – devraient faire amende honorable pour leur propre passé. Cela fait partie de notre ADN européen : la poursuite de la vérité et de la justice. Mais l’Europe historique n’est pas seulement une honte pour nous. Tout l’étonnant développement scientifique et la prospérité d’aujourd’hui sont, pourrait-on dire, la progéniture de l’Europe.

La voie à suivre pour l’Europe n’est pas non plus la « McDonaldisation politique ». Elle nécessite de puiser dans sa propre diversité. La tentative d’unifier artificiellement l’Europe au nom de l’abolition des différences nationales et politiques conduira en pratique au chaos et aux conflits entre les Européens. C’est la coopération combinée à la concurrence qui est le meilleur moyen pour l’Europe de réussir dans le monde global.  Des millions de personnes du monde entier visitent Paris, Rome, Cologne, Madrid, Cracovie, Londres ou Prague chaque année. La richesse de ces belles villes et la force de leur attractivité tiennent au fait que chacune d’elles possède sa propre identité.

Nous ne voulons pas d’une Europe qui donne un ultimatum : soit vous guérissez volontairement de votre nationalité, soit nous exercerons sur vous toutes sortes de pressions politiques et économiques pour le faire.

La Pologne a accueilli des millions de réfugiés ces derniers mois. Les Ukrainiens ont trouvé refuge dans nos maisons. Notre compréhension des valeurs européennes inclut certainement le soutien à un voisin dans le besoin. Cependant, nous avons reçu une aide minimale. Et dans ce contexte, nous voyons un traitement différent des pays dans la même situation, et c’est la définition de la discrimination.

La Pologne subit cette discrimination également en raison d’une incompréhension totale des réformes qu’un pays sortant de l’après-communisme devait entreprendre. En raison de l’implication des institutions européennes dans les conflits internes d’un État membre sous le slogan de « défense de l’État de droit ».

Je tiens à ce que ce soit absolument clair ici : en Pologne, nous avons la même compréhension du terme « État de droit » qu’en Allemagne. Et il y a très peu de choses dont je sois aussi sûr que je le suis sur le fait que mon camp politique défend le véritable État de droit beaucoup plus que ce n’était le cas au cours des 25 premières années après 1989.

Nous luttons contre l’oligarchie, contre la domination des corporations professionnelles fermées, contre la pauvreté et contre la corruption. Nous protégeons contre ces pathologies. Mais puisque ce n’est pas le sujet principal de mon argumentation, je m’arrête ici.

Dans un sens plus profond, le différend est aujourd’hui entre la souveraineté des États et la souveraineté des institutions. Entre le pouvoir démocratique du peuple à la base et l’imposition du pouvoir du haut vers le bas par une élite étroite. En deux mille ans d’existence de l’Europe, personne n’a jamais réussi à subordonner politiquement tout notre continent. Cela ne fonctionnera pas non plus aujourd’hui.

La vision d’une Europe centralisée s’achèvera exactement au même endroit que le concept de fin de l’histoire annoncé il y a 30 ans. Plus tôt nous nous éloignerons de cette vision et accepterons la démocratie comme source de pouvoir légitime en Europe, meilleur sera notre avenir.

Soit dit en passant : il n’y a pas de fin de l’histoire. L’histoire s’accélère et apporte des défis aux proportions illimitées ! Malheureusement, une grande partie de l’élite européenne d’aujourd’hui opère dans une réalité alternative.

Si les élites de l’UE insistent obstinément sur la vision d’un super-État centralisé, elles seront confrontées à la résistance d’un plus grand nombre de nations européennes. Plus ils persisteront, plus cette rébellion sera féroce. Et je ne veux pas de polarisation, de division et de chaos. Je veux une Europe forte et compétitive.

Comment l’Europe peut-elle adopter la pole position dans la course au leadership mondial?

