François HUGUENIN: Le problème posé par l’immigration en France est essentiellement dû à ce facteur religieux

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François HUGUENIN

Historien des idées, essayiste et journaliste français.

Ryc. Fabien CLAIREFOND

Je vais même aller plus loin : le problème posé par l’immigration en France est essentiellement dû à ce facteur religieux. C’est extrêmement important que cela soit dit ouvertement parce que nous avons toute une tradition de séparation de l’Eglise et de l’Etat, de séparation du religieux et du politique. Cette tradition constitue un socle commun pour des gens qui par ailleurs peuvent avoir des opinions politiques assez différentes.

Nathaniel GARSTECKA: Quelles sont les grandes idées autour desquelles s’articulent aujourd’hui les conflits idéologiques et politiques ? Peut-on encore parler de droite et de gauche ? Ces mots ont-ils encore un sens ?

François HUGUENIN: Je vais commencer par la seconde question, concernant les notions de droite et de gauche. Ce n’est pas si évident que cela. En tout cas, ce que je pourrais dire, c’est que les mots de droite et de gauche sont des mots qui sont piégés parce que ce sont des mots qui recouvrent des postures politiques qui ont beaucoup varié avec le temps. Il n’y a pas d’idées qui sont depuis toujours de droite ou qui sont depuis toujours de gauche. Je vais prendre un exemple : le nationalisme, en France, est de gauche pendant tout le XIXe siècle, parce qu’il vient de la Révolution française qui se fait au nom de la nation et qui coupe celle-ci de la continuité dynastique qui faisait la monarchie. Cette continuité faisait qu’il y avait avant la Révolution une sorte d’adéquation entre l’incarnation de la nation par le roi et le sentiment patriotique. Au moment de la Révolution, le nationalisme devient une valeur révolutionnaire, et va le rester pendant tout le XIXe siècle. A la fin de ce dernier, deux phénomènes vont changer la donne. Tout d’abord, le développement des ligues patriotiques, ou nationalistes, notamment la Ligue de la patrie française de Déroulède, qui prône un nationalisme assez virulent. D’autre part, l’affaire Dreyfus, où la gauche, à ce moment-là, a abandonné à la droite le thème de la nation pour se réfugier derrière la défense des droits de l’Homme. Donc on voit bien ici qu’il y avait une idée qui était au départ positionnée à gauche et qui est passée à droite.

On peut dire la même chose du libéralisme. Il est de gauche jusqu’à la Restauration et au début de la Monarchie de juillet. Benjamin Constant, par exemple, qui est député libéral entre 1819 et 1830 sous la Restauration, siège à gauche. Alors que Tocqueville, qui va être député sous la Monarchie de Juillet et sous la II République, siégera à droite entre 1848 et 1852. Donc le libéralisme, entre 1830 et 1848, est passé de gauche à droite.

Par conséquent, gauche et droite ne sont pas des mots qui donnent de véritables postures politiques, contrairement au libéralisme, au conservatisme ou au socialisme, mais ce sont des mots un peu commodes qui donnent plutôt une répartition des forces politiques à un moment donné. On commence à parler de gauche et de droite le 11 septembre 1789, lorsqu’à l’Assemblée Nationale on discute du veto du roi dans la prochaine Constitution. Il y a les partisans d’un veto royal définitif qui lui permet de s‘opposer au vote d’une loi, et il y a ceux qui sont pour le véto royal suspensif, c’est-à-dire qu’au bout d’un an, si les députés sont toujours pour loi, on la fait appliquer. Les partisans du veto suspensif se mettent alors à la gauche du président de l’Assemblée, ce sont les plus révolutionnaires, et les autres se mettent à droite. Ce sont donc des notions tout à fait relatives. Quelqu’un peut être à un moment donné à gauche et basculer vers la droite. D’ailleurs, ça se fait plus dans ce sens que dans l’autre.

La deuxième chose à dire est que si l’on regarde ce qui se passe en France au XXe siècle, on note que la droite a globalement repris à la gauche le patriotisme. Ça va être notamment le cas de la droite gaulliste sous la Ve République. La gauche est celle qui va porter la question sociale, souvent donc socialiste, et au fond c’est ça qui pendant des années a fait le clivage droite-gauche en France. Or, ce clivage aujourd’hui n’existe plus. Pourquoi ? Parce que la droite a abandonné le patriotisme pour le laisser entre les mains de l’extrême droite et notamment du Rassemblement National, et la gauche a totalement abandonné la question sociale, d’ailleurs pour la laisser à ce même Rassemblement National, et elle s’est repliée sur les questions sociétales. C’est d’ailleurs très intéressant, car ce parti a ainsi récupéré ce que l’ancienne droite et l’ancienne gauche ont laissé en déshérence. Donc est-ce que droite et gauche ont encore un sens aujourd’hui ? La gauche sociale telle qu’on l’entendait encore dans les années 1970-1990 n’est plus là, et la droite patriotique non plus. Je m’interroge donc sur la pertinence de ce clivage droite-gauche dans la France d’aujourd’hui. D’ailleurs, on s’aperçoit bien qu’aujourd’hui, en France, nous avons deux centrismes très différents qui s’opposent au second tour des élections présidentielles. Le centrisme macronien, qui est le centrisme habituel, ni droite ni gauche, et puis une espèce de centrisme bizarre qui prend à la fois des choses à l’extrême droite, à la droite traditionnelle et à une gauche sociale qui était autrefois incarnée par le Parti socialiste et le Parti communiste. Cela donne donc une sorte de centrisme étonnant qui est confronté à un centrisme disons plus admissible dans la vie politique française et qui est celui que l’on classe traditionnellement au milieu de la droite et de la gauche.

