Charles BEIGBEDER: Faisons respirer les deux poumons de l’Europe

Faisons respirer les deux poumons de l’Europe

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Charles BEIGBEDER

Homme politique, écrivain, entrepreneur, cofondateur du groupe de réflexion libéral et conservateur « Phénix ». Membre de l’Académie Catholique de France. Chevalier de la Légion d’honneur.

Ryc. Fabien Clairefond

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Avec l’actualité récente, on a vu à quel point l’Europe centrale et orientale était injustement perçue dans l’opinion publique française. En effet, on a oublié que ces pays ont subi le joug islamique pendant plusieurs siècles avant de connaître celui du communisme. Cela explique qu’ils ne veuillent pas se soumettre au diktat de Bruxelles sur l’accueil des migrants et qu’ils refusent de se fondre dans une mondialisation qui signifierait pour eux la dissolution de leur identité.

Paradoxalement, alors que certains demandent si l’Europe a été soutenue par l’Europe de l’Est au cours de ces 100 dernières années – sous-entendant que cette dernière serait un fardeau – Il faudrait plutôt poser la question inverse : l’Europe de l’ouest a-t-elle soutenu son alter ego oriental quand celui-ci était menacé par le nazisme puis par le communisme ? La réponse est mitigée. On a beaucoup reproché à la France d’avoir eu une diplomatie offensive durant l’entre-deux guerres, en soutenant par exemple des États nouveaux comme la Tchécoslovaquie ou la Yougoslavie mais sans mettre en œuvre la politique de réarmement qui en était le corollaire. En gros, la France n’avait pas les moyens de sa diplomatie. De son côté, la Grande-Bretagne a fait preuve d’attentisme vis-à-vis de l’Allemagne pendant l’entre-deux guerres ; elle a même longtemps cultivé l’ambiguïté à son égard et cru qu’il était possible de négocier avec Hitler. On a vu ce que cela donnait en 1939 quand le Führer envahit la Pologne. La Grande-Bretagne puis la France lui déclarèrent la guerre mais les Polonais durent affronter seuls les nazis.

Un lien organique à reconstruire entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est

« L’Europe doit respirer avec ses deux poumons: celui de l’est et celui de l’ouest », disait le pape Jean-Paul II. Ce qui les relie, c’est d’abord une identité de culture. L’historien Alain Besançon fixe les frontières orientales de l’Europe à l’endroit où s’arrête la construction des cathédrales. C’est le « blanc manteau d’églises » qu’évoque le moine Raoul Glaber au Moyen-Âge. Cette identité de culture induit une certaine vision de l’homme et de la femme, des rapports entre les sexes, à travers notamment la galanterie, mais aussi une vision particulière de l’espace temporel, distinct de l’espace spirituel, ce qu’on appellera ensuite la laïcité. L’Europe, finalement, c’est la civilisation de la personne et encore plus du visage humain, magnifiée par la peinture et sublimée dans l’iconographie orthodoxe.

Malheureusement, aujourd’hui, l’Europe est profondément divisée, d’abord parce que nous n’avons pas su accueillir les pays d’Europe de l’Est, au sortir de l’enfer soviétique. Philippe de Villiers l’a magnifiquement bien exprimé au Parlement français en 2004, lors de la ratification du traité d’adhésion des 10 pays d’Europe de l’Est (Pologne, la Hongrie, République Tchèque, la Slovaquie, Slovénie, Lettonie, Lituanie, Estonie, Malte et Chypre) : au lieu de tendre la main dès 1991 aux pays de l’ex-bloc de l’Est et leur proposer d’intégrer une Europe fondée sur une identité de culture, nous avons attendu 2004 pour leur proposer de rallier une Europe purement économique fondée sur les critères de convergence de Maastricht. Nous avons raté la réunification de l’Europe et cela explique que certains pays comme la Pologne se sentent aujourd’hui plus proches des États-Unis que de l’Europe.

La crise des migrants : le summum de l’incompréhension

En France l’opinion ignore totalement que la Pologne a délivré plus de visas que l’Allemagne en accueillant plus de deux millions de réfugiés Ukrainiens sur son sol. En France, on parle peu de ce qui se passe en Ukraine. C’est un pays que je connais bien puisque j’y ai implanté une entreprise de production agricole, à partir d’anciens kolkhozes loués. En revanche, on parle beaucoup plus des vagues de migrants qui submergent l’Europe depuis 2015, sans que celle-ci se montre suffisamment réactive pour mettre en place une authentique police aux frontières qui supposerait que FRONTEX soit doté d’un vrai budget. Devant l’incapacité des instances européennes à protéger les frontières extérieures de l’Union, certains pays ont rétabli les contrôles aux frontières, ce qui est d’ailleurs prévu par la Convention de Schengen. En France, beaucoup ont décrié la Hongrie et la Pologne, qui ont agi de la sorte. Je trouve, au contraire, qu’ils ont fait preuve d’un grand esprit de responsabilité. Je constate, d’ailleurs, qu’aucun attentat terroriste n’a été commis sur le sol polonais ou hongrois. On ferait bien de méditer cette leçon avant de lancer des anathèmes. Enfin, à travers l’Italie, l’Autriche et le groupe de Visegrad, je vois renaître l’Empire austro-hongrois et à travers lui une Europe des peuples qui lutte pour la préservation de son identité et parvient de plus en plus à se faire entendre.

Charles Beigbeder

24/07/2018