.Surtout, les politiques de l’UE doivent changer. Pas vers une plus grande centralisation et le transfert du pouvoir à quelques institutions clés et aux pays les plus forts, mais vers le renforcement des rapports de force entre les peuples d’Europe du Nord, de l’Ouest, du Centre, de l’Est et du Sud. Et pour achever l’intégration de l’UE avec les Balkans occidentaux, l’Ukraine et la Moldavie – conformément aux frontières géographiques de l’Europe.

La question doit être posée : dans quelle mesure prenons-nous au sérieux la question de la construction d’une Union européenne forte et influente ?

Aujourd’hui, le pro-européisme s’exprime par notre état d’esprit d’élargissement, et non en nous concentrant sur nous-mêmes et sur la centralisation de l’UE. Curieusement, les pays qui aiment se présenter comme pro-européens et proposer une turbo-intégration sont en même temps les plus sceptiques quant à la politique d’élargissement et jouent au poker politique.

Nous ne devrions pas parler des valeurs qui unissent l’UE tout en divisant l’Europe entre ceux qui méritent d’y être et ceux à qui l’accès est refusé.

Un marché commun plus vaste, la diversité de ses atouts économiques feraient de nous un acteur mondial fort.

J’entends souvent dire que l’UE a besoin de réformes si elle veut s’élargir. Il s’agit très souvent d’une proposition camouflée de fédéralisation, de facto – une proposition de centralisation. C’est parce que le mot d’ordre de « fédéralisation » est une concentration imposée du haut vers le bas de la prise de décision.

Selon les auteurs de cette centralisation dite « fédéralisation », le processus décisionnel doit être modifié, en passant de l’unanimité au vote à la majorité qualifiée dans un certain nombre de nouveaux domaines. L’argument en faveur de cette solution est qu’il sera difficile d’obtenir l’unanimité parmi plus de 30 pays. Il est vrai qu’il est plus difficile d’obtenir une opinion unifiée au sein d’un plus grand groupe d’États. Pourtant, la question est de savoir si cela doit nous amener à penser que les décisions doivent être poussées par la majorité, contre les intérêts de la minorité dans d’autres domaines ?

J’ai une autre proposition : gardons-nous d’empiéter sur des questions où l’intérêt national reste divisé. Faisons un pas en arrière pour faire deux pas en avant. Concentrons-nous sur les domaines où le traité de Rome a donné des compétences à l’Union et laissons-nous guider pour le reste par le principe de subsidiarité.

Nous observons depuis plusieurs décennies le processus de « débordement » des compétences de l’UE dans de nouveaux domaines. Il fait l’objet d’une évaluation critique dans de nombreux États membres. Néanmoins, il s’est récemment accéléré.

La question de savoir dans quelle mesure les États restent « les maîtres du traité », comme l’appelait autrefois la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, est encore plus pertinente aujourd’hui.

Ainsi, si l’UE veut apporter des modifications à son processus décisionnel qui soient démocratiquement légitimes et permettent une confiance mutuelle, les États membres doivent retrouver la pleine autorité sur les traités.

Ils ne peuvent pas abandonner le pouvoir de décision à des « quartiers généraux à Bruxelles » et à des « coalitions de pouvoir ».

En d’autres termes, revoyons les domaines sous l’autorité de Bruxelles et, guidés par le principe de subsidiarité, rétablissons un meilleur équilibre. Plus de démocratie, plus de consensus, plus d’équilibre entre les États et les institutions européennes. Réduisons le nombre de domaines relevant de la compétence de l’UE, alors l’Union, même avec 35 pays, sera plus facile à naviguer, plus démocratique.

Plus de centralisation signifie plus des mêmes erreurs. C’est un échec de ne pas écouter les voix de ces pays qui avaient raison à propos de Poutine. Il donne le pouvoir à des gens comme Gerhard Schroeder, qui a rendu l’Europe dépendante de la Russie et a mis tout le continent en danger existentiel.

