Prof. Wojciech ROSZKOWSKI: L’antipolonisme

L’antipolonisme

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Prof. Wojciech ROSZKOWSKI

Historien, économiste. Auteur e.a. de « La nouvelle Histoire de la Pologne 1914-2011 » en sept volumes. Entre 2004-2009 député européen.

Ryc.Fabien Clairefond

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Le fondement de toute propagande agressive est une répétition constante de mensonges selon le principe qu’il y a peu de gens qui croient aux petits mensonges, mais que face à un gros mensonge on est pratiquement désarmé. Si nous continuons à entendre dire que c’est la Pologne qui endosse la responsabilité de la Shoah et de l’éclatement même de la Seconde Guerre mondiale, il faut se le dire ouvertement : nous avons affaire à une régulière et agressive propagande antipolonaise, donc à de l’antipolonisme. Il serait donc utile de nous demander quel est le vrai but de ces actions, tout en sachant que cette question devrait être posée avant tout à ceux qui sont les auteurs de toute cette propagande mensongère.

.À ceux qui connaissent moins bien l’histoire de la Seconde Guerre mondiale rappelons donc les principaux faits. En septembre 1939, l’armée du Troisième Reich allemand et celle de l’URSS, sans qu’il y ait eu une quelconque provocation, ont agressé la Pologne, conformément à l’accord bilatéral signé le 23 août 1939 par les ministres Joachim von Ribbentrop et Viatcheslav Molotov. Or, la Pologne avait signé des traités de coopération bilatérale avec chacun des deux voisins, en excluant fermement de s’allier avec l’un contre l’autre. Suite à l’agression allemande, le 1er septembre 1939, et soviétique, le 17 septembre de la même année, l’État polonais n’a pu avoir sa continuité que sous forme d’un gouvernement à l’exil, siégeant d’abord en France, et puis, dès 1940, à Londres. Les territoires polonais de la Deuxième République ont été occupés et ses citoyens soumis à une terreur sans précédent : ils étaient spoliés, assassinés, déportés aux camps de concentration, exterminés. La destruction des infrastructures et des autres biens matériels a pris une échelle inimaginable à l’Ouest. De plus, après la guerre, la Pologne s’est retrouvée dans le rôle d’un allié, mais dominé par un autre allié, l’URSS de Staline. Un des instigateurs de la tragédie de la guerre s’est en effet rangé aux côtés des vainqueurs tandis que la Pologne s’est vu imposer un système totalitaire, où assez rapidement on a procédé à une nationalisation généralisée des biens. La reconstruction du pays, elle, n’a été possible que grâce à une implication massive des citoyens, avec, certes, des fonds provenant des impôts, donc assurés par l’État, mais souvent aussi de la spoliation par l’État de ses propres citoyens.

Le sort des biens se trouvant en territoires de la Deuxième République a été particulièrement compliqué. Ils ont subi des destructions pendant la guerre suite à l’action des armées allemande et soviétique d’occupation, des spoliations par les organes de ces pays ainsi que par leurs représentants sur place. Après la guerre, ni les propriétaires citoyens de la Deuxième République ni leurs héritiers n’ont obtenu aucune indemnité de la part des communistes. Conformément aux accords de Potsdam, l’État communiste polonais – la République populaire de Pologne (PRL) – devait bénéficier de modestes réparations de la part de l’Allemagne, payées par l’intermédiaire de l’URSS, ce qui était de fait une preuve tangible de la vassalisation de la PRL à l’URSS. Les sources historiques restent néanmoins muettes quant aux montants qui auraient été obtenus de Moscou. Il faut écarter la thèse disant que c’étaient les autorités polonaises qui y auraient renoncé. Les traces de cette décision sont très douteuses, et sa base juridique – la légitimité de prendre une telle décision – est encore plus douteuse. Qui pis est, quand le régime communiste tirait à sa fin, il y a eu des cas de privatisation effrénée et souvent illégale des biens nationalisés par le régime au sortir de la guerre, mais reconstruits avec la participation active de toute la société.