Il n’y a donc plus véritablement d’affrontement droite-gauche dans la vie politique française. À mon avis, c’est l’une des raisons pour lesquelles il y a de la part des Français une désaffection par rapport aux politiques.

Vous expliquez que le libéralisme est passé de la gauche vers la droite au XIXème siècle. La droite ne s’est-elle pourtant pas définitivement convertie au libéralisme économique à l’époque de l’Union Soviétique, en guise d’opposition au communisme ?

Je ne parle pas tellement du libéralisme économique, je parlais plutôt de la grande tradition du libéralisme politique qui est une tradition française extrêmement brillante, celle de Constant et de Tocqueville. Bien sûr, la droite française a incarné la défense du libéralisme économique contre les États socialistes avant la chute du mur de Berlin, mais elle incarnait aussi autre chose, une sorte de patriotisme qui avait été très important dans la vision gaullienne de la France.

L’élection et la réélection de Donald Trump, entre autres, ont donné un important élan à la diffusion d’un nouveau courant à droite de l’échiquier politique. Une forme de populisme post politique. Est-ce dans cette direction que doivent tendre les partis conservateurs traditionnels ?

Il faut commencer par noter qu’il n’y a pas de véritable parti conservateur en France. J’avais intitulé l’un de mes livres Le conservatisme impossible. En France, on a une opposition à droite entre une pensée réactionnaire qui refuse l’héritage de la Révolution et qui va s’incarner, notamment au XXe siècle, dans le mouvement de l’Action française ; et une importante pensée autour du libéralisme politique. Cela dit, par rapport à votre question, ce qui me paraît notable est que Donald Trump n’a rien de conservateur. C’est un populiste. Les conservateurs classiques américains ont même horreur de lui. Cette espèce de vulgarité de l’argent et de brutalité politique qui caractérise le personnage de Trump, ça marche aux États-Unis, c’est très clair, car il a été élu à deux reprises, ce qui extrêmement impressionnant, mais ce n’est absolument pas du conservatisme.

Je ne pense pas que les partis conservateurs en Europe aient le moindre intérêt à s’aligner sur le trumpisme et sur une forme de populisme qui, au fond, est quand même beaucoup moins intéressant politiquement et intellectuellement qu’une vraie pensée conservatrice.

Il y a aussi un phénomène un peu plus récent, qui est celui de Javier Milei en Argentine. On peut remarquer qu’une certaine partie des libéraux français glorifie ce personnage, en fait quasiment une idole. Comment observez-vous cette tendance au sein du libéralisme français ? Est-ce encore une nouvelle forme de populisme ?

En dehors des réseaux sociaux, qui fonctionnent comme une loupe grossissante sur certains courants de pensée moins bien représentés, je ne m’en rends pas vraiment compte. Je ne pense pas que ce mouvement soit si important en France.

On ressent de plus en plus l’influence étrangère au sein de la droite française. Certains font de Donald Trump un modèle à suivre, d’autres mettent en avant la figure de Vladimir Poutine, qui serait à la tête du « dernier vrai pays blanc, chrétien et conservateur ». Il y a aussi Victor Orban, ou dorénavant Javier Milei auprès d’une frange de la droite libérale. Cette propension à se choisir des modèles étrangers est-elle une nouveauté dans notre histoire ?

Ce phénomène, qui existe vraiment, est cependant strictement circonscrit à ce que l’on peut appeler l’extrême droite. Vous n’avez pas une seule personne en dehors de l’extrême droite qui, en France, aime Orban ou Poutine. Ça n’existe pas. Cela se voit certes sur les réseaux sociaux, qui sont un exutoire où tout le monde peut se lâcher. Il y a effectivement des gens qui tressent des lauriers à Poutine ou à Orban, mais ils sont le plus souvent apparentés à l’extrême droite. C’est souvent dans ce milieu mais aussi, on l’oublie un peu trop souvent, dans la gauche communiste, qu’on a eu historiquement en France des personnes qui ont cherché des modèles à l’extérieur, et rarement les meilleurs !

Il y a eu une fascination, par exemple, d’un certain nombre d’intellectuels qui vont marquer la collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale, pour le personnage d’Hitler. Ça se voit quand vous lisez, par exemple, les mémoires de l’écrivain Robert Brasillach qui, après avoir été à l’Action française, est devenu fasciste. Brasillach fait le voyage en Allemagne dans les années 30, après l’arrivée au pouvoir de Hitler, et il est en transe devant le côté martial de ce qu’il voit, un peu comme ceux qui le sont aujourd’hui en France quand ils voient Poutine. On a donc un syndrome de l’extrême droite française qui aime les militaires, les uniformes, le pas cadencé… toutes ces choses nauséabondes quand elles sont mêlées au politique.

