Nathaniel GARSTECKA: Vers la fin de la Liberté

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Nathaniel GARSTECKA

Journaliste à "Wszystko co Najwazniejsze". Parisien né dans une famille d'origine polono-juive, habite à Varsovie. Il se passionne pour l'histoire et la culture polonaise, française et du peuple juif.

Ryc. Fabien CLAIREFOND

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C’est une tendance qui se matérialise progressivement depuis vingt ans. L’avènement d’un monde dans lequel la liberté individuelle aura quasiment disparu, entrainant dans sa mort la Différence et donc la Démocratie.

.En vue des Jeux Olympiques de 2024 à Paris, le gouvernement français a autorisé le déploiement de caméras à intelligence artificielle afin de surveiller les „comportements suspects” et les „mouvements de foule”. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui a pourtant comme objectif de „protéger les libertés individuelles”, a cédé aux demandes de l’Etat tout en notant qu’il s’agit d’”une modification de la nature même de la vidéo-surveillance, qui pourrait entraîner dans l’avenir des risques importants pour les libertés individuelles et collectives”. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a justifié cette décision d’un laconique: „A situation exceptionnelle, moyens exceptionnels”.

Ainsi, le modèle de société occidental fondé sur la liberté et la démocratie est petit à petit en train de s’éteindre, dans l’indifférence et avec la complicité de ceux qui pourtant devraient être les premiers à le défendre. Ce modèle était l’aboutissement de siècles de travail d’association entre spiritualité judéo-chrétienne et culture gréco-romaine au sein des populations habitant le continent européen puis nord-américain. Le fragile équilibre que nous étions parvenus à établir, entre liberté et sécurité, individualisme et bien commun, étatisme et laissez-faire, a duré principalement de la fin des années 1940 à la fin des années 1990, soit une cinquantaine d’années. Il a triomphé dans le contexte de la menace incarnée par une URSS puissante et dans le souvenir des horreurs de la Seconde Guerre mondiale. La chute de l’empire soviétique, l’apparition des défis de la mondialisation et de menaces plus diffuses comme le terrorisme, l’exacerbation de l’idéologie de l’émancipation et du progressisme et surtout les possibilités offertes par l’accélération des innovations technologiques (seules 20 petites années séparent la démocratisation d’Internet des premières tentatives d’emploi de l’Intelligence Artificielle à des fins de contrôle de la population), sont autant d’éléments qui, combinés, ont enclenché la fin de l’ère de la liberté.

Quelle que soit l’idéologie qui sera en mesure de l’emporter dans cette nouvelle course à la domination, elle aura a sa disposition les outils de contrôle les plus puissants que l’Humanité n’ait jamais connus. A la différences des dictatures des siècles précédents qui devaient user de force ou de menace pour imposer leur volonté d’emprise sur nos existences, les nouvelles entreprises totalitaires n’auront pas à réaliser de tels efforts qui pourraient leur aliéner les populations ciblées. Fait aggravant, les nouvelles technologies sont capables de s‘adapter à toutes les circonstances : il sera grâce à elles possible d’affermir son pouvoir autant sur des sociétés individualistes que sur des sociétés communautaires. La Chine ne précède, par exemple, que de quelques décennies l’Occident dans la mise en place d’un système de crédit social liberticide.

La courte expérience du XXIème siècle nous a déjà prouvé que les sociétés occidentales murissaient assez rapidement et inconsciemment à l’idée d’abandon progressif et indolore de leurs libertés fondamentales. La systématisation de l’insécurité et des crises sanitaires, la recherche du confort et de l’”augmentation de son existence” anesthésient nos esprits face aux graves menaces qui pèsent sur notre modèle civilisationnel si fragile et que nous pensons, à tort, intouchable. L’effacement des frontières entre réel et virtuel, la guerre menée contre l’anonymat, la volonté étatique de contrôler, surveiller, tracer, organiser tous les aspects de nos vies, l’enthousiasme pour le transhumanisme qui témoigne du désir de supprimer tout imprévu, tout aléatoire, tout ce qui en somme faisait que chaque expérience humaine était unique… Nous assistons à un bouleversement anthropologique qui risque d’aboutir à l’avènement d’une civilisation de l’indifférenciation et débarrassée du tragique.

C’est le tragique, ou plutôt la conscience du tragique, qui faisait de nous des êtres humains à part entière respectueux de notre nature et capables d’apprécier à leur juste valeur les notions de liberté et de démocratie. Qu’est-ce que serait cette démocratie sans droit à la différence? Sans l’expérience d’une vie unique et particulière? Sans indépendance de la pensée et des idées? Avec des institutions capables de savoir tout ce que l’on dit et pénalisant tout écart de conduite? Elle ne serait qu’un vain mot, une coquille vide, une façade masquant un totalitarisme ne disant pas son nom.

Au nom de la sécurité, de la santé et du confort, nous sommes prêts à abandonner l’aléatoire et le tragique, du moment que nous croyons que cela se réalise pour notre bien et sous la supervision de contre-pouvoirs. Nous imaginons que ce que les Chinois et les Russes subissent, nous ne le subirons jamais car nous sommes sous le bouclier de tel tribunal ou de telle commission d’experts. Quelle naïveté. L’exemple de la CNIL prouve que nous nous leurrons sur les garanties qu’offrent ces contre-pouvoirs. Nous allons dans la même direction que la Chine, mais en l’enrobant de discours rassurants et optimistes, progressistes. Nous avons pu le constater lors de la crise des restrictions sanitaires en 2020. Nous ne nous doutions pas que l’Etat pourrait mettre ainsi à contribution la technologie pour nous surveiller, en invoquant la nécessité de nous „protéger”. Un léger sursaut a eu lieu, une timide prise de conscience que l’horizon n’était peut être pas si lumineux que cela. Notre méfiance s’est malheureusement vite rendormie, bercée par les discours réconfortant et par les avantages offerts par le nouveau „contrat social”.

Nous étions prêts à accepter le tragique, la mort, afin de préserver nos libertés individuelles et collectives. La liberté a un prix qu’il est nécessaire d’accepter de payer. C’est l’esprit de la constitution américaine. Cependant, Les révolutions du XIXème siècle (industrielle, idéologique, psychanalytique, spirituelle et religieuse) ont bouleversé notre approche de la vie et de la mort. Les effets de ces révolutions se font de plus en plus sentir : individualisme, consumérisme, relativisme…

.Nous en sommes dorénavant au stade de l’intelligence artificielle, de la reconnaissance faciale, des modes de paiement dématérialisés, des maisons „connectées”, de la dépendance totale à l’électronique, des voitures autonomes et pistables, des implants identitaires sous-cutanés. Tout cela chapeauté par l’idéologie progressiste et de l’émancipation. La surveillance et le contrôle associés aux „lendemains qui chantent”. Les écrits de George Orwell ne seront bientôt plus de la science-fiction, mais de la science tout court.

Nathaniel Garstecka

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 26/08/2023