Karol NAWROCKI: Attentat contre Solidarnosc

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Karol NAWROCKI

Président de l'Institut de la mémoire nationale de Pologne.

Ryc. Fabien Clairefond

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À ceux qui aspiraient à la liberté, les autorités communistes offraient matraques, gaz lacrymogènes et centres d’internement. Cela n’a pas pour autant suffit à briser l’esprit de liberté des Polonais.

.«Il est 6 heures du matin. Un fracas d’abord, puis deux coups puissants. Les chars ont forcé notre barricade.» C’est ainsi qu’Anna Walentynowicz, grutière légendaire et militante du syndicat Solidarnosc, se souviendra du 16 décembre 1981. C’est le quatrième jour de la loi martiale – une guerre déclarée à sa propre nation par la junte communiste de Wojciech Jaruzelski. Plusieurs milliers de membres de Solidarnosc et de l’opposition démocratique sont déjà internées. Ceux qui ont réussi à échapper à l’arrestation réclament la libération de leurs collègues. Le berceau de Solidarnosc – les chantiers navals Lénine de Gdańsk – est en grève. Walentynowicz appelle « à s’unir, à agir ensemble, à défendre le syndicat ». Contre des ouvriers comme elle, armés de cœurs patriotiques, les autorités lancent des chars, des hélicoptères, plusieurs centaines de miliciens et un peloton commando. L’issue de cet affrontement inégal n’est pas difficile à prédire.

Une décennie perdue

.Seize mois plus tôt, en août 1980, dans les mêmes chantiers navals de Gdańsk, une histoire avec un grand H se déroule. Une grève y éclate pour ensuite se répandre rapidement dans toute la Pologne. Le comité de grève interentreprises basé aux chantiers navals annonce 21 revendications, dont la première semble révolutionnaire dans les conditions du bloc de l’Est : l’acceptation de « syndicats libres, indépendants des partis et des employeurs ». Dos au mur, les communistes cèdent. C’est ainsi que voit le jour le syndicat autonome Solidarnosc, un mouvement social de plusieurs millions d’adhérents, non contrôlé par les autorités, sans équivalent dans aucun autre pays dominé par l’URSS. Commence la période qu’on appelle encore le « carnaval de Solidarnosc », un souffle de liberté relative dans un État toujours oppressif.

Pour les caciques communistes, cette situation n’est acceptable qu’à court terme. Le leader du Parti unifié des travailleurs polonais, Stanisław Kania, espère que Solidarnosc pourra être contrôlée, les « forces antisocialistes » en être chassées et un « courant ouvrier sain » progressivement intégrée dans le cadre rigide du système. Dans le même temps, le ministère de l’Intérieur et l’armée préparent une répression musclée contre le syndicat. Jaruzelski, qui a remplacé Kania en octobre 1981, table sur cette dernière option – conformément aux attentes des Soviétiques, mais pour le malheur de la nation.

La loi martiale, annoncée le matin du 13 décembre 1981, vise à briser l’épine dorsale de Solidarnosc et de toute opposition démocratique. Les centres d’internement et de détention se remplissent rapidement de militants pour la liberté et les droits des travailleurs. Les communistes interdisent les grèves, les réunions, l’activité des syndicats et de multiples autres organisations. La résistance est brisée sans pitié. Le 16 décembre, l’armée et la milice matent les protestations des mineurs de « Wujek » à Katowice, avec un bilan sanglant de neuf morts et de nombreux blessés. Les moindres formes de résistance sont punies et passibles de peines draconiennes. Ewa Kubasiewicz, co-auteure d’un tract anti-gouvernemental, est condamnée par le tribunal militaire de Gdynia à dix ans de prison.

Malgré la fermeture des frontières par le régime rouge, tout se passe sous les yeux du monde entier. Au Vatican, le pape Jean-Paul II souffre avec ses compatriotes, les encourage – et réprimande les autorités communistes. « L’État ne peut être fort par aucune violence », lance-t-il lors d’une des audiences. « La Pologne a besoin de coopération entre son gouvernement et son peuple, et non d’oppression militaire », fait écho le président américain Ronald Reagan. Dans le même discours, il appelle les Américains à allumer des bougies à leurs fenêtres la veille de Noël, en signe de solidarité avec les « courageux Polonais ». En signe de solidarité, des stars hollywoodiennes, dont Kirk Douglas et Frank Sinatra, enregistrent une émission télévisée intitulée Let Poland be Poland,

L’équipe de Jaruzelski ne suspend la loi martiale qu’en décembre 1982, pour l’abolir définitivement en juillet de l’année suivante. Les autorités communistes tentent de convaincre l’Occident que la « normalisation » progresse en Pologne. Mais les personnes qui gênent le régime sont toujours contraintes d’émigrer, emprisonnées ou même tuées – comme le prêtre charismatique Jerzy Popiełuszko, sauvagement assassiné à l’automne 1984. Solidarnosc doit encore fonctionner dans la clandestinité, mais son mythe reste vivant. Les élections de juin 1989, même si elles ne sont pas encore totalement libres, se terminent par une défaite cuisante des communistes. Ils perdent un par un les avant-postes de leur pouvoir.

Accomplir la transformation

.«Il n’y aura pas de punition pour les salauds moyens, / Et le peuple fera des sacrifices en vain» – sonnent comme une prédiction les paroles d’une chanson, composée en 1982, par Jacek Kaczmarski, poète et chanteur surnommé le chantre de Solidarnosc. Les prévisions pessimistes de l’artiste, exprimées en pleine « nuit de la loi martiale », ne se sont heureusement pas réalisées. Grâce au sacrifice de la génération Solidarnosc le système communiste s’est finalement effondré et la Pologne a rejoint le système d’alliances occidental.

Certes, beaucoup de responsables des crimes du régime rouge ont échappé à la punition sur cette terre et ont même été enterrés avec les honneurs, comme Jaruzelski. Cependant, l’Institut de la Mémoire nationale, que j’ai l’honneur de diriger, s’est engagé à achever le processus de décommunisation entamée il y a 35 ans. Nous avons mis en œuvre le projet « Archives des crimes » visant à jeter un nouveau regard sur les activités criminelles des autorités communistes dans les années 1980. Nous menons des recherches scientifiques approfondies sur la loi martiale et réfutons les thèses mensongères de Jaruzelski à ce sujet. Enfin et surtout, nous rendons hommage à ceux qui, malgré la répression, n’ont pas eu peur de se battre pour une Pologne souveraine. Il y a quelques semaines, le 10 novembre, j’ai participé au dévoilement d’une plaque commémorative de la « Mère de Solidarnosc », Anna Walentynowicz, dans ma ville natale de Gdańsk. Dans l’espace public de la Pologne libre, il doit y avoir une place digne pour nos héros.

Karol Nawrocki

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 12/12/2024