Un exemple : il y a quelques mois à peine, en juin 2021, il y a eu l’idée de célébrer la réunion du Conseil européen avec Vladimir Poutine. Comme si aucune action agressive de la Russie n’avait eu lieu à ce moment-là. Où en serions-nous sans l’opposition de la Pologne, de la Finlande et des pays baltes ? Si l’unanimité était rejetée ?

La politique étrangère polonaise – dans ce contexte – est décidée lors d’élections démocratiques par des citoyens polonais – des gens pour qui un voisin agressif est un réel problème. Ce ne sont pas des gens qui vivent à des milliers de kilomètres et ne voient la Russie qu’à travers le prisme des œuvres de Pouchkine, Tolstoï ou Tchaïkovski.

Aujourd’hui, il ne suffit pas de parler de reconstruction de l’Europe. Nous devons parler d’une nouvelle vision de l’Europe. Pour que la paix et la sécurité deviennent des fondements durables du développement pour les décennies à venir. Si les derniers mois peuvent être considérés comme un succès, c’est certainement grâce à la coopération dans le domaine de la sécurité.

La coopération transatlantique et l’OTAN en particulier se sont révélées être l’alliance de défense la plus efficace qui soit. Sans l’implication des États-Unis et peut-être de la Pologne, il n’y aurait pas d’Ukraine aujourd’hui.

L’OTAN, bientôt renforcée par l’adhésion de la Finlande et de la Suède, est la clé de la sécurité de l’Europe. Il doit être renforcé et développé. En même temps, nous devons construire nos propres capacités de défense. Quelque chose que la Pologne fait actuellement. Nous construisons une armée moderne non seulement pour nous défendre mais aussi pour aider nos alliés. Nous dépensons jusqu’à 4 % du PIB pour la défense, ce qui n’est possible que grâce aux réparations opérées dans les finances publiques après les trous béants qu’y ont laissés nos prédécesseurs. Et nous proposons que les dépenses de défense ne fassent pas partie du critère du traité de Maastricht d’une limite de 3 %.

L’Europe s’est désarmée, regardant l’agression russe complètement hypnothisés.

Aujourd’hui, il y a une pénurie de munitions et d’armes de base pour répondre à l’invasion russe. Sans parler des autres menaces qui peuvent survenir ailleurs.

Je souhaite que les pays d’Europe soient si forts militairement qu’ils n’aient pas besoin d’aide extérieure en cas d’attaque, mais qu’ils puissent fournir un soutien militaire aux autres. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Sans l’implication américaine, l’Ukraine n’existerait plus. Et le Kremlin serait passé à sa prochaine victime.

Pendant la « détente » des années 1970, de nombreuses erreurs ont été commises. Cette époque s’est terminée avec l’invasion soviétique de l’Afghanistan. L’Occident a bien réagi. Cette fois, l’agression russe des vingt dernières années n’a pas suscité autant d’inquiétude. La sobriété est arrivée tardivement – le 24 février 2022.

Que faut-il d’autre pour renforcer la position de l’Europe ?

On se souvient tous du slogan de campagne de Clinton : « C’est l’économie, idiot ! »

À cette époque, presque tout le monde croyait que l’argent était une panacée. Que même dans des pays comme la Russie et la Chine, l’argent élargirait la classe moyenne et démocratiserait la vie publique.

Les choses se sont passées différemment. Aujourd’hui, nous savons que l’économie doit aller de pair avec les désirs sociaux et les besoins de sécurité. Bon nombre des problèmes de l’Europe moderne proviennent de la frustration des jeunes, dont les perspectives sont souvent pires que celles de leurs parents. La classe moyenne s’érode partout en Europe. Un monde dans lequel les 1% les plus riches accumulent plus de richesses que les 99% restants est scandaleux. Et cela se passe aujourd’hui. Les paradis fiscaux, qu’il serait plus juste d’appeler des enfers fiscaux, volent la classe moyenne et les budgets des États en Allemagne, en France, en Espagne et en Pologne.

