Nathaniel GARSTECKA: François Bayrou, l’aveu d’échec d’Emmanuel Macron

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Nathaniel GARSTECKA

Journaliste à "Wszystko co Najwazniejsze". Parisien né dans une famille d'origine polono-juive, habite à Varsovie. Il se passionne pour l'histoire et la culture polonaise, française et du peuple juif.

Le chef de l’Etat ne voulait pas donner à François Bayrou de responsabilités politiques. Il lui a fait miroiter un avenir en le plaçant au ministère de la justice le lendemain de son élection, poste que maire de Pau ne conservera qu’un seul petit mois, mis sous pression par les affaires judiciaires ouvertes opportunément contre lui. C’est désormais la revanche du centriste père sur le centriste fils. Embourbé dans un chaos politique qu’il a lui-même provoqué en dissolvant l’Assemblée Nationale, le président s’est vu contraint et forcé de confier la tête du gouvernement à celui qui a été le premier à le soutenir dans la course à l’élection présidentielle de 2017.

.Les échos des coulisses de cette nomination nous apprennent que la réunion entre les deux hommes, ce vendredi 13 (ça ne s’invente pas) décembre 2024 crucial, a été tendue. Emmanuel Macron a été mis dos au mur par le vieux briscard de la politique française, dont le premier mandat électif remonte à 1982. François Bayrou a menacé de retirer le soutien du MoDem, pourtant indéfectible depuis le début, et ainsi de provoquer sans doute la chute du président. Ce dernier préférait nommer quelqu’un de moins politique, de plus docile. Un Sébastien Lecornu, ou un Roland Lescure. Certainement pas à nouveau un représentant de l’ « ancien monde », surtout après l’échec Michel Barnier. Il ne pouvait cependant pas se permettre de repousser à nouveau François Bayrou.

Pas ici, pas maintenant. Emmanuel Macron a enchainé les déconvenues, sa côte est au plus bas dans l’opinion publique, les partenaires européens ne veulent pas lui servir de tremplin, les médias commencent à le lâcher, les appels à sa démission se multiplient. Sa tentative de redonner un souffle à un système totalement sclérosé s’est soldée par un échec monumental : explosion du bipartisme structurant de la vie politique de la Vème République et du sens de la réforme du quinquennat. Lui qui voulait laisser sa trace dans l’histoire, il restera comme celui qui a abattu l’équilibre historique qui régnait dans le pays, pour le meilleur et pour le pire.

Mais, comme rappelé plus haut, cela n’aurait jamais été possible sans le concours de François Bayrou. Au début des années 2000, c’est lui qui amorce la rupture entre l’UDF et le RPR, alors que c’est à la droite qu’il doit son mandat de député des Pyrénées-Atlantiques. En 2007 il refuse de soutenir Nicolas Sarkozy au second tour de l’élection présidentielle après avoir obtenu un score record de 19% et une troisième place. En 2012, il appelle ouvertement à voter pour François Hollande, ce qui pèsera incontestablement dans la victoire du socialiste. C’est sous la présidence de François Hollande qu’émergera Emmanuel Macron, d’abord en tant que secrétaire du président, puis en tant que ministre de l’économie, et enfin comme candidat de substitution du centre gauche après la scission avec le PS historique.

En février 2017, alors que François Fillon est en train de redresser sa campagne et que les sondages commencent à placer le candidat LR à nouveau au second tour contre Marine le Pen, François Bayrou se retire de la course et annonce son alliance avec Emmanuel Macron. Ce sont les 5% qui vont faire la différence et qualifier le successeur non officiel de François Hollande pour la finale, qu’il remportera sans aucun problème contre une Marine le Pen diabolisée.

Emmanuel Macron est conscient que François Bayrou peut constituer une menace à long terme. Il faut donc s’en débarrasser. Hors de question de le nommer premier ministre, ça sera le ministère de la justice, puis la démission forcée. Il faut cependant conserver les apparences, car En Marche, le parti créé par Macron, a besoin du MoDem de Bayrou. Peut-être pas dans l’immédiat, mais à l’avenir. Ainsi, l’alliance entre les deux partis centristes n’est pas rompue, malgré la crise ouverte dès 2022 avec la perte de leur majorité absolue.

Les événements se sont précipités en 2024. La défaite écrasante face au RN aux élections européennes a incité Emmanuel Macron à dissoudre l’Assemblée Nationale. Le résultat a été pire encore, avec la perte de la majorité, relative cette-fois, au profit du Nouveau Front Populaire mené par Jean-Luc Mélenchon. Il y a dès lors trois blocs parlementaires de force plus ou moins égale : le NFP, le bloc central autour du président Macron et le RN en alliance avec Eric Ciotti. LR, réduit à une quarantaine de députés, sert de force d’appoint aux centristes. François Bayrou, qui refusait vingt ans auparavant de servir plus longtemps de partenaire minoritaire à la droite, savoure l’inversion des rôles.

Il sait aussi qu’une fenêtre d’opportunité va s’ouvrir pour lui, en cette période de macronie déclinante. La crise politique issue des législatives anticipées empêche le gouvernement de Michel Barnier de fonctionner convenablement. Le RN fait peser la menace de la censure si ses lignes rouges ne sont pas respectées, notamment dans le cadre des négociations pour le budget 2025. Puis arrive le jour fatidique, le mardi 4 décembre 2024. La gauche et la droite votent la censure, contre le gouvernement du centre et du centre-droit. La crise atteint son paroxysme.

