Marcel KUNTZ: Les dix mensonges sur les OGM

Les dix mensonges sur les OGM

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Marcel KUNTZ

Biologiste de formation, directeur de recherche au CNRS, enseignant à l’Université Grenoble-Alpes (UGA) et expert en biotechnologies agricoles. Il travaille également, dans une perspective historique, sur les relations Science et Société.

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Oxford Dictionaries a sélectionné “post-truth” comme le ‘Word of the Year’ de l’année passée. Il est défini comme “relating to or denoting circumstances in which objective facts are less influential in shaping public opinion than appeals to emotion and personal belief”, avec le commentaire : “in this era of post-truth politics, it’s easy to cherry-pick data and come to whatever conclusion you desire”. Les auteurs pensaient manifestement au referendum sur le Brexit et à l’élection présidentielle aux Etats-Unis, et peut-être à d’autres gouvernements qualifiés de “populistes”.

Cependant, cette définition du “post-truth” s’applique aussi bien à ce qui s’est passé dans le domaine scientifique et technologique ces 20 dernières années.

Je propose d’illustrer ma démonstration par le cas des « OGM » et les 10 “meilleures” contre-vérités les concernant.

  1. Le premier n’est pas à proprement parlé une contre-vérité, plutôt l’illustration de l’imagination sans borne de l’Union européenne lorsqu’il s’agit de pondre des réglementations aussi absurdes que contre-productives. En 1990, les Etats-membres ont ainsi créé le concept d’« OGM ». La Directive liste toutes les méthodes qui permettent d’améliorer les propriétés d’un organisme (une plante par exemple) pour répondre à des besoins humains (agricoles par exemple), pour les exclure toutes dans les annexes de cette Directive. Toutes sauf une technique, la plus récente, sur laquelle pèsera, sans preuve d’une quelconque nécessité scientifique, des contraintes d’évaluations lourdes et coûteuses. Il faut donc garder en mémoire pour ce qui suit qu’un OGM est défini réglementairement par une méthode d’obtention dudit organisme et non par ses propriétés, ce qui serait plus pertinent.
  2. Pour moi la meilleure illustration du “post-truth” sur les OGM est l’allégation qu’ils seraient stériles. Ce mythe provient d’une extrapolation abusive : des brevets décrivent effectivement des concepts pour produire des graines stériles. Mais sur le terrain, aucune variété de plante dans cette catégorie réglementaire des « OGM » n’est stérile.
  3. Le “post-truth” n’a pas besoin n’être cohérent : ainsi ces allégations de stérilité sont en contradiction manifeste avec d’autres affirmant que les OGM vont se disséminer partout. Alors, « stérile » ou « tout envahir », il faut choisir ! En fait, c’est ni l’un ni l’autre.
  4. L’agriculteur n’aurait plus le droit de ressemer une partie de sa récolte à cause des brevets. Cet argument a permis aux opposants de mobiliser une partie de la société civile contre les OGM, sur le thème d’une « appropriation » des semences, voire d’un « contrôle sur notre alimentation ». Pourtant c’est un mensonge : la législation européenne sur les brevets concernant les inventions biotechnologiques permet à l’agriculteur de produire des semences de ferme pour son propre usage (voir la Directive Européenne 98/44/EC et l’article 14 du règlement (CE) n° 2100/94).
  5. Bobard apparenté au précédent, un agriculteur pourrait être contraint de payer alors que l’OGM est arrivé par hasard dans son champ. En réalité, aucun agriculteur, dans aucun pays, n’a à payer de “royalties” si des traces d’OGM sont détectées dans son champ, par exemple à la suite d’une pollinisation fortuite d’un champ voisin. Ce mythe a été construit autour de l’agriculteur canadien Percy Schmeiser. Les lobbies anti-OGM ont habilement exploité le thème de David (le “gentil petit agriculteur”) face à Goliath (la “méchante grande multinationale”) à la suite d’un procès intenté par Monsanto à cet agriculteur. En réalité la justice canadienne a établi qu’il y a eu des actes délibérés de l’agriculteur pour s’approprier des semences sans s’acquitter des “royalties” selon la réglementation canadienne.
  6. Les OGM seraient un échec, leurs rendements ne seraient pas meilleurs. Il faut d’abord noter qu’aucun de ces organismes n’a été amélioré pour augmenter les rendements, mais plutôt pour éviter des pertes de rendements (dues à des insectes ravageurs ou à des mauvaises herbes). La réalité est que ~18 millions de fermiers dans 26 pays (dont 19 pays en développement) ont choisi des OGM, là où ils étaient libres de le faire (ce qui n’est pas le cas dans la plupart des pays européens).
  7. Des rapports démontreraient des effets toxiques dans l’alimentation. Si cela était le cas, sachant que de nombreux pays utilisent des OGM pour nourrir leur bétail depuis 1996, cela aurait été constaté par les éleveurs et les vétérinaires. Il suffit pour se rendre compte des manipulations sur ce sujet d’examiner les photographies propagées par le chercheur-militant Séralini en septembre 2012 : chacun a vu sur internet ces photos de rats affligés de tumeurs monstrueuses. Est-ce la preuve ? Regardons de plus près les photos : un rat avait mangé un OGM, l’autre bu un herbicide et le troisième mangé l’OGM ET bu le produit chimique (pendant 2 ans). Oui, mais où est le rat témoin (sans consommation d’OGM et sans avoir bu l’herbicide) ? Il n’est jamais montré, et pour cause : il avait aussi des tumeurs, tout simplement parce que cette race de rats développe fréquemment des tumeurs lorsqu’ils sont âgés.
  8. On ne saurait rien des insecticides produits par les OGM. En fait, certains organismes (comme le maïs MON810 qui a obtenu une autorisation européenne en 1998) ont été améliorés pour produire eux-mêmes une protéine aux effets extrêmement spécifiques contre certains insectes ravageurs. Le même principe actif combat également des insectes nuisibles, en agriculture (biologique) et jardinage, cette fois par épandage. Et cela depuis des décennies ! Sans problème constaté !
  9. Des super-mauvaises herbes seraient apparues. En fait, si on utilise année après année le même herbicide (ou tout autre produit), les organismes visés deviennent résistants. Rien de nouveau, ni spécifique aux OGM. Cela est le cas pour tous les herbicides utilisés. Le problème vient d’une mauvaise gestion agronomique de ces phénomènes, pas du fait d’être ou pas dans la catégorie juridique des « OGM ».
  10. Les OGM seraient insuffisamment étudiés ou uniquement par les industriels. En fait, les évaluations imposées par la règlementation européenne sont disproportionnées et continuent à être alourdies sans raison scientifique. Indépendamment des industriels, la recherche publique, dans de nombreux pays (y compris la Pologne), ont réalisé des études dans tous les domaines (santé et environnement). Il en existe des milliers. On peut citer les études toxicologiques du projet européen GRACE. Ces études ne justifient aucun alarmiste.

Le “post-truth” recouvre une stratégie délibérée, malheureusement souvent payante, déclinée dans beaucoup de domaines techniques, comme la biologie (les biotechnologies vertes comme les OGM, mais aussi les vaccins), la chimie (les pesticides sont un grand classique des marchands de peur) ou encore la physique (notamment dans le domaine de l’énergie). Leur point commun ? La volonté de mettre des bâtons dans les roues de l’économie chez certains activistes politiques. Ou d’exploiter des peurs chez les démagogues. Ou encore de prendre des parts de marché chez des industriels concurrents. Les trois vont souvent ensemble. Le “post-truth” pose bien un problème démocratique majeur…

Marcel Kuntz

 

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 04/07/2017