C’est aussi une tradition du Parti communiste français puisqu’il a pris ses ordres de Moscou jusqu’à la chute du mur de Berlin. C’est un tabou, on n’en parle jamais, alors que c’est une réalité. Je me souviens, lors de l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979 : le Parti communiste français a soutenu la position de l’Union Soviétique. C’était quand même incroyable. C’était encore plus incroyable que ceux qui soutiennent Poutine aujourd’hui. On a donc effectivement une tradition d’extrême droite et une tradition communiste de fascination par des modèles étrangers autoritaires voire totalitaires.

Après les grandes expériences totalitaires du XXe siècle, la démocratie libérale et individualiste semblait être notre avenir. On pensait les relations entre l’État et les citoyens définitivement fixées au profit de des seconds. Or, nous constatons que le débat est loin d’être clos. Entre libertés individuelles et étatisme, comment nous situer dans la mondialisation ?

C’est une très bonne question et c’est plutôt compliqué d’y répondre. Ma génération a connu le fameux livre de Francis Fukuyama, « La fin de l’histoire et le dernier homme », paru en 1989. Fukuyama nous expliquait que c’était la fin de l’histoire et la victoire définitive de la démocratie libérale. 35 ans après, il serait cruel de rire de sa thèse, mais il est vrai que l’on voit bien que cette histoire est loin d’être terminée. Le modèle de la démocratie libérale est loin d’être incontesté dans le monde. Il y a quelque chose, par exemple, que nous n’avons pas vu se développer à l’époque : des régimes puissants qui représentent un véritable danger mondial, comme les régimes islamistes. Ces derniers représentent une nouvelle forme de totalitarisme, disons les choses telles qu’elles sont. A l’époque, on n’imaginait pas les pays musulmans suivre une telle évolution.

Le seul dont on parlait alors était l’Iran.

Tout à fait, mais l’Iran a toujours été un pays à part.

On pensait aussi, quand le communisme s’est effondré, que les tous les régimes qui lui succéderaient seraient des démocraties libérales. On n’avait absolument pas anticipé qu’il pourrait y avoir autre chose en Russie. Nous avons sans doute été trop confiants dans la victoire définitive de la démocratie libérale.

Le deuxième nœud du problème que vous évoquez, et qui est plus complexe, est de savoir où les citoyens mettent le curseur entre les libertés individuelles et l’Etat. Je vais peut-être dire une chose terrible, mais je ne pense pas que les Français, par exemple, aiment beaucoup la liberté. Ce que je veux dire, c’est que les grands défenseurs des libertés publiques, comme l’avocat François Sureau, sont rares. François Sureau a expliqué que ceux qui n’aiment pas la liberté finissent toujours par accepter des restrictions à leur liberté pour des raisons de sécurité. De plus, nous sommes aujourd’hui dans un contexte où beaucoup de facteurs renforcent le sentiment d’insécurité. Ce contexte, c’est par exemple la précarité sociale : une partie de la population française vit plus difficilement qu’il y a dix ou vingt ans. Il y a aussi l’insécurité civique, notamment liée à l’immigration, et l’insécurité géopolitique puisque tout ce qu’on imaginait être derrière nous, c’est-à-dire le spectre d’une guerre possible, revient. Donc évidemment, la question de la sécurité est aujourd’hui très importante. Je dirais même qu’elle est sans doute plus importante pour beaucoup de Français que la question de la liberté. D’où l’importance qu’il y ait des voix qui refusent cela et qui s’expriment contre les restrictions faites à la liberté ainsi que pour rappeler aux Français que sans la liberté il n’y a pas de politique qui tienne. J’aime beaucoup cette phrase de Hannah Arendt dans La Crise de la culture : « La liberté comme fait démontrable et la politique coïncident et sont relatives l’une à l’autre comme deux côtés d’une même chose. »

Ce n’est pas forcément pour défendre Fukuyama en particulier, mais on pourrait se demander si, à long terme, avec l’informatisation, la numérisation, l’interconnexion entre Etats et entre citoyens, et la propagande en faveur du métissage global, on ne va pas aller finalement vers un aplanissement inexorable de nos différences. De nos différences linguistiques, culturelles, politiques, idéologiques. Paradoxalement, ça serait un coup terrible porté à la diversité et à la démocratie. Certains vont dire que c’est une théorie du complot, d’autre vont parler d’avènement d’une forme de totalitarisme global.

Je ne parlerais pas de totalitarisme car les mots ont un sens et qu’il ne faut pas galvauder l’histoire. Ce n’est d’ailleurs pas à des Polonais que je vais l’apprendre. Bien sûr, il y a autour de la mondialisation, de l’uniformisation de nos modes de vie et du poids sans cesse croissant du tout économique, des choses qui peuvent faire peur, c’est évident.

