Prof. Michał KLEIBER: La science est commune, internationale, globalisée

La science est commune, internationale, globalisée

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Prof. Michał KLEIBER

Rédacteur en chef de „Wszystko Co Najważniejsze”, professeur titulaire ès sciences techniques, entre 2007 et 2015 président de l’Académie polonaise des sciences. Dans les années 2001-2005 ministre de la science et de l’informatisation ainsi que président du Comité national de la recherche scientifique. En 2005, élu membre du Conseil européen de la recherche. Entre 2006 et 2010 conseiller auprès du président Lech Kaczyński. Chevalier de l’Ordre de l’Aigle blanc.

Ryc.: Fabien Clairefond

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Marie Curie-Skłodowska est, à plusieurs égards, aussi pour son caractère personnel, quelqu’un d’absolument exceptionnel. Je n’ai pas l’ombre d’un doute qu’elle constitue l’un des piliers essentiels du passé européen dont il faut, aujourd’hui, parler haut et fort. Car l’Europe est aujourd’hui ce avec quoi elle a été façonnée par la personnalité de telles individualités – disait le professeur Michał KLEIBER lors du débat #Curie2017 pendant le Forum économique de Krynica.

.Il est significatif et très intéressant que l’élément qui déclenche, aujourd’hui, notre discussion sur les relations polono-françaises, c’est cette célèbre Polonaise qui a travaillé en France. Nous faisons rarement appel à des personnages connus du passé pour que ceux-ci nous aident à parler de nos problèmes d’aujourd’hui. Une histoire me vient à l’esprit. J’ai été, sans m’y attendre, invité – avec mes homologues présidents des académies des sciences américaine, française et britannique – par le Knesset à prendre la parole devant cette assemblée le jour de l’anniversaire d’Albert Einstein. En Israël, c’est un jour de fête, non pas un jour férié, mais un jour où partout, au Parlement aussi, on parle de science. La preuve qu’on accorde là-bas une grande importance à la science et à son rôle dans l’intensification de la coopération internationale, est que, une fois la séance du Parlement terminée, nous avons été invités par le Président d’Israël Simon Peres à une discussion autour de ce sujet laquelle a duré presque trois heures. J’ai pensé, à cet instant précis, à Marie Curie-Skłodowska, en me demandant pourquoi ne pas proposer une initiative similiaire, en choisissant un jour significatif pour sa biographie, de concert peut-être avec nos amis Français, car un tel jour devrait revêtir une dimension européenne.

Parler d’Europe aujourd’hui est un défi des plus difficiles et des plus importants qui se posent devant nous. Je n’ai aucun doute que rappeler notre passé jalonné justement de personnalités aussi remarquables que Marie Curie-Skłodowska serait d’une aide précieuse dans le débat actuel.

En 2011, j’ai coorganisé, avec mon homologue français, le président de l’Académie des sciences, l’année Curie, commémorant le centième anniversaire du deuxième Prix Nobel de Marie Curie-Skłodowska. Marie Curie-Skłodowska est la seule femme à se voir décerner ce prix à deux reprises. Si l’on fait abstraction de ceux qui, en dehors des Nobels scientifiques, ont reçu également celui de la paix, seuls deux scientifiques encore, dans l’histoire plus que séculaire de cette récompense, l’ont reçu deux fois. Marie Curie-Skłodowska est, à plusieurs égards, aussi pour son caractère personnel, quelqu’un d’absolument exceptionnel. Je n’ai pas l’ombre d’un doute qu’elle constitue l’un des piliers essentiels du passé européen dont il faut, aujourd’hui, parler haut et fort. Car l’Europe est aujourd’hui ce avec quoi elle a été façonnée par la personnalité de telles individualités. Du fait des différentes fonctions que j’ai occupées ces dernières années et de mon travail dans différents pays tant européens qu’extra-européens, la promotion de ces belles pages de l’histoire commune de notre continent a toujours été l’un des défis majeurs que je me posais. Je suis en quelque sorte un praticien en la matière, car j’ai toujours accordé une grande importance à l’entretien, à côté de l’identité nationale, aussi de l’identité européenne – je n’y ai jamais vu aucune contradiction.

