Karol NAWROCKI: L’alliance des aigles blancs

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Karol NAWROCKI

Président de l'Institut de la mémoire nationale de Pologne. Il est candidat aux présidentielles 2025.

Ryc. Fabien Clairefond

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N’essayons pas de créer une OTAN-bis sans l’Amérique. La clé de la sécurité de la Pologne et de l’Europe réside dans de bonnes relations transatlantiques.

.Malgré la neige et le froid glacial, Pete Hegseth n’a pas abandonné son jogging matinal le long de la Vistule. Plus tard, est venu le temps de discussions avec les hommes politiques polonais et d’une conférence de presse. Le secrétaire américain à la Défense, de visite en Pologne en février dernier, a qualifié la Pologne d’« alliée modèle », prête à investir non seulement dans sa propre défense mais aussi dans la défense commune. Hegseth a également félicité en des termes chaleureux l’armée polonaise. « Il n’y a pas de meilleur ami et d’ennemi plus difficile que le soldat polonais ». Cette haute appréciation a certainement été renforcée par les expériences des dernières années : le service conjoint des Américains et des Polonais en Irak et en Afghanistan, et l’hospitalité dont bénéficient environ 10 000 soldats de l’armée américaine stationnant actuellement en Pologne. Cependant, la fraternité d’armes polono-américaine a une histoire bien plus longue.

De Pulaski à Cooper

.«Je suis venu là où la liberté est défendue, pour la servir et vivre ou mourir pour elle», écrivait Casimir Pulaski à George Washington. C’était en 1777, la troisième année de la guerre d’indépendance. Pulaski, qui s’était distingué dans la lutte contre les Russes dans sa Pologne natale, est toujours connu à l’étranger comme le « père de la cavalerie américaine ». Lors de la bataille de Brandywine, il sauva la vie de Washington. Deux ans plus tard, il fut mortellement blessé près de Savannah. Il est l’un des rares étrangers à avoir reçu la citoyenneté honoraire américaine.

Un autre Polonais se distingua dans cette guerre : Tadeusz Kościuszko. Ses travaux de fortification contribuèrent de manière significative à la victoire américaine sur les Britanniques lors de la bataille de Saratoga. « Il est le fils le plus pur de la liberté que j’aie jamais connu », écrivait le futur président américain Thomas Jefferson. C’est au nom de ces mêmes idéaux que Kościuszko combattit également sur son sol natal contre la Russie et la Prusse. Cette fois, malgré des succès initiaux, il dut succomber à la supériorité de ses ennemis. La Pologne disparut de la carte de l’Europe pour des décennies, divisée entre les puissances voisines.

L’espoir de la liberté nous vint avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale. À l’époque, Ignacy Jan Paderewski défendait efficacement la cause polonaise aux États-Unis. Ce célèbre pianiste, qui se produisit entre autres au Carnegie Hall de New York, parvint jusqu’au président Thomas Woodrow Wilson lui-même. En janvier 1917, Wilson déclara au Sénat qu’il devrait y avoir une « Pologne unie, indépendante et autonome ». Il répéta et concrétisa cette exigence un an plus tard dans les fameux Quatorze Points, sa vision d’un monde nouveau et plus juste.

Le plan de Wilson se concrétisa bientôt dans le traité de Versailles, qui mit fin à la Grande Guerre. Cependant, la Pologne devait encore défendre son indépendance nouvellement retrouvée. La plus grande menace venait de l’est : de la Russie bolchevique qui voulait apporter sa révolution sanglante au monde « sur le cadavre de la Pologne blanche ». Lorsque, à l’été 1920, l’Armée rouge s’approcha de Varsovie et de Lviv, le sort du jeune État était en jeu. Dans ces moments dramatiques, tout soutien était précieux, même venant de l’étranger. Dans les années 1917–1919, plus de 20 000 volontaires américains d’origine polonaise rejoignirent l’armée polonaise en France, également connue sous le nom d’Armée bleue ou Armée de Haller. Après la Première Guerre mondiale, les hommes de Haller furent transférés en Pologne et jouèrent un rôle important dans la lutte contre les bolcheviks. Également le 7e escadron de chasse du nom de Tadeusz Kościuszko, composé en partie de volontaires américains, s’illustra dans le combat. Le plus célèbre d’entre eux est sans aucun doute Merian C. Cooper, plus tard co-créateur de King Kong hollywoodien et lauréat d’un Oscar d’honneur. « C’était bien de se battre pour la Pologne ! » – avoua-t-il à la fin de sa vie.