Néanmoins, je crois, et c’est quelque chose que la classe politique française a du mal à comprendre, que les vieilles nations ne sont pas mortes, qu’elles ont toujours quelque chose à dire et ont un rôle à jouer dans le registre politique, et je pense que l’on est en train de les redécouvrir. Alors certes, pas toujours de la meilleure des formes possibles, quand c’est lié à du populisme ou à cette espèce de grand fourre-tout qu’est le programme du Rassemblement National. Mais au-delà de ça, je suis absolument persuadé que, ne serait-ce que pour des raisons écologiques et locales, les vieilles nations n’ont pas dit leur dernier mot. La violence de la mondialisation économique et du capitalisme sans bornes contribue à nous faire garder les yeux ouverts par rapport à la mondialisation.

Il y a deux phénomènes qui sont un peu contradictoires. Il y a effectivement cette mondialisation qui continuer à progresser, mais en même temps, je pense qu’il y a des prises de conscience qui sont porteuses d’un certain nombre d’espoirs. À condition que la classe politique s’en empare, ce qui n’est pas vraiment le cas aujourd’hui. On a une sorte de cécité en France, dans la classe politique, au sujet à la construction européenne. Clairement, la construction européenne n’est pas une construction politique ; l’Europe est très loin de pouvoir remplacer les nations. C’est avant tout une zone de libre-échange économique et c’est quelque chose que la classe politique française ne prend pas suffisamment en compte, en particulier les conséquences négatives que cela peut avoir sur les populations et notamment sur les populations les moins favorisées. Mais les Français, eux, le savent.

Je pense donc qu’il y a des choses qui bougent. Tout ce que l’on peut espérer est que ça ne bouge pas n’importe comment. On a connu la révolte des Gilets Jaunes et c’est quelque chose qui pourrait revenir. Ce n’est pas quelque chose dont il peut sortir beaucoup de bien, mais c’est un symptôme, un symptôme que la classe politique devrait affronter. Pour l’instant, malheureusement, elle ne le fait pas. Pour les raisons que nous avons évoquées plus tôt : la droite a abandonné le patriotisme et donc la défense des citoyens français, et la gauche a abandonné la question sociale.

Vous avez évoqué l’Europe. Face aux défis du XXIe siècle, l’Union Européenne se trouve à la croisée des chemins. Soit poursuivre sur le chemin du centralisme et du fédéralisme, soit se réorienter vers le modèle d’Europe des nations que souhaitait le général De Gaulle. Soit une direction politique forte pour gagner en cohérence et faire face aux menaces, soit le respect des souverainetés nationales. Face à ce dilemme, quel avenir pour cette organisation politique ?

Je pense que l’Europe n’a pas d’autre choix que d’être une Europe des nations, ce qui ne veut pas dire que ces nations ne peuvent pas avoir, ensemble, une politique commune forte. C’est une illusion de croire que l’Europe fédérale, qui ne marche pas en réalité, peut être porteuse d’un véritable projet politique. En revanche, ce qui est absolument certain me semble-t-il, c’est que les différentes nations européennes que nous sommes et que nous formons ont des intérêts communs et que l’Europe existe comme étant une zone de nations certes souveraines, mais qui peuvent avoir des politiques articulées et communes. Je crois que c’est la seule manière de sauver l’Europe mais c’est quelque chose qui est complètement tabou aujourd’hui en France.

Quels intérêts communs pourraient avoir par exemple un Letton, qui doit cohabiter avec une importante minorité russe qui demain pourrait servir d’outil de déstabilisation au profit du Kremlin, et un Espagnol, qui n’est pas du tout dans cette optique-là et qui a des soucis radicalement différents, comme l’immigration massive africaine à ses frontières ?

Il est certain que la politique de la Russie a changé la donne en Europe. Bien évidemment, par rapport à la proximité où à l’éloignement de l’ogre russe, les pays européens ne vont pas avoir exactement les mêmes intérêts. Je parlais plutôt de ce qui avait été le début de la construction européenne, c’est à dire les pays que sont la France, l’Italie ou l’Allemagne. Ces pays-là peuvent avoir un certain nombre d’intérêts convergents et ils peuvent s’aligner et se renforcer de manière intelligente et efficace, et accepter que sur d’autres points ils puissent avoir des intérêts différents. Le problème, c’est plutôt d’être dans une configuration qui est celle de l’Europe d’aujourd’hui, où on fait comme si nous avions une unité politique alors qu’il n’y en a en réalité pas. De ce fait, l’Union Européenne est avant tout un espace bureaucratique. Pour qu’elle redevienne un espace politique, il faut que les nations reprennent leur souveraineté tout en étant conscientes qu’elles sont souvent trop faibles pour être seules et que des intérêts bien compris et partagés peuvent tout à fait nous donner plus de moyens d’exister et de peser.

L’Europe de la défense ne serait donc qu’une chimère ? Devons-nous continuer à nous reposer sur la puissance militaire de l’OTAN ?

