Où sont les valeurs européennes ?
.« Vous, vous avez vos principes. Nous, nous avons les fonds » – qui est l’auteur de ces mots, qu’on a pu entendre récemment ? Le président François Hollande, et le propos date de 2017. Pour lui, « vous », ce sont les nouveaux États membres d’Europe centrale et orientale, et « nous » – les États de la « vieille Europe ». Grands mots. Il convient de rappeler qu’elles ont été prononcés dans le contexte du préambule au traité de Lisbonne et des centaines de déclarations de politiques occidentaux sur les « valeurs européennes », que les États de la « vieille Europe » défendraient contre les nouveaux États membres. Les derniers événements confirment les propos du président Hollande, car face à la guerre en Ukraine, les dirigeants de la « vieille Europe » se soucient plus de leur argent que des principes sur lesquels s’est construite l’Union européenne, tandis que les États du flanc oriental de l’Otan, conscients de des enjeux au niveau du continent, n’ont de cesse d’en appeler à la solidarité, la justice, la sécurité commune et la véritable prise en charge des plus démunis.
L’agression barbare de la Russie contre l’Ukraine a jeté une lumière crue sur la mise en pratique des « valeurs européennes » dans l’UE. Regardons au juste de plus près de quelles valeurs européennes il est question, car celles-ci sont rarement évoquées. Dans le discours européen, des mots tels que « liberté », « démocratie », « lutte contre la discrimination et l’exclusion » sont sur toutes les lèvres. Récemment, cependant, il a été plus important de lutter contre la discrimination dont seraient victimes des hommes voulant rivaliser dans les compétitions sportives féminines ou utiliser les toilettes pour femmes. Ce qui était plus importante, c’était la liberté de dire des bêtises sur la nature humaine au nom de la non-discrimination de la « diversité des opinions » garantie par la Charte des droits fondamentaux. L’opinion selon laquelle il y a vérité, bonté et justice, et même qu’il y a réalité, et pas seulement des récits sur la réalité, était souvent taxée, conformément à la phraséologie communiste, de « fascisme » et ne méritait pas d’être défendue.
Que nous dit de ces valeurs la récente manifestation de fierté russe dans les rues de Berlin ? Les Russes vivant en Allemagne, et donc non soumis à la terreur de Poutine, n’ont pas jugé opportun de condamner les crimes du Kremlin, mais, conformément à l’idéologie de la « non-discrimination », ont défendu leur fierté impériale qui s’exprime par des centaines de victimes violées et cruellement assassinées à Bucha, Gostomel et Irpin. Cela ne dérangeait personne ?
À la suite d’Isaiah Berlin, il est presque acquis en Europe occidentale que la liberté ne devrait pas servir des objectifs plus élevés, car ces objectifs deviendraient ainsi une sorte de contrainte et menaceraient la liberté. À la suite de Friedrich Nietzsche, les Occidentaux sophistiqués se situent dans un espace étrange « au-delà du bien et du mal ». Est-ce vraiment un endroit si confortable et si sûr ? Après tout, y vivent des criminels meurtriers comme Poutine et sa clique. Qui en Europe aujourd’hui croit vraiment qu’il existe le bien et le mal, la vérité et la justice, qu’au nom de la réalisation de ces valeurs des sacrifices sont indispensables, que la vie aisée et la liberté ont un prix, et que, finalement, la liberté sans la responsabilité est une anarchie vaine ?
Pour terminer, demandons-nous qui, dans l’Union européenne, a défendu le bon sens, le respect de la loi naturelle, la vérité et la justice ? N’étaient-ils pas le plus souvent des hommes politiques d’Europe centrale et orientale, accusés à volonté de « fascisme » et de liens avec Poutine ? Qui a fourni le plus de fonds à la Russie de Poutine ? La Pologne, la République tchèque ou la Slovénie ? Dans la véritable réponse, il faut désigner quelqu’un d’autre – des gens pour qui les valeurs européennes sont des phrases creuses, pour qui ne comptent que les intérêts financiers et politiques. Épargnons-nous la longue liste de ces politiciens occidentaux. Seulement que si on enfreint les règles par souci de ses propres profits, on peut perdre à la fois sa bonne réputation et ses profits. L’histoire de l’Europe nous en dit long sur ce dilemme. C’est ce que disait notamment Winston Churchill à propos du « sauver la paix » de Neville Chamberlain à la veille de la Seconde Guerre mondiale.
.Il faut alors beaucoup changer pour que rien ne change. Les pourvoyeurs d’énormes ressources financières alimentant la machine de guerre de Poutine continuent de sermonner la Pologne sur l’état de droit et de prétendre qu’ils ne font pas de distinction entre la défense contre les « migrants » illégaux en provenance de Biélorussie et l’aide aux réfugiés ukrainiens.
Prof. Wojciech Roszkowski
Texte co-publié avec le mensuel polonais „Wszystko Co Najważniejsze” dans le cadre d’un projet réalisé avec l’Institut de la mémoire nationale (IPN) et Narodowy Bank Polski (la banque centrale polonaise NBP).