Contre l’axe du mal

.La République indépendante de Pologne était une épine dans le pied de deux puissants voisins : l’Allemagne et l’Union soviétique. À l’été 1939, Adolf Hitler et Joseph Staline conclurent un pacte diabolique qui entraîna la Seconde Guerre mondiale. Attaquée d’abord par le Reich nazi puis par l’URSS, la Pologne n’avait aucune chance d’opposer une résistance efficace. Le drame de cette époque fut brillamment documenté par le réalisateur et photographe américain Julien Bryan, probablement le seul journaliste étranger travaillant en septembre 1939 dans la Varsovie bombardée. Impressionné par l’attitude héroïque de sa population, il déclara plus tard : « Si les Spartiates revenaient à la vie, ils s’inclineraient devant vous, Polonais ».

L’attaque japonaise sur Pearl Harbor en décembre 1941 entraîna les États-Unis dans la guerre. Polonais et Américains combattirent du même côté, le bon, pour défendre la liberté et l’humanité contre l’axe du mal qui tentait de prendre le contrôle du monde. Environ un million d’Américains enrôlés à l’époque dans l’armée étaient d’origine polonaise. Parmi eux Edward Woznenski, qui se distingua lors des batailles en Sicile et en Normandie, ou l’as de chasse Francis « Gabby » Gabreski. Sur de nombreux fronts, Américains et Polonais combattirent main dans la main. Le général George S. Patton remarqua même que les troupes polonaises « étaient les plus belles de toutes celles qu’il avait vues, les Britanniques et les Américains y compris ».

Cependant, la défaite du Reich n’apporta pas la liberté désirée à la Pologne. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe centrale et orientale se retrouva dans la zone d’influence de l’Union soviétique. Dans cette situation, de nombreux vétérans polonais s’installèrent à l’Ouest. Parmi ceux qui émigrèrent aux États-Unis se trouvaient le général Antoni Chruściel « Monter » et le lieutenant-colonel Antoni Krzyczkowski. Le gouvernement de Varsovie priva honteusement les deux de la citoyenneté polonaise.

La voix du monde libre

.Pour les Polonais vivant sous la botte communiste, la voix du monde libre fut pendant des années Radio Free Europe et Voice of America – des stations de radio américaines diffusant, entre autres, en langue polonaise. La propagande au pays tenta par tous les moyens de les discréditer, mais en vain. Les affiches communistes représentant le président américain Ronald Reagan avec un fusil de cow-boy, menant prétendument une « croisade contre la Pologne », furent également inefficaces. Nos compatriotes savaient instinctivement la vérité : l’Amérique était synonyme de liberté, de démocratie et de richesse d’opportunités, l’Union soviétique, au contraire, synonyme d’oppression et de stagnation.

Lorsqu’en décembre 1981 la junte communiste imposa la loi martiale pour stopper la transformation vers la liberté, Reagan parla ouvertement d’une guerre déclarée par le gouvernement communiste contre son propre peuple. Dans son discours de Noël, qu’il consacra en grande partie à la Pologne, il tenta d’apporter du réconfort à la société polonaise souffrante, en évoquant l’esprit de solidarité « qu’aucune force physique ne peut briser ».

Des alliés éprouvés

.Et rien ne le brisa. À la fin des années 1980, le désir de liberté des Polonais, le soutien du pape Jean-Paul II et le défi lancé par Reagan à « l’Empire du Mal » conduisirent au renversement du système communiste en Europe. Pour la Pologne, cela ouvrit la voie vers ce à quoi elle avait toujours appartenu du point de vue de civilisation : vers les structures politiques, économiques et militaires de l’Occident. Déjà sous le gouvernement du Premier ministre Jan Olszewski (1991–1992), des déclarations ministérielles indiquaient en toute clarté que l’objectif de la Pologne était l’adhésion à l’OTAN. Elle n’aurait pas été possible sans la détermination de l’administration américaine : en avril 1998, l’élargissement du Traité de l’Atlantique Nord fut approuvé par le Sénat à une très nette majorité – 80 voix contre 19. Un an plus tard, l’adhésion de la Pologne à l’alliance la plus forte du monde devint un fait.

En 2023, Varsovie et Washington dépensaient le plus pour la défense au sein de l’Otan, selon les chiffres fournis par l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm. C’est la preuve que les deux pays prennent très au sérieux leurs obligations d’alliés. En valeurs nominales, les États-Unis sont depuis des années le leader incontesté des dépenses militaires. Les plus grands pays de l’Union européenne – même avec la meilleure volonté – n’atteindront pas ce niveau avant longtemps. C’est pourquoi toute proposition visant à créer en Europe une sorte de concurrent de l’OTAN paraît irresponsable, le véritable garant de la sécurité du monde libre étant l’Alliance Nord-Atlantique. Faisons ensemble de notre mieux pour que cela reste ainsi.

Karol Nawrocki

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 23/04/2025