De toute façon, l’actuelle évolution des États-Unis et du monde fait qu’on a plutôt intérêt à compter sur nos propres forces, et non pas uniquement sur celles de l’allié américain. On peut très bien envisager des coopérations entre pays européens en matière de développement et de production d’armements et d’équipements. C’est bien entendu possible ! Cependant, en réalité, dès qu’on touche aux questions de défense nationale, on touche automatiquement à l’idée de nation. C’est quelque chose que, malheureusement, la classe politique française ne veut pas voir en face. Je précise que ce n’est pas être contre l’Europe que de dire ça. C’est être contre une certaine vision de l’Europe qui a montré qu’elle n’était pas efficiente, ce qui est très différent.

Nous observons une double tendance au sein de l’Occident. D’un côté, la poursuite d’une forme de déchristianisation structurelle et de l’autre, une forme de retour au religieux dans certains milieux, en plus de la poussée de l’islam. On pourrait même ajouter l’apparition de nouvelles formes de croyances et de dogmes plus idéologiques, comme tout ce qui tourne autour des minorités sexuelles et du climat. Allons-nous à nouveau vers des conflits de religion ?

Je pense qu’il faut dire les choses avec franchise. Là aussi, c’est un problème de la classe politique française qui n’est pas assez courageuse et donc qui laisse le champ au Rassemblement National. En réalité, on n’a pas de problème de religion en France sauf un : celui de l’islamisme. Les Juifs ne posent de problème à personne, les chrétiens non plus et je ne vous parle même pas des bouddhistes ou des hindouistes, des athées ou des agnostiques. Le seul véritable problème religieux qui existe en France, c’est le problème de l’islamisme.

Il faut aussi savoir dire, même si ça ne fait pas plaisir et que c’est que c’est jugé comme incorrect, que le problème de l’islamisme est qu’entre lui et l’islam modéré la frontière n’est pas claire. L’islam n’a pas encore fait le travail de séparation du politique et du religieux qui a été fait par le judaïsme et par le christianisme. Bien sûr, le musulman lambda n’est pas un islamiste, mais en revanche la frontière entre l’islamisme et l’islam est poreuse. Dans le judaïsme par exemple, on voit du premier coup d’œil qui sont les Juifs orthodoxes ou les Juifs extrémistes. Du côté du christianisme on voit aussi immédiatement où sont les intégristes, même si ça ne concerne que peu de monde.

Je vais même aller plus loin : le problème posé par l’immigration en France est essentiellement dû à ce facteur religieux. C’est extrêmement important que cela soit dit ouvertement parce que nous avons toute une tradition de séparation de l’Eglise et de l’Etat, de séparation du religieux et du politique. Cette tradition constitue un socle commun pour des gens qui par ailleurs peuvent avoir des opinions politiques assez différentes.

Le fait que l’islamisme soit devenu un facteur d’intégration dans certains quartiers en France n’est-il pas le symptôme d’une perte de repères liée à la déchristianisation de nos sociétés ?

Bien sûr, la nature a horreur du vide. On a longtemps cru que le phénomène religieux allait être un phénomène de plus en plus marginal et le fait est qu’il est plutôt revenu en force, et pas de la manière la plus sympathique qui soit, avec l’islamisme en l’occurrence.

La déchristianisation de notre société a effectivement contribué à affaiblir l’un des principaux contrepoids à la montée de l’islamisme. Cependant, ce n’est pas la seule raison. La raison la plus importante, c’est le renoncement de l’école, et surtout de l’école républicaine. Ça, c’est une catastrophe. On voit aujourd’hui qu’on a de plus en plus de professeurs qui ne peuvent plus dire un certain nombre de choses dans leurs cours parce que c’est considéré par des élèves de familles musulmanes, et particulièrement islamistes, comme étant des outrages.

Ce qui peut mener à des violences terribles, comme l’assassinat de Samuel Paty.

Tout à fait. C’est ce qu’on a aujourd’hui dans notre pays. Si nous en sommes arrivés là, c’est parce qu’il y a une sorte d’idéologie de démission et l’école de la République n’a plus joué son rôle. Elle n’a plus joué son rôle dans deux domaines : dans celui de l’apprentissage d’un socle commun, d’une forme de modèle civique qui aurait pu créer une unité avec des populations issues de l’étranger, et dans l’exigence du point de vue académique, notamment dans l’apprentissage de la langue que nos étudiants ne maîtrisent plus, pour une grande part d’entre eux. Ainsi, cette école qui a baissé les bras n’est plus vecteur d’ascenseur social. Albert Camus, fils de femme de ménage et prix Nobel de littérature, c’est terminé. C’est devenu impossible aujourd’hui et cela tue l’espérance chez de nombreuses personnes.

C’est après la Seconde Guerre mondiale qu’on a établi qu’imposer une autorité majoritaire quelconque à des minorités était criminel. Le courage politique et l’autorité du professeur sont-ils morts dans les fours crématoires d’Auschwitz ?

Je n’ai pas l’impression que cela soit la véritable raison, bien que tout cela soit lié. Je pense plutôt qu’à un moment donné, dans les années 1970, aimer son pays est devenu ringard. Or, c’est le patriotisme qui motivait auparavant la classe politique à travailler pour l’intérêt général. A partir de la mort de général de Gaulle, les présidents successifs ont de plus en plus déserté la question de la nation et celle de la transmission.