La science est cette sphère de la vie qui est commune, internationale, globalisée. Lorsque les scientifiques les plus éminents entendent les politiciens douter de la nécessité d’intensifier l’intégration à l’échelle internationale, ils doivent considérer cela comme une plaisanterie. Car la science est, dans son essence, intégrée depuis longtemps et aucun scientifique sérieux ne le mettra jamais en doute. Indépendamment du fait que chaque pays a, évidemment, ses propres intérêts, et que là où entrent en jeu les droits de la propriété intellectuelle ou l’apport de la science dans le développement de sa propre économie, les intérêts nationaux doivent être pris en compte à leur juste importance. Mais la science dans sa dimension cognitive, ce dont on parle maintenant, est parfaitement globale.

Dans un monde plein de conflits, ceci est une grande valeur de la science – les scientifiques ont collaboré et collaboreront toujours avec leurs collègues de différents pays, ce qui les conduira à changer leurs lieux de travail.

Ce qui devrait nous mobiliser dans cette situation, c’est de garantir ici des conditions suffisamment attrayantes pour inciter les nombreux chercheurs polonais travaillant à l’étranger à retourner en Pologne pour continuer ici leurs recherches. Aussi, des conditions qui attireront chez nous d’éminents scientifiques étrangers.

Ceux qui pensent que le plus grand mal planétaire aujourd’hui est la rivalité militaire à mon sens se trompent énormément. Car le plus important élément de la rivalité internationale est, à mon avis, la bataille pour les esprits des gens. Un pays sera autant riche et sûr que seront intelligents ses habitants. Cela s’applique aux citoyens mais, surtout, aux responsables politiques que ces citoyens élisent – le savoir et la sagesse de la vie qui s’y réfère sont la seule voie permettant la bonne perception des défis et problèmes que nous avons à affronter. Les informations qui parviennent jusqu’à nous sont aujourd’hui chaotiques, parfois même fausses, et nous laissent peu de chances de les transformer en savoir, ce qui est nécessaire pour résoudre les problèmes qui s’imposent. La capacité d’une société de transformer les informations en savoir, et le savoir en sagesse est un défi capital qui décidera de la forme que prendra notre planète. Et ceci implique l’importance de l’éducation et de la science.

Notre politique éducative devrait prendre en compte aussi le problème de la migration des étudiants. C’est une question qui, d’une certaine manière, constitue un défi encore plus grand que le problème de la migration des scientifiques. Les scientifiques mûrs dont la situation est plus ou moins stable dans leur pays et qui peuvent même mener une vaste coopération internationale, souvent liée à des séjours à l’étranger, en règle générale gardent leurs principaux lieux de travail dans la patrie.

Mais, c’est différent pour les jeunes gens qui décident de faire leurs études à l’étranger. La probabilité qu’ils s’établissent pour de bon dans leur nouveau lieu de résidence est très élevée. Ainsi, la décision de retourner ou pas au pays devient-t-elle difficile. C’est bien que beaucoup de nos bacheliers talentueux veuillent partir étudier à l’étranger mais il est nécessaire de mettre en œuvre un ensemble de mesures attrayantes qui inciteront ces jeunes à retourner en Pologne.

Simultanément et avec une constance invariable, il faut valoriser l’internationalisation des études en Pologne. Ce processus est d’ores et déjà engagé. Si, il y a dix ans, le nombre d’étudiants étrangers en Pologne avoisinait le triste niveau de 1%, aujourd’hui c’est nettement mieux, plus de 4%. La moitié de ces étudiants sont, certes, originaires des pays de l’Est – d’Ukraine ou de Biélorussie – mais nous tenons beaucoup à eux. Le défi actuel est pourtant de faire monter le nombre d’étudiants venant des pays très développés – les contacts avec les milieux scientifiques et économiques de leurs pays d’origine ont une importance capitale pour nous. Autrement dit, l’internationalisation de l’éducation doit continuer et elle continuera, c’est une certitude. Il faut néanmoins une vision à plus long terme quant à la protection de nos propres intérêts – tous les pays le font et il n’y a rien de mal à cela. Je reste convaincu que le processus d’une intelligente ouverture au monde ne s’arrêtera pas. L’éducation et la science constituent un modèle de coopération digne d’être repris dans les autres sphères de la vie publique.

 

Michał Kleiber

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 15/10/2017
Traduction : Andrzej Stańczyk,
Photo: Shutterstock