La force de l’Europe vient principalement de sa base la plus solide, à savoir sa robuste classe moyenne. La conviction que la prospérité et la croissance peuvent être partagées non seulement par un groupe de riches, mais par la société dans son ensemble a été le moteur du développement de l’Occident depuis les années 1950.

Malheureusement, cette conviction est en train de disparaître et les inégalités augmentent. C’est très dangereux car, d’une part, cela renforce les mouvements radicaux exigeant la destruction de la structure économique et politique actuelle. Et d’autre part, cela décourage le travail et le développement.

Nous devons inverser ce processus. Parce que nous risquons de perdre la course face à nos concurrents, des civilisations dures, endurcies et intransigeantes, qui organisent différemment les relations sociales et économiques.

Notre travail en tant que dirigeants politiques est d’assurer des conditions dans lesquelles chacun peut gagner sa vie honnêtement. Le marché du travail européen devrait fournir des salaires décents, faciliter l’entrée des jeunes dans la carrière et leur donner un sentiment de stabilité.

Il faut aussi créer les meilleures conditions possibles pour avoir des familles.

Alors l’Europe aura un bel avenir. Des familles qui fonctionnent bien sont le fondement d’une vie saine, heureuse et stable.

Il faut aussi éviter que l’Europe ne devienne dépendante des autres. La coopération avec la Chine est un grand défi. C’est un pays immense, avec de grandes ambitions. En tant qu’Europe, nous devons être au moins un partenaire égal pour la Chine. La dépendance vis-à-vis d’elle est une route vers nulle part. C’est vers le partenariat que l’Europe doit tendre d’urgence. En plus de la victoire de l’Ukraine dans la guerre, c’est un autre grand défi pour les années à venir.

Il n’y a pas d’erreurs qui ne peuvent pas être corrigées. En partie, du moins. Quand j’entends dire que notre gouvernement avait raison au sujet de la Russie et de l’Ukraine, je me sens satisfait. Mais j’échangerais volontiers même le plus grand sentiment de satisfaction contre la volonté européenne de se battre.

Se battre pour une volonté politique encore plus forte – pour continuer à soutenir l’Ukraine. Et pour une volonté de confisquer 400 milliards d’euros d’avoirs russes. Les avoir congelés ne suffit pas. La Russie doit répondre de ses crimes et des destructions matérielles qu’elle a causées. Les agresseurs brutaux doivent savoir que tôt ou tard leur pays paiera pour les pertes causées par la violence. Aujourd’hui, j’appelle à nouveau tous les dirigeants de l’Europe : il est temps pour la confiscation complète et permanente des avoirs russes. Pour reconstruire l’Ukraine et réduire les coûts énergétiques pour les citoyens européens.

L’Europe est beaucoup plus forte que la Russie. Mais en plus de notre potentiel, nous devons avoir la volonté de l’utiliser. Si nous laissons la Russie gagner cette guerre, nous risquons plus que de perdre l’Ukraine. Nous risquons de marginaliser tout notre continent.

La conclusion de base est simple. Dans le monde, seuls comptent les pays forts, efficaces et sûrs d’eux. Poutine a attaqué l’Ukraine parce qu’il considérait que les Européens étaient à bout de souffle, faibles et oisifs. Un an plus tard, on s’aperçoit qu’il s’est trompé. Au moins en partie.

L’Europe n’est pas encore perdue. Tant que nous vivons encore. Mais elle n’est pas encore victorieuse.