Est-ce dans ce cas plutôt à cause de l’entrisme des réseaux communistes dans l’enseignement et la culture après la Guerre ?

N’oublions pas qu’il y avait des patriotes même chez les communistes. Comme la droite a abandonné la patrie et s’est mise à la remorque de la gauche, cette dernière a abandonné la question sociale. C’est une démission collective. Si on doit donner un point précis de bascule, c’est mai 1968. C’est là que l’autorité commence à devenir un « vieux truc de réactionnaire ». Nous voyons alors émerger une nouvelle forme d’apprentissage, basée sur un progressisme qui s’impose comme nouvelle idéologie officielle.

Ce progressisme, dont la version extrême est le wokisme, nous est-il venu des États-Unis ?

Il existe des travaux qui montrent que le wokisme prendrait lui-même racine dans l’idéologie de la déconstruction de penseurs français comme Jacques Derrida.

La « French Theory »…

Oui, voilà. Je sais que c’est controversé, mais de fait le wokisme que nous voyons arriver chez nous a vingt ans de retard par rapport aux États-Unis, alors que là-bas il y a quelques premiers signes de résistance, après une période terrible de folie contre les esprits libres qui protestaient contre cela. En France on est malheureusement encore dans la phase ascendante de cette forme de progressisme, comme le montre la déplorable évolution de Sciences-Po.

Pour la première fois depuis des années, si ce n’est depuis des décennies, si on met entre parenthèses l’épisode Alain Madelin, plusieurs partis ouvertement libéraux, conservateurs et identitaires sont apparus sur la scène politique française. Il y a d’abord eu Reconquête d’Éric Zemmour, puis l’Union des Droites pour la République d’Éric Ciotti et enfin Identité et Libertés de Marion Maréchal. Ce courant d’idées, ce libéral-conservatisme si on peut l’appeler ainsi, peut-il exister et remporter des succès électoraux en France et même en Europe ?

Vous dites plusieurs partis, mais en réalité celui de Marion Maréchal est une dissidence de Reconquête et celui d’Éric Ciotti tient plutôt de l’initiative personnelle. Je pense que la vraie figure de cela a été celle d’Éric Zemmour et on a vu à l’élection présidentielle de 2022 que ça a été un échec. Ça a été un échec car il a fait une mauvaise campagne, qui était quasiment monothématique autour de l’immigration, et il n’a visiblement pas convaincu les Français. Par ailleurs, les gens qui, en France, sont inquiets au sujet de la politique d’immigration, sont des gens victimes aussi de la violence sociale. Le discours libéral économiquement d’un Éric Zemmour ou d’une Marion Maréchal ne leur convient donc absolument pas et c’est pour cela qu’il reste minoritaire.

De plus, le conservatisme, comme je le disais tout à l’heure, est aussi par définition extrêmement minoritaire. En France, le conservateur est vite avalé soir par le libéral, soit par le réactionnaire. Dans les années proches, je ne vois donc certainement pas le courant du libéral-conservatisme triompher en termes de votes.

Cependant, j’aimerais développer un sujet qui me tient à cœur. Je disais précédemment que les questions de droite et de gauche étaient obsolètes. Je crois qu’il y a quelque chose qui est beaucoup plus fondamental que cela : ce sont les postures politiques. Il y a trois postures que j’appelle des postures « sages » et qui sont le conservatisme, le libéralisme et le socialisme. A côté de postures que j’appelle « folles » : la réaction et le progressisme. La question est de savoir en quoi est-on libéral, en quoi conservateur et en quoi social ou socialiste. C’est véritablement quelque chose de très important. Je pense que les lecteurs polonais connaissent le philosophe Leszek Kołakowski. Il a écrit, en 1978, un article dans la revue Commentaire qui s’intitulait « Comment être socialiste, conservateur et libéral ». Je pense qu’il y a des questions sur lesquelles il faut être conservateur, notamment celles liées à l’anthropologie ou à la défense de la nation et de la patrie, parce que ce sont les conditions fondamentales de la vie politique. Il y a aussi des questions sur lesquelles il faut être libéral, notamment tout ce qui a trait aux institutions et à la défense des libertés publiques.

Enfin, et au risque de choquer, il y a des questions sur lesquelles il faut être social ou socialiste. Je fais davantage confiance à l’Etat qu’au marché pour être raisonnable. L’État a un rôle social qui est évidemment fondamental. On peut être conservateur sur un certain nombre de points sans pour autant être un apôtre du libéralisme économique. Pour aller au fond des choses, j’estime que le conservatisme ne pourra retrouver, en France, la place qui est la sienne que s’il s’accompagne d’une vraie préoccupation sociale. Le dernier homme politique qui allait dans ce sens était Philippe Séguin. C’était une droite gaulliste et sociale.

Les Polonais appellent cela le solidarisme.

