
Se sentir confortablement dans l'UE
On entend de plus en plus souvent parler, à l’occasion des élections législatives dans les différents pays européens, sinon de la peur, du moins de l’inquiétude de voir le projet européen s’écrouler. Les forces de la révolte tant de la gauche que de la droite contre l’UE n’ont jamais été aussi influentes dans les sociétés européennes. Qui plus est, cela concerne tout autant les pays fondateurs de la CEE et de l’UE.
Dans la démocratie, il n’y a rien de pire que de négliger les sentiments de la société. Indépendamment de ce qu’ils expriment et de ce qui les motive, en démocratie, il convient non seulement de leur laisser la parole, de les écouter, mais aussi de leur répondre en pleine connaissance de cause.
C’est pourquoi mon angoisse pour l’avenir de l’Europe ne vient pas que de la montée des critiques envers l’UE en France, en Italie ou en Espagne. Non moins inquiétant est le fait que les peurs – légitimes ou illégitimes – soient négligées par les hommes politiques et des commentateurs contents d’eux-mêmes, lesquels ont depuis longtemps perdu leur instinct libéral du sens critique, ce qui les amène aujourd’hui à faire du scepticisme, colonne vertébrale de la tradition libérale pourtant, un reproche.
À entendre le ton protectionniste, croissant depuis des années, du débat français par exemple, je conviens qu’il peut y avoir des formes de mécontentement envers l’UE qui ne fassent pas sens. La concurrence sur le marché communautaire a donné aussi bien à la France qu’à la Pologne suffisamment beaucoup, pour la défendre conjointement. L’UE continue à jouer un rôle positif pour la prospérité et la sécurité des Européens, de nos économies et, enfin, de nos pays.
Cela signifie-t-il pour autant qu’au sein du débat public, il faille délégitimer chaque manifestation de mécontentement ou de révolte ? Après l’expérience du véritable traumatisme suscité par les élections en France ou en Allemagne, et bientôt aussi en Italie, il faut admettre que cette méthode s’avère au moins inefficace.
Le paradoxe de notre époque est le fait que l’Europe centrale constitue aujourd’hui la région d’Europe la plus confiante envers le processus d’intégration. C’est en Pologne, en Slovaquie, en Lettonie, mais aussi en Hongrie, en Croatie et en Estonie que nous trouvons les plus riches gisements du sentiment pro-Union européenne. Or le paradoxe consiste non seulement en ce que ces pays ne sont membres de l’UE que depuis quelques années, mais aussi en ce qu’une partie d’entre eux sont stigmatisés comme « non européens ».
Cela illustre bien la torpeur des élites européennes qui ne comprennent pas que l’Europe est en train de changer. Ce qui ne change pas, par contre, c’est la condition sine qua non de la pérennité de chaque union politique – la représentativité des intérêts de tous ses adhérents. Les unions s’effondrent dès qu’elles n’arrivent plus à répondre aux attentes des parties qui les composent et qu’elles perdent de vue l’équilibre des intérêts.
Ce scénario est peut-être encore loin devant nous, mais pour l’éviter il faut dès aujourd’hui chercher les meilleurs chemins pour un équilibre politique des intérêts au sein de l’UE. Il faut nous orienter vers une Union où tous se sentiront bien. Vers un partenariat qui sache se défendre tout seul et non pas, comme c’était dans le cas de la Grande-Bretagne, ne durer que grâce à la condition négative d’une terrible alternative de la sortie de l’UE. Comme on a pu voir, dans les Îles, ceux qui ont cru à la perspective d’un « Armageddon du Brexit » ont été trop peu nombreux, et c’est la raison pour laquelle ils ont perdu le référendum.
Une telle conception inclusive nécessite des solutions institutionnelles. La facilité de recourir au vote majoritaire crée un risque d’aliénation des intérêts des pays membres. Il n’y a pas que l’efficacité qui compte : il y a aussi la qualité des décisions qui sont prises. De l’autre côté, le contrôle démocratique des parlements nationaux aiderait à construire non seulement un meilleur consensus, mais aussi un plus grand sens de copropriété du projet. Pour que, de moins en moins rarement, en parlant de l’UE, on dise « eux ».
Le gouvernement de Mateusz Morawiecki rejettera toujours le scénario du Polexit. Pour nous prémunir contre un tel scénario, nous voulons que la Pologne et les Polonais se sentent bien dans l’UE, que nos convictions et intérêts aient là-bas leur place légitime. Nous bâtissons la force de l’État et de l’économie pour bâtir l’Europe, et non pas contre elle. Contrairement aux analyses peu profondes trop souvent agitées, le PIS [le parti « Droit et Justice »] est une importante composante de cette majorité proeuropéenne en Pologne qui s’élève à 80%.
Pour que l’intégration maintienne son attractivité, il faut un meilleur équilibrage des intérêts de l’Europe centrale sur des questions telles que le marché commun, le climat, l’énergie, les migrations et le budget. Sinon, il pourrait s’avérer que nous ne parvenions à nous entendre qu’avec ceux des Etats pour qui le mode de fonctionnement du projet européen soulève de plus en plus de questions.
.La force de l’Europe vient de la force de ses pays membres. Ne la créent ni les constructions sophistiquées des traités ni les conférences. C’est pourquoi la souveraineté et la force des états sont la condition du succès du processus d’intégration et non pas une entrave. Ce n’est que sur ce fond que nous pouvons orienter nos potentiels et intentions politiques vis-à-vis du projet communautaire. Si quelqu’un dans l’Union impose un plan de construction de l’intégration contre la volonté des états, c’est l’Union elle-même qui en sortira perdante. Dans une telle Union ne resteront, dans le meilleur des cas, que des pays faibles et dépendants. Quant au Brexit, il y a le risque qu’il ne devienne alors un programme-pilote.
C’est un choix politique crucial qui se pose aujourd’hui devant l’UE.
Konrad Szymański