
.L’expression « mouvement de résistance » a fait carrière en Occident grâce à la Résistance française et est souvent étendue sur toute l’Europe occupée durant la Seconde Guerre mondiale par l’Allemagne d’Hitler. Or, dans le cas de la Pologne, ce fut plus que de la résistance. Du temps de la guerre, la Pologne disposait d’un État souterrain étroitement lié au gouvernement en exil qui siégeait d’abord à Paris et à Angers, et puis, dès 1940, à Londres. L’organisation de cet État clandestin englobait des autorités civiles – reposant sur l’alliance entre les quatre forces politiques majeures – partis nationaliste, chrétien-démocrate, paysan et socialiste – et une armée, mise sur pied progressivement depuis fin septembre 1939, une fois la résistance de l’Armée polonaise brisée par l’agression de la Wehrmacht et de l’Armée rouge.
Nous célébrons le 80e anniversaire de la création de l’Armée de l’intérieur (AK) qui fut un mariage entre les différentes organisations militaires clandestines. Le 14 février 1942, à Londres, par ordre du Commandant en chef le général Kazimierz Sosnkowski, l’Union de la lutte armée (ZWZ) fut rebaptisé Armée de l’intérieur. Cette unification s’est heurtée à la résistance d’une partie des milieux nationalistes qui ont créé leur structure militaire indépendante (Forces armées nationales, NSZ). À son tour, l’organisation militaire du parti paysan a gardé son autonomie dans le cadre de l’AK, pour être transformée en 1942 en Bataillons paysans (BCh).
Le commandement de l’AK fut confié au chef de la ZWZ le général Stefan Grot-Rowecki, qui non seulement possédait une vaste expérience de combat datant de la guerre de septembre 1939, mais aussi était l’auteur d’un manuel pionnier de guérilla urbaine. Le territoire polonais fut divisé en trois parties : région de Białystok, région de Lviv et région occidentale. Ensuite, les régions furent divisées en départements, recoupant avec la structure administrative des voïvodies d’avant-guerre, les départements en districts, et les districts en circonscriptions, recoupant avec les communes. Les voïvodies centrales se sont retrouvées directement sous la commande de l’État-major qui englobait des unités d’organisation, de renseignement et d’espionnage, de liaison, de diversion et d’approvisionnement. Outre les effectifs d’officiers d’avant-guerre et des jeunes hommes qui venaient s’enrôler en nombre, un rôle important dans le bon fonctionnement de cette machine fut joué par les femmes, qui, la plupart du temps, occupaient les fonctions d’agents de liaison.
La tâche majeure de l’AK fut évidemment la lutte pour la libération du pays – et plus concrètement, la préparation d’un soulèvement généralisé au cas où l’occupation allemande s’affaiblirait. Une lutte ouverte n’était pas à l’ordre du jour pour le moment, car on considérait, à raison, qu’elle n’avait aucune chance de réussir quand l’armée du IIIe Reich était à l’apogée de sa puissance. Dans le cadre de la formation, l’AK a organisé des écoles de sous-officiers de réserve, avec un cursus étalé sur cinq mois, mais aussi des cours spécifiques (de diversion, d’artillerie etc.). À tout moment, environ trois mille jeunes suivaient la formation. Les armes provenaient des stocks cachés après la débâcle de septembre 39, d’achats et de la production propre. Il était crucial de maintenir le contact entre le pays occupé, le gouvernement et le commandant en chef à Londres. La liaison était maintenue à l’aide de stations radio clandestines que les services allemands traquaient sans pitié et d’un réseau d’agents et de courriers qui, via les bases à Budapest, Bucarest, Kaunas, Stockholm, parcouraient des milliers de kilomètres pour joindre tantôt Londres, tantôt Varsovie. L’une de ces courriers de l’AK, Elżbieta Zawacka, a traversé toute l’Europe continentale occupée pour joindre Londres. Une mission hors pair au nom de l’AK fut réalisée par Witold Pilecki, qui en tant que volontaire s’est fait déporté à Auschwitz pour y organiser un réseau de conspiration, et, une fois évadé, deux ans et demi plus tard, il a décrit en détails ce qui s’y passait. Après la guerre, Pilecki fut assassiné par les communistes.
L’un des plus grand succès du renseignement de l’AK fut la localisation du centre de fabrication des missiles volants allemands V1 à Pennemünde, ce qui a permis aux Alliés de le détruire en mars 1943. Trois cryptologues de l’AK ont conçu une copie de la machine chiffrante allemande Enigma, grâce à quoi les services de renseignement des Alliés pouvait déchiffrer la correspondance secrète allemande. À l’été 1944, l’AK comptait plus de 350 000 de soldats, ce qui faisait d’elle en chiffres absolus la plus importantes armée souterraine en Europe.
.Le soulèvement de Varsovie d’août et septembre 1944, en réalisation du plan d’une action généralisée contre l’occupant et noyé dans le sang dans l’indifférence complète de l’allié soviétique, a mis fin à l’action de l’AK. Impassible, l’Armée rouge observait de l’autre rive de la Vistule la tragédie de la capitale polonaise. Face à la percée de l’armée de l’URSS – alliée des Alliés, mais ennemie de la souveraineté polonaise – l’AK fut dissoute formellement en janvier 1945, tandis que ses soldats ont, des années durant, continué leur lutte contre le nouvel oppresseur. Depuis le début, les communistes ont traité l’AK avec haine, en voyant en elle le bras armé d’une Pologne indépendante, ce qui était une preuve de plus que la Pologne après la Seconde Guerre mondiale s’est retrouvée dans le camp des vainqueurs comme un pays battu.
Wojciech Roszkowski
Texte co-publié avec le mensuel polonais „Wszystko Co Najważniejsze” dans le cadre d’un projet réalisé avec l’Institut de la mémoire nationale (IPN).
