Le septembre 1939 polonais et ses conséquences
Pourquoi est-il si difficile à l’Ouest de comprendre l’ampleur et les conséquences de la catastrophe qu’a été pour les Polonais septembre 1939 ? L’histoire de la Pologne du XX siècle est certes difficile mais surtout elle n’est pas du goût des grands de ce monde.
Le 1er septembre 1939, l’Allemagne d’Hitler a attaqué la II République de Pologne, en combattant contre les forces armées mais aussi en s’en prenant de manière barbare à des cibles civiles et en tuant des prisonniers. La France et la Grande-Bretagne, pourtant alliées de la Pologne car unies par des traités de soutien réciproque signés, respectivement, en 1921 et en 1939, malgré la déclaration formelle de la guerre à l’Allemagne, ont décidé, dans un accord passé à Abbeville le 12 septembre, de ne pas entreprendre d’action de force contre l’agresseur. Le 17 septembre, suite à l’absence de réaction militaire de la France, alors qu’elle s’était engagée dans un accord négocié juste avant la guerre d’attaquer l’Allemagne au plus tard le 15e jour suivant le début des hostilités, l’armée soviétique a, à son tour, attaqué la Pologne de l’Est. Conformément aux dispositions du pacte Ribbentrop-Molotov du 23 août 1939, le IIIe Reich et l’URSS se sont partagé le territoire de la Pologne. Les autorités polonaises ont, dans un premier temps, élu domicile en France, pour se retrouver finalement à Londres. Dans la Pologne occupée, Allemands et Russes menaient des actions d’extermination contre les citoyens de la IIe République de Pologne, principalement de nationalité polonaise et juive, en procédant à des exécutions massives, y compris de prisonniers de guerre et de civiles, comme dans la forêt de Katyń ou celle de Palmiry.
La continuité de l’État était assurée par le gouvernement à l’exil à Londres qui, dès le début, combattait l’ennemi commun. Une armée polonaise, composée de soldats qui sont parvenus à s’extirper de Pologne et de recrues issues de la diaspora polonaise à travers le monde, a été formée en France pour vite se désintégrer suite à la débâcle de celle-ci en 1940. Une deuxième tentative de recréer l’armée polonaise a eu lieu en Grande-Bretagne (1er Corps polonais), puis aussi, après l’invasion de l’URSS par l’Allemagne et l’accord polono-soviétique de 1941, quand on a mis sur pied une armée composée de Polonais libérés des goulags (2e Corps polonais). La nouvelle coalition antiallemande, appelée l’Alliance des Trois Grands (Grande-Bretagne, USA, URSS), a vu le jour. Le gouvernement polonais à l’exil la soutenait et politiquement et militairement.
Pendant ce temps-là, dans la Pologne occupée, différents partis se sont rassemblés dans les organes de l’État polonais clandestin, sous la houlette politique de la Délégation du Gouvernement au Pays. La principale force armée est devenue l’Armée de l’intérieur (AK). Le plan prévoyait des soulèvements armés à mesure que les Allemands se retireraient des territoires polonais. Les Soviétiques, à la différence des alliés occidentaux voulant la libération de l’Europe, projetaient d’étendre leur contrôle plus à l’Ouest. Le sort de la Pologne a été scellé lors de la conférence de Téhéran en 1943, quand l’URSS a obtenu un monopole de fait pour ses actions sur le front oriental. Les alliés occidentaux devaient entrer dans l’Allemagne par l’Ouest, l’URSS – par l’Est, en passant par les territoires polonais. Les Grands Trois ont décidé de déplacer les frontières de la Pologne à l’Ouest : les territoires annexés par l’URSS seraient récompensés par ceux repris aux Allemands. C’était une violation flagrante de l’article 2 de la Charte de l’Atlantique.
Il était clair pour les Polonais, vu les expériences précédentes, comme l’agression allemande de septembre 1939 avec son lot d’atrocités que personne n’est venu arrêter, que l’allié qui entrerait sur son territoire serait certes celui des Occidentaux mais un ennemi de la Pologne indépendante. Malgré cette conviction, le gouvernement polonais à Londres et l’état-major de l’AK se sont décidé à livrer bataille aux Allemands au moment où l’Armée rouge pénétrerait sur le territoire de la Pologne d’avant-guerre, pour montrer leur volonté à combattre l’ennemi commun. D’où l’insurrection de Varsovie contre l’occupant allemand, démarrée le 1er août 1944 : les résistants de l’AK voulaient montrer aux Soviétiques qu’ils les accueillaient en tant que légitimes propriétaires.
Or, Staline a stoppé l’offensive juste avant d’entrer dans Varsovie, en permettant le massacre de l’insurrection et de la capitale polonaise. À la différences des insurgés de Paris, à qui les alliés occidentaux sont venus en aide, les insurgés de Varsovie n’ont reçu aucun soutien. Les Soviétiques ont donc pu entrer sans problème, en janvier 1945, sur les décombres de la ville martyrisée pour y instaurer leur gouvernement fantoche. À Yalta, les Grands Trois ont avalisé la forme qu’allait prendre la nouvelle Pologne et une commission spéciale a décidé de la forme de son gouvernement, synonyme de sa soviétisation inévitable.
La Pologne a été la première à s’opposer militairement à l’Allemagne d’Hitler en 1939 et est restée fidèle jusqu’au bout à la coalition antihitlérienne. Malgré tout cela, vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle a subi une débâcle au sein du camp des vainqueurs. C’est pourquoi le jour du 8 mai, célébré partout dans le monde comme celui de la victoire, ne suscite pas de sentiments très positifs en Pologne. Le pays a perdu 6 millions de ses citoyens, dont 3 millions de citoyens de nationalité juive exterminés par les Allemands dans la Shoah. Une partie des élites politiques est morte, une autre est restée à l’émigration. La Pologne a subi de gigantesques pertes matérielles dont elle n’a reçu pratiquement aucun dédommagement. Le système communiste imposé à la Pologne par l’URSS signifiait la perte de l’indépendance, une révolution qui a fait hisser au pouvoir de nouvelles élites sociales à caractère colonial et un coup de frein au développement économique. Cela a provoqué une profonde crise spirituelle. Dans la conscience collective, les vainqueurs étaient perçus comme agresseurs ou faux amis. Les Allemands n’étaient plus obligés de tenir compte de cette nation si ouvertement instrumentalisée.
Comment garder l’espoir dans le désespoir – tel a été le phénomène de la Pologne sous le joug communiste. Il s’est avéré que c’était possible, dont témoignent les soulèvements polonais de 1956 et de 1970, la « Solidarité » et 1989, l’ « année des miracles », où on pouvait, de nouveau, chanter notre hymne « La Pologne n’est pas morte ».
Wojciech Roszkowski