Prof. Wojciech ROSZKOWSKI: Le piège de la « liberté dorée »

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Prof. Wojciech ROSZKOWSKI

Historien, économiste. Auteur e.a. de « La nouvelle Histoire de la Pologne 1914-2011 » en sept volumes. Entre 2004-2009 député européen.

Ryc.Fabien Clairefond

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Le sursaut réformateur du 3 mai 1791 fut inefficace pour sauver la souveraineté de la Pologne.

.Au XVIIIe siècle, la République polono-lituanienne se retrouva dans un piège qu’il est difficile d’expliquer aux étrangers. Le régime de cet État se fondait sur l’élection libre des rois et le principe du liberum veto, à savoir l’unanimité de vote à la Diète. En théorie, la noblesse se trouvait face à l’impératif d’élire le meilleur candidat au trône et de se mettre d’accord quant aux questions de la plus grande importance. La pratique s’éloignait pourtant de plus en plus de l’idéal. Les nobles les plus riches s’achetaient les voix des députés et, incapables de trouver un bon candidat pour en faire un roi, cherchaient des prétendants à l’étranger. Le liberum veto, qui faisait ses preuves dans des questions comme la raison d’État, se trouvait appliqué au vote de lois. Le vote à la majorité était possible, mais pour pouvoir y avoir recours, il fallait un consensus des députés. « La liberté dorée » paralysait le fonctionnement du législateur, devenant ainsi un instrument d’ingérence idéal pour les voisins. Durant les règnes d’Auguste II et d’Auguste III, les deux originaires de Saxe et élus sous la pression étrangère, les rares tentatives de désobéissance se soldèrent par deux guerres civiles, au terme desquelles un candidat soutenu par la Suède et la France (Stanislas Leszczynski) dut avouer sa défaite et fuir le pays. La situation était d’autant plus compliquée que sur le territoire polonais stationnait l’armée russe qui ne l’avait pas évacué après la grande guerre du Nord et que la « Diète muette » de 1717 avait baissé, sous la pression russe, les effectifs de l’armée polonaise.

Dans la seconde moitié du siècle, la nécessité de réformer le régime du pays se faisait de plus en plus pressante, mais les pro-Russes au sein de la noblesse conservative ne voulaient pas qu’on touche à leur « liberté dorée ». En 1764, le premier candidat russe, Stanislas II Auguste, fut élu roi. La toute première tentative de profiter de l’affaiblissement de la Russie empêtrée dans un conflit avec la Turquie (1768) se solda par un fiasco de la ligue des anti-Russes, connue sous le nom de la confédération de Bar, et par le premier partage en 1772.

Une nouvelle guerre russo-turque (1787) ouvrait une seconde opportunité. Le roi Stanislas obtint de Catherine II son accord pour convoquer une Diète appelée désormais « Diète de quatre ans » (1788-1792). Elle devint le théâtre de luttes entre les pro-Russes, les républicains plus ou moins intéressés par les réformes et les radicaux voulant des changements rapides. Grâce à l’affaiblissement de la Russie, les réformateurs arrivèrent à faire adopter les règles d’une diète dite de « convocation » (siégeant avant l’élection du roi, pendant laquelle on discutait des conditions que devaient remplir les candidats et des règles de vote ; elle pouvait adopter une loi à la majorité simple). Pourtant, les nobles ne parvinrent pas à un consensus. La situation se débloqua en 1790, après les élections partielles qui permirent de doubler le nombre de députés. Face à une alliance anglo-prussienne contre la Russie qui se profilait à l’horizon, les réformateurs obtinrent l’appui de la Prusse, et ayant, grâce à un habile stratagème, à l’approche de Pâques, accéléré les débats, ils réussirent, le 3 mai 1791, à faire adopter une constitution et la soumettre au roi.

Le texte instaurait la monarchie héréditaire constitutionnelle, privait du droit de vote la noblesse sans terre, mettait les droits de la noblesse et de la bourgeoisie sur un relatif pied d’égalité, supprimait le liberum veto, réduisait les effectifs de l’armée et entourait de la protection de l’État les paysans. Ces réformes étaient l’expression de la détermination et de la capacité de l’élite nationale à défendre les intérêts de l’État. La constitution était si dangereuse pour les pro-Russes qu’ils formèrent une confédération à Targowica, à laquelle adhéra le roi en personne, et qui, avec l’appui de l’armée russe, renversa la nouvelle loi générale, favorisant ainsi le second partage de la Pologne. En 1795, la Russie, après avoir maté l’insurrection de Kościuszko, la Prusse et l’Autriche mirent un terme aux restes de la République.

.Ce fut un crime sans précédent et les trois puissances, durant des décennies, firent tout pour l’étouffer, en faisant croire que les Polonais n’étaient pas capables de se gouverner eux-mêmes et qu’ils étaient les seuls responsables de leur catastrophe. Cette version fausse de l’histoire se perpétue malheureusement de nos jours.

Wojciech Roszkowski

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 30/04/2021
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