François Bayrou, qui était jusqu’à présent cantonné au rôle de « haut-commissaire au plan » (quelle charmante appellation), décide d’agir. Cela fait trop longtemps qu’il était dans l’ombre et il venait d’être relaxé quelques mois auparavant dans l’affaire des assistants parlementaires du MoDem au Parlement européen. Pour pouvoir durer un peu plus longtemps, le prochain premier ministre doit être capable de passer, au minimum, un accord de non-agression avec les Socialistes et les Ecologistes, afin d’isoler LFI dans sa politique d’opposition totale. Et qui de mieux pour cette mission que celui qui a fait élire François Hollande en 2012 et Emmanuel Macron en 2017 ?

Le président, lui, rechigne. Tous ses premiers ministres étaient des personnalités sans grande envergure ni destin national, sauf peut-être Edouard Philippe. Le « nouveau monde » devait se faire sans les poids lourds de la politique d’avant 2017, y compris sans le président du MoDem. La nomination de Michel Barnier était déjà le signe que le projet avait du plomb dans l’aile. François Bayrou cherche alors à s’imposer, au moment où Emmanuel Macron est le plus affaibli.

Ce dernier est assailli de toutes parts, n’est pas parvenu à renforcer le rôle de la France en Europe et dans le monde, est à la tête d’un pays qui sombre dans la crise budgétaire (plus de 3 000 milliards d’euros de dette publique, 7% de déficit en 2024). Son voyage en Pologne, dans le but de se mettre en avant et de damer le pion à Donald Trump dans la course à la paix en Ukraine, s’est soldé par un désastre. Il faut dire que Macron ne porte pas le plus grand pays d’Europe centrale dans son cœur. N’oublions pas qu’il est issu du parti socialiste et déborde de préjugés et de condescendance envers l’Europe centrale.

Le président n’a pas le choix. François Bayrou menace de rompre leur alliance. Ca serait un coup terrible qui lui serait porté. Celui qui a permis sa victoire est celui qui peut provoquer sa chute définitive. Il ne lui resterait plus que la démission et une élection  présidentielle anticipée, qui verrait sans doute s’affronter Jean-Luc Mélenchon et Marine le Pen. Un cauchemar pour Emmanuel Macron, dont la volonté était de créer un bloc central durable élargi au PS et à LR et qui pourrait s’adapter en fonction de l’extrême à affronter au second tour. Il a donc cédé.

Maintenant, que peut faire François Bayrou à Matignon ? Quel gouvernement former ? Parviendra-t-il à arracher le PS au NFP ? Aura-t-il la bienveillance du RN et de Marine le Pen ? Fera-t-il adopter un budget qui ne soit pas catastrophique ? Les réponses à ces questions ne sont pas essentielles. Même si les Socialistes acceptent de ne pas se joindre aux censures en échange d’une promesse du gouvernement de ne pas passer de lois en force, même si le RN ne bloque pas automatiquement l’existence du cabinet Bayrou, même si un budget est finalement voté… rien de tout cela ne permettra de réparer la situation dans laquelle se trouve la France.

Accédera-t-il à la demande de Marine le Pen d’instaurer la proportionnelle aux élections législatives ? La composition actuelle de l’Assemblée Nationale ressemble déjà plus ou moins à ce que pourrait être le résultat d’une élection à la proportionnelle. L’immigration massive ne sera sans doute pas stoppée, la bureaucratie pléthorique ne sera probablement pas combattue, la fiscalité écrasante ne sera pas baissée. Qu’est ce que François Bayrou a à gagner en tant que premier ministre ? A moins qu’il ne s’agisse pour lui que de couronner sa carrière politique, auquel cas cela ne fera que confirmer son opportunisme.

François Bayrou est le représentant du centre mou et dévitalisé. Les grands mots de démocratie, d’humanisme et d’Europe, ont été dévalués par 60 ans de progressisme allant du centre-gauche au centre-droit. Le centrisme constitue de plus en plus un frein à l’histoire, Emmanuel Macron en étant la preuve absolue. Même si le nouveau premier ministre parvient à éviter une nouvelle censure, voire une nouvelle dissolution en attendant 2027, c’est une ambiance décrépie et délétère de fin de règne qui va s’installer dans le pays. Nul doute que les grands gagnants de cette séquence seront les « extrêmes », car ce sont eux qui représenteront l’opposition à la sclérose macrono-bayrouiste. Emmanuel Macron est vaincu, son échec est patent, François Bayrou tient sa revanche personnelle, le « nouveau monde » n’a été fort heureusement qu’une chimère.

.François Bayrou est écrivain et voue une passion à Henri IV, le roi qui a mis fin aux guerres de Religion entre catholiques et protestants. Il aurait pu être le Ravaillac d’Emmanuel Macron mais a choisi le panache blanc. Cependant, c’est une nouvelle guerre de Religion qui se prépare en France, avec cette fois-ci un autre acteur de poids. Le nouveau premier ministre aura-t-il le courage de mener une nouvelle bataille d’Ivry ?

Nathaniel Garstecka

œuvre protégée par droit d'auteur. Toute diffusion doit être autorisée par l'éditeur 14/12/2024
Fot. CHARLES PLATIAU / Reuters / Forum