En résultat de la guerre, environ 6 millions de citoyens polonais de la Deuxième République ont perdu la vie, dont environ 3 millions de Juifs tout aussi citoyens polonais. L’État polonais n’est en aucun cas responsable de la mort de ses citoyens des mains allemandes ou soviétiques, car il n’avait aucune influence sur ce que les occupants faisaient sur son territoire. L’attitude des citoyens de la Deuxième République face à la tragédie de la Shoah est difficile à mesurer dans tous les détails, car les sources précises manquent. Certains se sont comportés en héros, en protégeant leurs concitoyens juifs devant les Allemands, d’autres se sont comportés honteusement, en les délivrant à leurs persécuteurs. Mais la majorité ont eu une attitude passive, de peur de perdre leur vie ou de faire perdre la vie à leurs proches, car les Allemands punissaient de peine de mort toute la famille de celui ou celle qui apportait de l’aide à un Juif. Le cas de la famille Ulma de Markowa est très parlant. Ne voir que ceux qui se sont comportés honteusement et passer sous silence les héros mis à l’honneur au Yad Vashem, est faire preuve de mauvaise foi.

Si la raison de répéter sans discontinuer des mensonges sur « les camps de concentration polonais », sur les nazis et non pas les Allemands auteurs des atrocités commises sur le territoire polonais, et d’accuser la Pologne de la coresponsabilité de la Shoah et de l’éclatement même de la Seconde Guerre mondiale, est la volonté de se faire restituer les biens dont ont été spolié les citoyens juifs de la Deuxième République et, notamment, les biens sans héritiers légaux, il faut donc dire ce qui suit.

Selon la législation des États civilisés, c’est l’auteur du dommage qui indemnise. Pour ce qui est de notre cas, les auteurs sont bien connus. Ce sont le Troisième Reich allemand et l’URSS, qui, ayant conjointement et de concert agressé la Pologne en 1939, sont responsables d’inimaginables dégâts matériels et humains (la mort de 6 millions de citoyens de la Deuxième République). Alors, si quelqu’un devait être le destinataire des revendications concernant la spoliation du droit de propriété et des valeurs qui en découlent, ce seraient leurs successeurs légaux et en aucun cas l’État polonais d’aujourd’hui, ou, pour être précis, le contribuable polonais d’aujourd’hui. Pour faire éviter donc au contribuable polonais de payer pour les dommages causés par les agresseurs allemand et soviétique, il faut que la privatisation soit consciencieusement menée à son terme. L’absence d’une quelconque loi de privatisation après 1989 s’explique, et j’en parle plus haut, par d’énormes difficultés en la matière.

Le principe général d’estimation des indemnisations dues est la valeur réelle du bien immeuble en question en 1939, dont il faut déduire les charges hypothécaires, si elles existaient à cette date, et l’ampleur des destructions des années 1939-1945. Les dommages de guerre sont rangés par les assureurs dans la catégorie de « force majeure » et aucun assuré ne peut revendiquer d’indemnisation à ce titre. Dans notre cas précis, il n’est même pas important que les biens aient été assurés ou pas avant 1939. Toutes les prétentions doivent être en effet adressées aux auteurs des dommages. Estimer la valeur des biens immeubles de 1939 à leur valeur d’aujourd’hui conduira inévitablement à une augmentation de celle-ci, car elle devra prendre en compte les coûts de reconstruction après le désastre de la guerre. Sauf que ces coûts ont été endossés par la société polonaise dans son ensemble du fait, d’un côté, de la nationalisation de l’économie par les communistes, et de l’autre, de la hausse des prix de l’immobilier due à l’essor économique du pays. Donc, si la Pologne n’obtient pas de réparations de la part des agresseurs de 1939, pour faire éviter au contribuable le coût, immense, lié à la perspective de payer des indemnisations, il faudra établir pour chaque bien immeuble une estimation de sa valeur, en prenant en compte sa valeur réelle en 1939 dont on déduira les charges hypothécaires, la valeur des dégradations du temps de la guerre et les variations des prix après 1939. Mais il faudra surtout diriger les personnes et les entités demandant des indemnisations vers les successeurs des auteurs de ces dommages, à savoir le gouvernement de l’Allemagne et celui de la Fédération de Russie.

.Exiger que l’État polonais – donc le contribuable polonais – d’aujourd’hui paie des indemnisations correspondant à la valeur d’aujourd’hui des biens endommagés et spolié pendant la guerre, est une absurdité et une injustice des plus monstrueuses. Il doit y avoir des limites à l’antipolonisme.

Wojciech Roszkowski
Traduit par Andrzej Stańczyk

17/09/2021