Oui, je vois tout à fait. En France, on pense toujours que le conservateur, puisqu’il est de droite, sera libéral économiquement. Pourtant, ce n’est pas du tout évident. Il y a donc un véritable travail de discernement à effectuer sur les éléments sur lesquels nous pouvons être conservateurs, ceux sur lesquels nous pouvons être libéraux et ceux sur lesquels nous pouvons être plus sociaux. Si nous nous penchions davantage sur cette question, je pense que la vie politique française serait beaucoup plus riche.

Votre thèse de doctorat a porté sur les rapports entre l’Église et les libertés. On dit souvent que le christianisme porte en lui les germes de la liberté, contrairement à d’autres religions. Pourriez-vous résumer le résultat de vos travaux à ce sujet ?

Vous venez de dire quelque chose de très important, c’est que par définition, le christianisme est une religion où la liberté est fondamentale. Pourquoi ? On oublie quelque chose qui est en fait évident, c’est que les premiers chrétiens sont tous des gens qui ont fait un choix libre : celui d’adhérer au christianisme. Notamment en quittant la religion de leurs pères, qui était soit le judaïsme, soit le paganisme. Donc dès le début du christianisme, la question de la liberté est essentielle. Ce qui va modifier la donne dans l’histoire du christianisme, et en particulier du catholicisme, c’est ce que j’appelle le tournant du IVe siècle : quand, entre le début et la fin du IVe siècle, l’Église chrétienne unifiée de l’époque passe du statut d’une petite secte juive persécutée à celui de religion d’État. En 313 c’est l’édit de Milan de Constantin et dans les années 380 Théodose fait du christianisme la religion officielle de l’Empire Romain. A partir de ce moment et à travers le Moyen-âge, le christianisme devient la religion absolument majoritaire en Europe, si l’on excepte les quelques communautés juives et la présence musulmane en Espagne puis dans les Balkans.

Bien évidemment, cette question de la liberté est moins urgente quand on est ultra-majoritaire que quand on est minoritaire. La violence de la Révolution française va rebattre les cartes. On oublie souvent que les révolutionnaires ont activement persécuté les catholiques, ce qui a mené l’Eglise à une forme de crispation tout au long du XIXème siècle. Comme la Révolution avait créé, au nom de la liberté, le régime le plus liberticide que la France eut jamais connu, l’Eglise en a conclu que la liberté était une idée néfaste, funeste. C’était la position des papes de cette époque, à savoir Grégoire XVI et Pie IX.

Les choses commencent à changer avec Pie XI, qui est tout sauf un pape libéral, qui est plutôt réactionnaire mais aussi très intelligent. Il s’aperçoit qu’il vaut peut-être mieux, quand on est chrétien, vivre dans une démocratie libérale comme la France, l’Angleterre ou les États-Unis, que de vivre sous joug nazi ou communiste. On commence alors à avoir, sous la plume de Pie XI, des textes qui cessent de vilipender la liberté, ce que confirme Pie XII lors de ses discours durant la guerre. Cependant, c’est au concile Vatican II en 1965 que l’Eglise va véritablement retrouver son logiciel libéral, avec la déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis Humanae. Cette pensée a été préparée par d’immenses intellectuels comme le théologien Henri de Lubac ou le philosophe Jacques Maritain.

On a donc, à partir de là, une Eglise qui reconnait que la liberté religieuse, qui est une liberté politique, est un droit fondamental de l’Homme et que les droits fondamentaux de l’Homme font partie du bien commun. C’est une pensée qu’ont notamment beaucoup développée Jean-Paul II et Benoit XVI et c’est ce que j’ai appelé dans ma thèse la première synthèse entre la tradition de la politique classique, qui était fondamentalement une tradition du bien commun, et la tradition de la modernité qui a davantage été une tradition construite sur la défense des droits et des libertés des individus. L’Eglise réalise ainsi quelque chose de très intéressant du point de vue de la pensée politique, c’est de penser en même temps la liberté et le bien commun, ce qui n’était pas le cas au XIXème siècle.

Est-ce possible de penser efficacement à la fois la liberté et le bien commun ? Comment trouver le point d’équilibre ?

Non seulement c’est possible, mais c’est selon moi obligatoire, car l’un sans l’autre n’existent pas. Là où la question devient effectivement intéressante, c’est que le point d’équilibre est toujours en mouvement, donc il doit faire l’objet de recherche perpétuelle. Prenons le bien commun par exemple : ce n’est pas quelque chose d’établi, de gravé dans le marbre. Il ne peut être atteint qu’en s’y employant avec méthode et par expérimentation. Il faut aussi savoir le remettre en question pour travailler à l’améliorer. Bien évidemment la perfection n’existe pas, mais si on a conscience que l’exclusion de l’un des deux thèmes est catastrophique pour l’humanité, on fait déjà un progrès certain.

Il faudrait pour cela sortir du tout économique et aujourd’hui les gouvernements ne fonctionnent et ne tombent plus que sur des questions économiques.

Absolument. L’une des manières de sortir du tout économique est de se poser de vraies questions sur ce que l’on accepte ou pas dans cette pression de la mondialisation et qu’est-ce qu’on introduit comme mesures de protection des populations nationales. Un mot, par exemple, qui a été longtemps banni, est le mot protectionnisme. Il y a pourtant bien évidemment des réglementations protectionnistes à penser de temps en temps et de manière intelligente.

