
Vainc le mal par le bien. Silhouette du héros national polonais – le protecteur spirituel du mouvement Solidarité
Je reste persuadé que la vie et l’œuvre du Père Jerzy Popiełuszko, sa victoire posthume sur le système communiste de mensonge et d’oppression ainsi que son appel de « vaincre le mal par le bien » devraient devenir un sujet de réflexion pour tous ceux qui veulent rendre le monde meilleur.
.Il y a quarante ans, ma patrie, la Pologne, partie intégrante du bloc de l’Est, se trouvait sous le régime d’une dictature communiste. En octobre 1984, la télévision d’État informait que le prédicateur charismatique – le père Jerzy Popiełuszko – avait été enlevé et que des agents du Service de sécurité (SB), autrement dit de la police politique du régime rouge, « ayant agi de leur propre chef », y seraient impliqués. Le corps du prêtre fut bientôt retrouvé. Les experts n’en doutaient pas : il s’agissait d’un meurtre précédé d’actes de torture.
La nouvelle a bouleversé la société polonaise. À Varsovie, plus de 600 000 personnes, dont des délégations de travailleurs venus de tout le pays, ont accompagné le prêtre assassiné sur le dernier chemin.
Qui était ce prêtre de 37 ans de l’archidiocèse de Varsovie, dont la mort a si profondément ému des millions de Polonais ? Pourquoi, en 2010, fut-il déclaré bienheureux par l’Église catholique ?
Pour le comprendre, il faut remonter le temps jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Le 1er septembre 1939, le Troisième Reich allemand a lancé une agression armée contre le territoire de la République de Pologne. Puis, conformément au pacte Ribbentrop- Molotov, conclu le 23 août de la même année, les troupes soviétiques ont attaqué la Pologne le 17 septembre, occupant une large bande de ses terres orientales. La République en tant qu’État s’est effondré, mais en tant qu’État polonais clandestin bientôt établi, elle a opposé une résistance constante aux envahisseurs – en étroite coopération avec les Alliés. Entre novembre 1943 et août 1945, lors des conférences de Téhéran, Yalta et Potsdam, les dirigeants des États-Unis d’Amérique, de la Grande-Bretagne et de l’Union soviétique se sont mis d’accord sur les principes d’un nouvel ordre en Europe. Ils ont également décidé du sort de la Pologne, un pays qui depuis mille ans avait eu sa part dans l’établissement de la culture occidentale ; un pays qui avait été le premier à résister à l’invasion armée du Troisième Reich et qui non seulement n’avait jamais collaboré avec l’Allemagne nazie, mais qui avait également soutenu les troupes alliées avec des milliers de ses soldats sur tous les fronts de la lutte contre les hitlériens.
Hélas, à la suite aux arrangements entre les Trois Grands, ma patrie, bien qu’officiellement libérée, est restée en réalité sous la domination des Soviétiques. Après la tragédie de l’occupation criminelle allemande, la fin de la Seconde Guerre mondiale a apporté aux Polonais non pas la liberté et le développement, mais l’esclavage communiste, les garnisons permanentes de l’Armée rouge et la subordination coloniale à l’empire avec Moscou pour capitale.
Le pouvoir communiste basé sur la dépendance à l’’égard des Soviétiques et son idéologie totalitaire étaient à l’opposé des idéaux et des aspirations les plus chers aux Polonais, à savoir un État souverain, le respect de la tradition chrétienne et de la liberté religieuse, une économie basée sur la propriété privée et le solidarisme social, ainsi que la volonté de rattraper les retards causés par la destruction du pays lors des deux conflits mondiaux. Malheureusement, les craintes des patriotes polonais se sont confirmées. Les effets de l’installation du communisme en Pologne furent similaires à ceux observés ailleurs dans le monde : exploitation politique et économique par l’URSS, économie inefficace, paupérisation généralisée, travail au-dessus des forces humaines, privilèges de « l’aristocratie rouge » oisive, piétinement systémique des droits de l’homme et de la culture nationale authentique, censure stricte et État policier, procès-spectacles, pacifications sanglantes des protestations ouvrières, meurtres et autres crimes de l’appareil de répression agissant en toute impunité.
