
Vive Colas Breugnon et sa passion de vivre!
Saint Martin boit du vin
Et laisse l’eau courre au moulin.
(Proverbe français du XVIe siècle)
Ma conception de la France et des Français a été façonnée pour toujours par un petit grand livre qui « rit de la vie parce qu’il la trouve bonne » que j’ai lu pour la première fois il y a quelques bonnes dizaines d’années. Il s’agit évidemment de Colas Breugnon de Romain Rolland, à mon sens, le roman le plus serein et le plus optimiste de la littérature mondiale que j’emporterais avec moi sur une île déserte sans aucune hésitation, que j’achète chaque fois que je le vois chez un bouquiniste et que je conseille à tous mes amis.
L’auteur de L’Âme enchantée ou du monumental Jean-Christophe, prix Nobel, a écrit Colas Breugnon juste avant la guerre de 14 (il ne sera publié pour la première fois qu’en 1918), pour rendre hommage à sa Bourgogne natale et son aïeul Boniard. D’ailleurs d’après ses notes et sa correspondance. Notre guide spirituel à travers la Bourgogne du XVIIe siècle (« une terre où ruissellent le lait, le miel et le vin ») et le monde tout court, qui volontiers, très volontiers, partage avec nous ses pensées, ses réflexions, ses bons mots est celui que mentionne le titre – Colas Breugnon: mari, père de quatre fils et d’une fille, mais avant tout artiste menuisier, philosophe et jouisseur (« travailler après boire, boire après travailler, quelle belle existence ! »). Le Zorba le Grec du XVII siècle, ou – comme le veut Romain Rolland – « agneau de chez nous, entre le loup et le berger ».
Lors de mes nombreuses pérégrinations françaises, je cherchais sans cesse et je trouvais sans difficulté des Nicolas contemporains – non seulement à Clamecy, la ville natale de Breugnon, mais aussi à Paris, à Lyon ou à Nice. Des gens pour qui ce qui compte avant tout c’est… la vie. Tout simplement la vie. Pas le travail, la politique, la culture, le compte en banque bien fourni, pas même la famille (chacun pris séparément) mais la vie en tant que conglomérat compliqué mais équilibré de toutes ces valeurs, composé à la manière d’un excellent bourgogne, baignant dans de la sauce bourguignonne, le tout couronné par un verre d’excellent bourgogne.
À maintes reprises, empli de fierté de notre bond civilisationnel, de la croissance du PIB etc., etc., je venais à Paris ou à Nice avec cette idée en tête: maintenant on va montrer à ces Français ce dont on est cap… Et il suffisait d’une petite scène au pont Alexandre à Paris, d’une chanson dans une petite ruelle non loin de la Bastille, ou d’un verre de pastis au Negresco niçois pour abandonner toute envie de faire des comparaisons. La Pologne, c’est la Pologne, la France, c’est la France. Restons-en là.
Dans la Pologne d’aujourd’hui, où sans problème on trouvera des gens préoccupés par le conflit croissant entre la Chine et les USA au sujet des îles Spratleys en mer de Chine du Sud, beaucoup sont préoccupés aussi par la France. Qu’il y ait des grèves, des problèmes avec l’immigration, une faible croissance économique, une dette publique importante et qui n’arrête pas de grossir…; que depuis 229 ans (avec la courte pause napoléonienne) ils fassent tout pour démolir leur pays – soit dit en passant, qu’est-ce qu’il doit être fort, sain et riche si après toutes ces tentatives depuis deux cents ans il tient toujours bon ! À tous ceux qui se préoccupent de la France j’ai un conseil: allez là-bas. Peu importe l’endroit. Cela peut être Paris, mais il y a mieux encore, par exemple Clamecy. Vous vous débarrasserez de vos préoccupations aussi sec. Et si vous avez encore la chance de tomber sur un Colas Breugnon d’aujourd’hui qui partagera avec vous sa maxime: « quand on n’a pas ce qu’on aime, on aime ce qu’on a, et quand on a plus rien, on aime tout autour » vous comprendrez que le monde serait beaucoup plus simple si nous étions tous comme lui.
Mais si, malgré tout, il y avait toujours des gens à convaincre, il restera cette autre sentence de l’infaillible Nicolas: « Trou arrière, trou avant, ceux qui viennent de Rome valent pis que devant ».
Kazimierz Krupa