La théorie libérale classique autorise effectivement une certaine forme de protectionnisme dans des circonstances bien particulières.

Absolument, il y a des économistes libéraux qui l’ont dit et écrit et je ne vois pas pourquoi nous devrions être plus royalistes que le roi, comme on dit en français !

Nous avons un vrai problème en France, c’est que nous sommes un pays très idéologique. Ça, c’est la marque de la Révolution, qui a été une révolution idéologique. Il y a donc longtemps eu, par idéologie, des choses dont on ne pouvait plus parler. Je pense par exemple au patriotisme. Je dis souvent à mes amis de gauche que le patriotisme, c’est juste aimer son pays et qu’il n’y a aucun mal là-dedans. Ceux qui sont honnêtes l’admettent.

L’idéalisme devient-il une idéologie passé un certain âge ?

On pourrait dire ça comme ça, plus en étant Français qu’en étant Polonais je pense !

Le pape François ne s’est pas déplacé à Paris à l’occasion de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame, préfèrent se rendre en Corse. D’une manière générale, son pontificat suscite de nombreuses critiques dans les milieux catholiques. Quel doit être le rôle du Saint-Siège au XXIe siècle ?

Il y a plusieurs questions ici. Le fait que le pape ne soit pas venu à Notre-Dame est selon moi un non-événement. On a beaucoup trop parlé de ça dans les milieux catholiques. S’il a préféré aller en Corse, c’est parce que la foi populaire est plus importante pour lui et elle existe davantage sur l’île qu’ailleurs en France. Je pense aussi, comme beaucoup de journalistes vaticanistes, que la volonté prononcée et affirmée du président Macron de faire venir le pape n’a pas arrangé les choses.

La question plus intéressante est celles des critiques qui peuvent être faites au pape François sur l’ensemble de son pontificat. La plus importante d’entre elles concerne l’immigration. Il faut savoir que le curseur politique des catholiques français s’est déplacé à droite au cours des trente dernières années. Selon les études d’opinion, 80% d’entre eux seraient de droite et les « cathos de gauche » sont en perte de vitesse, ce qui peut faire craindre un affaiblissement du catholicisme social dont nous avons pourtant besoin plus que jamais. L’immigration est donc devenue une question importante pour les catholiques, parfois dans doute trop prééminente.

En Pologne aussi, les catholiques ont été scandalisés par les appels à s’ouvrir davantage aux migrants du sud de la Méditerranée.

Oui, mais, attention, il ne s’agit pas de refuser l’étranger par principe, ce qui serait incompatible avec le christianisme, mais d’accepter les contingences politiques et notamment deux points qu’on ne peut balayer d’un revers de main : la question de l’Islam, comme je le disais précédemment, et le fait que la majorité de nos compatriotes se sentent submergés par l’immigration, comme François Bayrou vient de le reconnaître. C’est une question politique, de mesure, de raison.

Je reviens à votre question précédente à laquelle la réponse s’avère plus compliquée. Quel doit être le rôle du Saint-Siège au XXIème siècle ? Il y a plusieurs éléments. Tout d’abord, le premier rôle du pape et de l’Eglise est d’annoncer le Christ. C’est avant tout cela que j’attends d’un prélat, quel qu’il soit. Ce n’est certainement pas de faire la morale. Je pense par exemple à la question des divorcés-remariés. Là, on a vraiment l’impression qu’on s’est pris les pieds dans le tapis en adoptant une vision moralisatrice très étroite.

Ensuite, il y a la question politique. Celui qui a vraiment répondu intelligemment à cette question est Benoit XVI. Notamment dans son discours de Westminster, quand il est allé en Angleterre et a prononcé ce magnifique discours devant la Chambre sur les rapports entre le religieux et le politique. Il a alors dit quelque chose qui, en France, n’a absolument pas été écouté, c’est que la religion n’a pas pour but de fixer les normes du politique. Elle est là pour aider à éclairer le débat et à purifier la raison. Le pape n’a pas à dire aux chefs d’État ce qu’ils doivent faire. Y compris sur l’immigration. Il peut donner de grands principes pour éclairer la discussion, mais une fois que c’est fait c’est la liberté du politique de les mettre en application ou pas. Il est donc important que l’Eglise ne s’enferme pas dans des postures politiques trop précises sur tel ou tel sujet.

Prendre part au débat n’est-il pas déjà se mêler de politique ?

Ce n’est pas se mêler de politique dans le sens où le rôle de l’Eglise n’est pas de dire concrètement ce qu’il faut faire ou ne pas faire, mais d’aider à éclairer la raison comme le disait Benoît XVI. C’est plutôt d’essayer de tirer les débats vers le haut, sans pour autant présenter de programme politique. D’autant plus que les chrétiens peuvent avoir des opinions politiques très variées. Cependant, l’Église ne peut pas non plus se désintéresser totalement de la vie humaine, d’où le besoin, ici aussi, de parvenir à un équilibre.

Propos recueillis par Nathaniel GARSTECKA

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 15/06/2025