La vie sociale dans la Pologne dirigée par les communistes fut empoisonnée par des phénomènes décrits de manière prophétique par George Orwell dans son roman au titre significatif 1984. Parmi eux, par exemple, la novlangue et la doublepensée et des manifestations publiques de haine envers les personnes qualifiées par les autorités d’« ennemis du peuple ». Pour être considéré comme tel, il n’était pas nécessaire d’appeler à un renversement du régime et de critiquer directement ses erreurs et sa méchanceté. Il suffisait d’évoquer des faits avérés et utiliser – dans le respect de leur sens originel – des notions telles que la liberté, la justice, la dignité de l’homme et du travailleur, la solidarité. Il suffisait de parler du mal qu’est la tyrannie de la peur et de l’opportunisme ; de la vérité comme valeur non seulement dans la vie individuelle, mais aussi dans la vie collective ; de la vision chrétienne de la société et l’amour de la patrie. Il suffisait de rester calme face aux pressions et au harcèlement ; de prier publiquement pour les opposants persécutés et emprisonnés ; d’apporter un soutien spirituel et moral aux personnes intérieurement libres.
C’est dans ces réalités de la vie qu’exerçait son ministère sacerdotal Jerzy Popiełuszko. L’aumônier du mouvement national Solidarité – fondé lors de la vague de grèves massives de 1980, bientôt interdit et poussé à poursuivre ses activités dans la clandestinité – le Père Jerzy est devenu une véritable figure d’autorité pour les Polonais, un éveilleur de conscience, un héros incarnant les aspirations de la nation à la liberté. Les foules venaient assister à ses fameuses messes pour la patrie et ses sermons enflammés et édifiants circulaient dans tout le pays sous forme d’enregistrements audio et de publications clandestines. Son service pastoral auprès des travailleurs et de l’opposition démocratique lui a valu la réputation d’un guide spirituel et d’un protecteur pleinement dévoué à sa vocation.
En réponse, le régime communiste a déclenché une campagne de calomnies, de provocations et de moqueries visant le père Popiełuszko. Il a eu recours à l’intimidation et aux agressions physiques. Et quand cela n’a pas fonctionné, le courageux prêtre fut enlevé, torturé et brutalement assassiné par trois agents membres d’une cellule spéciale au sein du Service de sécurité, chargée de la lutte contre l’Église catholique en Pologne. Les circonstances du meurtre ne sont toujours pas entièrement révélées, et le déroulement de l’enquête et du procès ne cesse de susciter des doutes. Les auteurs du meurtre furent libérés bien avant l’expiration de leurs longues peines de prison.
Dès les premiers jours après la mort du Père Jerzy Popiełuszko, il fut traité en Pologne comme un martyr, c’est-à-dire comme une personne qui par son attitude avait témoigné de sa fidélité héroïque à l’Évangile. Le pape Benoît XVI a jugé que l’aumônier de Solidarité avait perdu sa vie pour la foi, les idéaux chrétiens de vérité et d’amour du prochain. Pour avoir risqué sa vie, en apportant un réconfort religieux à ceux qui étaient dans l’oppression – en tant que personnes et en tant que chrétiens.
Mais le message le plus important, universel et toujours d’actualité du Père Jerzy étaient les paroles de l’apôtre Paul extrait de son Épître aux Romains : « Vainc le mal par le bien ». Le prêtre a toujours appelé à ne pas répondre de la même manière à la méchanceté, à la violence et aux traitements inhumains. Il a averti que répondre au mal par le mal nous amènerait en fin de compte à nous demander : qu’avons-nous réellement gagné si, en gagnant, nous sommes devenus comme nos persécuteurs ?
Lui-même a choisi la voie du don de sa personne et du sacrifice jusqu’au bout pour être fidèle à ses valeurs.
.Je reste persuadé que la vie et l’œuvre du Père Jerzy Popiełuszko, sa victoire posthume sur le système communiste de mensonge et d’oppression ainsi que son appel de « vaincre le mal par le bien » devraient devenir un sujet de réflexion pour tous ceux qui veulent rendre le monde meilleur. En effet, la figure du Père Jerzy apporte au monde un message d’espérance et du sens d’un effort persistant vers la paix et la justice.