Mesdames et Messieurs,

.Au début, j’ai mentionné que de nombreux Polonais étaient également diplômés de l’Université de Heidelberg – médecins, avocats, philosophes. L’un d’eux était notre grand poète, Adam Asnyk. Au printemps 1871, exactement au moment où naissait l’Allemagne unie, Asnyk rêvait aussi de faire revivre une Pologne indépendante. Il comprenait que de grandes tâches ne pouvaient être accomplies que par un travail patient et systématique, par l’effort collectif de toute la communauté. Il a écrit :

« Ayons toujours la gloire triomphante en mépris
N’applaudissons pas le violent opresseur !
Mais ne vénérons pas les défaites subies
Et de notre faiblesse ne soyons pas fiers »

L’Europe doit prouver sa force et sa valeur. C’est notre moment « être ou ne pas être ». Mais contrairement à Hamlet de Shakespeare, nous ne pouvons pas hésiter. En 1844, alors que l’Allemagne ressemblait encore aux ruines du château de Heidelberg – impressionnantes mais incomplètes – le poète allemand Ferdinand Freiligrath avertissait : « Deutschland ist Hamlet ! » Les Allemands hésitent trop au lieu de se tenir clairement du côté du bien.

Jean-Paul II était l’un des principaux défenseurs de l’unification européenne. Il a joué un rôle clé dans la libération des nations d’Europe. Et avec son grand successeur allemand, Benoît XVI, ce duo germano-polonais unique était une voix importante sur l’avenir de l’Europe : sa direction, sa culture et sa civilisation.

Pour finir, permettez-moi de résumer les quatre questions majeures.

1. Premièrement, nous ne pouvons construire notre avenir sans apprendre de notre passé. L’histoire montre qu’une politique qui ne respecte pas la souveraineté et la volonté du peuple finira tôt ou tard par se transformer en utopie ou en dictature. L’Europe a un bel avenir si elle respecte la diversité de ses nations.

2. Deuxièmement, l’avenir de l’Europe est forgé par le combat de l’Ukraine pour la liberté en notre nom. Il est de notre devoir de la soutenir. L’esprit combatif ukrainien doit être une source d’inspiration et un guide pour nos actions.

3. Troisièmement, une communauté démocratique des nations, fondée sur un héritage grec, romain et chrétien, qui favorise la paix, la liberté et la solidarité, est le fondement des valeurs européennes. Ces valeurs ont constitué la base de l’intégration européenne et elles peuvent continuer à être la force motrice du continent.

Ce qui menace de saper ces forces, c’est la centralisation. Le règne du plus fort et l’arbitraire de confier l’avenir de l’Europe à une bureaucratie sans cœur, qui tente de « réinitialiser les valeurs ». Une telle « réinitialisation », c’est-à-dire une centralisation bureaucratique sous couvert de « fédéralisation », est le germe de grands conflits futurs et de rébellions sociales.

4. Quatrièmement, si l’Europe veut gagner la course au leadership mondial, elle doit se transformer. Elle doit être prête à accepter de nouveaux pays mais aussi, face à une communauté élargie, à limiter certaines de ses compétences. Face aux menaces extérieures, elle doit renforcer ses capacités défensives. Face aux défis économiques et sociaux, elle doit construire une prospérité de type égalitaire et ordolibérale et combattre les enfers fiscaux déguisés en paradis fiscaux. L’Europe doit maintenir des alliances sages, mais elle doit aussi favoriser l’indépendance et ne pas devenir la victime de l’énergie ou de tout chantage économique.

.L’Europe était autrefois le centre du monde, respectée sur tous les continents. Nous soucions-nous toujours de la survie de l’Europe et de notre civilisation ? Et pas seulement si elles survivent mais sous quelle forme ? Avons-nous la volonté d’être un leader? Ou, peut-être, avons-nous déjà accepté de prendre le siège arrière ? Avons-nous le courage de redonner de la grandeur à l’Europe ? Rendre l’Europe victorieuse ?

Je le crois. L’Europe a un grand potentiel. Il est issu de son histoire et de son héritage mais perdure aujourd’hui dans ses innombrables qualités et atouts. Mais ce dont l’Europe a besoin, c’est de détermination et de courage. Et je suis profondément convaincu que si nous travaillons dur au nom de nos patries respectives et du continent dans son ensemble, l’Europe l’emportera. L’Europe sera victorieuse !

Mateusz Morawiecki

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 29/04/2023