Abp Stanisław GĄDECKI: Polonia semper fidelis – une mission particulière de fidélité

Polonia semper fidelis – une mission particulière de fidélité

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Abp Stanisław GĄDECKI

Il préside la Conférence épiscopale polonaise depuis 2014. l est élevé par le pape Jean-Paul II le 28 mars 2002 comme archevêque métropolitain de l'Archidiocèse catholique de Poznań.

Ryc. Fabien Clairefond

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Nous aidions et continuons de le faire. Proportionnellement à la taille de la population, c’est la Pologne qui accueille le plus grand nombre de réfugiés en Europe. Grâce au soutien de l’État et de l’Église, 3,5 millions de réfugiés ukrainiens ont trouvé refuge chez les familles polonaises.

.La béatification de la famille polonaise Ulma dans le village de Markowa, dans le sud de la Pologne, revêt une dimension symbolique. Le 24 mars 1944, ils ont été fusillés par des gendarmes allemands pour avoir caché des Juifs. Depuis décembre 1942, les Ulma avaient hébergé une famille juive de Łańcut – Saul Goldman avec ses fils Baruch, Mechel, Joachim et Mojżesz – ainsi que deux filles et une petite-fille de Chaim Goldman de Markowa – Gołda Grünfeld et Layka Didner, cette dernière accompagnée d’une fillette dont le nom reste inconnu. Les Allemands ont appris ce fait grâce à une dénonciation et ont assassiné Józef et Wiktoria Ulma et leurs enfants : Stanisław, Barbara, Władysław, Franciszek, Antoni, Maria, ainsi que les Juifs cachés. Dix-sept personnes au total, dont un bébé en train de naître. L’exécution faisait partie de l’opération anti-juive « Reinhardt ». L’opération à Markowa fut commandée par le lieutenant Eilert Dieken qui après la guerre intégrera la police allemande, à Essens. Mort en 1960 en tant que « citoyen respectable », Dieken – comme d’ailleurs les autres participants au meurtre – ne sera jamais traduit en justice. Sa fille aînée a écrit en 2013 : « D’après les lettres qu’il m’a envoyées, je sais que pendant la guerre, il a servi à Łańcut. À ma grande joie, je sais aussi qu’il a fait beaucoup de bien aux gens. Quoi qu’il en soit, je ne me serais attendue à rien d’autre ».

Józef et Wiktoria Ulma ont caché les Juifs malgré une loi émise par les Allemands le 15 octobre 1941, selon laquelle non seulement encouraient la peine de mort les Juifs « ayant quitté leur quartier assigné », mais aussi tous ceux qui les cachaient. La raison pour laquelle les Ulma ont décidé de risquer leur vie était leur profonde foi catholique traditionnelle. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jean 15,13). Durant la Seconde Guerre mondiale, d’après diverses estimations, entre 300 000 et un million de Polonais furent impliqués dans les actions visant à cacher des Juifs, dont plus d’un millier, connus par leur nom, furent assassinés comme la famille Ulma (M. Szpytma, Les Justes comme un modèle d’humanité). Grâce à l’aide des habitants de Markowa, 21 Juifs sur 120 qui y vivaient avant la guerre ont survécu à la guerre.

La béatification de la famille Ulma est atypique dans la mesure où, pour la première fois dans l’histoire de l’Église, un enfant mort dans le ventre de sa mère sera élevé sur les autels. Wiktoria Ulma était dans son septième mois de grossesse. Cet enfant, selon l’enseignement de l’Église, a reçu le baptême de sang, qui apporte les fruits du baptême, sans être un sacrement. L’Église souligne ainsi que l’enfant à naître mérite la dignité humaine et tous les droits qui en découlent.

