Karol NAWROCKI: La Poméranie se souvient

La Poméranie se souvient

Photo of Karol NAWROCKI

Karol NAWROCKI

Président de l'Institut de la mémoire nationale de Pologne.

Ryc. Fabien Clairefond

Autres textes disponibles

Les bourreaux allemands ont fait beaucoup pour effacer les traces de leurs crimes dans la Vallée de la Mort à Chojnice. Après de nombreuses années, nous avons récupéré les restes des victimes dans des fosses sans nom et leur avons offert un enterrement digne.

.Sur l’alliance exhumée d’une fosse dans le sol de Chojnice après plusieurs dizaines d’années on peut toujours lire des initiales gravées C.S. et la date du mariage : 20 octobre 1938. Ces infimes informations ont suffi à déterminer l’identité de sa propriétaire : Irena Szydłowska, une coursière de l’Armée de l’Intérieur. Des témoignages attestent que le 17 janvier 1945, elle fut arrêtée à Grudziądz par des agents de la Gestapo. Quelques jours plus tard, les Allemands l’emmenèrent vers Bydgoszcz et puis aucune trace d’elle. Cette mère d’un fils d’un peu moins de cinq ans n’avait que 25 ans.

Szydłowska n’est qu’une des nombreuses victimes polonaises dont les restes furent retrouvés à Pola Igielskie, à la périphérie nord de Chojnice, dans un endroit connu aujourd’hui sous le nom de Vallée de la Mort. Par deux fois, au cours de l’automne sanglant de 1939 et de nouveau à la fin de l’occupation, les Allemands ont commis ici des massacres de Polonais.

Chojnicka Dolina Śmierci Chojnice ekshumacje Instytut Pamięci Narodowej IPN Karol Nawrocki

„Avec la plus grande cruauté”

.La guerre déclenchée par l’Allemagne le 1er septembre 1939 était criminelle dès le début. L’intention de Berlin n’était pas seulement de détruire l’État polonais, mais aussi la nation conquise.

« Soyez sans pitié ! Soyez brutaux ! […] Agissez avec la plus grande cruauté. […] Cette guerre est une guerre d’anéantissement », ordonna le chef du Reich, Adolf Hitler, le 22 août 1939, dans un discours prononcé devant les plus hauts commandants militaires. À son tour, le chef du Service de sécurité et de la police de sécurité, Reinhard Heydrich, déclara début septembre : « Les gens doivent être abattus ou pendus immédiatement, sans enquête. La noblesse, le clergé et les Juifs doivent être liquidés ».

À l’automne 1939, ces directives furent exécutées avec un zèle particulier en Poméranie. La Selbstschutz – une organisation paramilitaire composée d’Allemands locaux, commandée par des SS envoyés du Reich, comme Ludolf von Alvensleben, un homme de confiance du chef SS Heinrich Himmler – y joua un grand rôle.

Les victimes du Selbstschutz et d’autres formations allemandes étaient des représentants des élites polonaises, des membres de l’Union occidentale polonaise, mais aussi de nombreux agriculteurs, ouvriers, la population juive et des patients d’hôpitaux psychiatriques. Le nombre minimum de victimes du crime de Poméranie de 1939 – comme on appelle aujourd’hui cette opération d’extermination massive – est estimé par l’historien Tomasz Ceran entre 14 000 et 16 000, dont environ cinq cents dans le seul district de Chojnice. Les chiffres réels sont certainement plus importants. Les auteurs allemands dissimulèrent soigneusement les traces de leurs crimes, détruisant les documents et brûlant les corps.

Il en fut de même en janvier 1945, lorsque le sang coula à nouveau dans la Vallée de la Mort à Chojnice. Les Allemands y assassinèrent alors les prisonniers de la colonne d’évacuation conduite vers l’ouest, principalement des personnes arrêtées au tournant des années 1944–1945 à Bydgoszcz, Grudziądz et Toruń. L’historien Czesław Madajczyk estime le nombre de victimes à 1 500.

Chojnicka Dolina Śmierci Chojnice IPN ekshumacje
Chojnicka Dolina Śmierci
Chojnicka Dolina Śmierci ekshumacje IPN Instytut Pamięci Narodowej Karol Nawrocki

Un enterrement digne

.Berlin parle aujourd’hui beaucoup de responsabilité morale pour le passé, mais évite par-dessus tout le débat sérieux sur la compensation financière pour les pertes et les dommages causés à la Pologne. Au lieu de réparations de plusieurs milliards, les autorités allemandes étaient prêts – selon des fuites dans la presse – à offrir seulement 200 millions d’euros aux « victimes du national-socialisme » encore en vie. Les personnes comme les petites-filles d’Irena Szydłowska en sont exclues, bien qu’il soit difficile, d’un point de vue moral, de le justifier. Tout comme le fait que l’actuel gouvernement de Varsovie souhaite abandonner l’idée d’exiger des réparations.

Mais L’Institut de la Mémoire nationale existe toujours et s’acquitte de manière déterminée de ses tâches statutaires. Au cours des trois dernières années, les procureurs de l’IPN ont découvert plusieurs charniers dans la Vallée de la Mort de Chojnice, contenant les restes d’environ sept cents citoyens polonais assassinés par les Allemands, ainsi que de nombreux objets appartenant aux victimes, tels que des alliances, des chapelets, des clés.

85 ans après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, il est temps d’offrir enfin à nos compatriotes un enterrement et une sépulture dignes. Lundi prochain, le 2 septembre, à Chojnice, auront lieu les funérailles nationales des victimes des crimes allemands de la Vallée de la Mort, organisées par l’Institut de la Mémoire nationale en coopération avec la mairie. Après une messe célébrée en la Basilique mineure, les restes seront transportés au cimetière des victimes des crimes nazis local. Plusieurs dizaines de cercueils seront le cri éloquent d’une histoire qui n’a jamais fini.

Karol Nawrocki

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 31/08/2024