La béatification des Ulma rappelle au monde le besoin de respecter la vie de tout être humain ainsi que la nécessité de défendre avec intransigeance les valeurs. Peut-être que, dans le monde sécularisé de l’Occident, le fait que des parents soient prêts à risquer non seulement leur propre vie, mais aussi celle de leurs enfants, pour sauver des gens d’autres nationalités et religions, peut paraître surprenant. Cette attitude découle cependant de l’enracinement dans le christianisme qui continue de caractériser la culture polonaise. Cette attitude était également représentée par d’autres saints polonais : saint Maximilien Kolbe, bienheureux Cardinal Stefan Wyszyński, bienheureux Père Jerzy Popiełuszko, saint Jean-Paul II. De ce tronc est également né le mouvement Solidarité qui a conduit à la chute du totalitarisme communiste et à l’effondrement de la division du monde en deux camps hostiles. Et cela « par l’action non violente d’hommes qui, alors qu’ils avaient toujours refusé de céder au pouvoir de la force, ont su trouver dans chaque cas la manière efficace de rendre témoignage à la vérité » (Centesimus annus, 23).

Józef et Wiktoria Ulma avaient pris au sérieux la réponse qu’un docteur de la loi reçut de Jésus. Il demanda : « Et qui est mon voisin ? » (Luc 10,29). Jésus raconte la parabole du Bon Samaritain, devenue un canon de la culture européenne. Le Samaritain est un homme libre de toute peur. Il ne demande pas qui est l’homme allongé au bord de la route. Il ne s’intéresse pas à sa nationalité, sa religion, ses opinions ou sa position sociale. Il franchit toutes les barrières sans même s’en apercevoir. La question de savoir qui est l’homme dont la vie est en danger est si dénuée de sens que Jésus ne donne au savant aucun détail qui lui permettrait de deviner son identité. Nous ne savons même pas s’il était juif. Ce n’est pas important parce que tout homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu et est apte à devenir notre prochain.

Ces derniers mois, après l’agression brutale de l’Ukraine par la Russie, la même sensibilité chrétienne des Polonais s’est traduite par une ouverture singulière des cœurs et des foyers aux réfugiés. Depuis le début du conflit, environ 14,5 millions de personnes fuyant la guerre sont arrivées en Pologne, dont près de 13 millions sont retournées dans leur pays. Il s’agit principalement de femmes et d’enfants. À son apogée, environ 3,5 millions d’Ukrainiens ont trouvé refuge en Pologne, dont environ 30 % dans des familles polonaises. D’autres ont été accueillis par les institutions de l’État, des collectivités locales et de l’Église, sans qu’il soit nécessaire de mettre en place des camps de réfugiés. Les Ukrainiens ont reçu non seulement une aide humanitaire, mais aussi certains droits civils, leur permettant, par exemple, de bénéficier des soins de santé publics, d’inclure les enfants dans le système éducatif polonais, de bénéficier de certaines prestations sociales ou de travailler. Proportionnellement à la taille de la population, c’est la Pologne qui accueille le plus grand nombre de réfugiés en Europe.

.De cette identité découle également la responsabilité historiquement établie envers l’Église. Polonia semper fidelis – par cette devise s’exprime notre mission particulière de fidélité. C’était autrefois aussi le slogan d’autres nations. Fidèle à cette attitude, l’Église en Pologne veut participer au prochain synode sur la synodalité, en y voyant une opportunité d’un renouveau de l’Église en Europe à travers le rappel et l’expression dans un langage moderne de ces valeurs sans lesquelles l’Église et le christianisme, et donc la Pologne et l’Europe, ne seraient pas eux-mêmes. La béatification des Ulma rappelle la valeur inaliénable du mariage comme union d’un homme et d’une femme formant une famille ouverte à l’accueil d’enfants, comme un environnement dans lequel se transmettent la foi et les valeurs. C’est aussi une confirmation de la valeur de la vie depuis la conception et un rappel du commandement de l’amour du prochain jusqu’à la disponibilité à donner sa vie pour ses amis. Enfin, les béatifiés étaient des gens comprenant bien la mission des laïcs dans l’Église et dans le monde. Ils nous rappellent ce qui, dans notre vie terrestre, est important et ce qu’il faut faire pour obtenir la vie éternelle.

Stanisław Gądecki

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 07/09/2023