Les relations polono-françaises ou quand l’amour n’est pas réciproque
Maria Curie-Skłodowska est unique et typique à la fois. Nous ne devrions pas oublier qu’elle brise tous les stéréotypes établis sur la Pologne. Les stéréotypes que nous savons faux – disait lors du débat #Curie2017 à Krynica le professeur Zdzisław KRASNODĘBSKI
Maria Curie-Skłodowska avait une soeur qui n’est pas devenue célèbre. À l’époque, de nombreuses Polonaises étudiaient à l’étranger. Elles ne pouvaient pas étudier en Pologne car à Varsovie il n’y avait pas d’université. Maria Dąbrowska, une écrivaine très connue, a fait ses études à l’étranger aussi. Comme la liste d’exilés serait longue, je me limite à citer ceux de ma spécialité : Maria Ossowska, une excellente sociologue, puis Stefan Czarnowski et Florian Znaniecki qui ont fait leurs études en France. Ce dernier se plaçait dans la lignée de Durkheim. Ces liens historiques étaient très forts.
Marie Curie-Skłodowska montre une chose : la position des femmes dans la société polonaise a toujours été à part à comparer avec les autres sociétés européennes.
La biographie de Marie Curie-Skłodowska montre que les femmes polonaises étaient indépendantes et avaient un caractère très fort. Elles venaient d’un pays catholique sans pour autant être dévotes comme on le croit souvent. Toute la vie de la scientifique, la vie privée aussi, est là pour en témoigner. Il y a aussi d’autres femmes qui relient l’histoire de la Pologne à celle de la France. Il convient de les nommer ici : Ewelina Kańska, Maria Leszczyńska, nous avons eu deux grandes reines françaises, et plus particulièrement Marie-Louise de Gonzague, l’ex-femme de deux rois – c’était l’âge d’argent dans l’histoire polonaise. Elle était une femme d’état et on sait bien que le roi Jean Casimir a fait une dépression après sa mort, puis abdiqué son trône, et si les réformes de Marie-Louise avaient réussi, le destin de la Pologne aurait été différent. C’était le dernier moment où la Pologne, après le déluge suédois, triomphait de la Russie et était en mesure de la vaincre. C’était la dernière chance, l’avant-dernière peut-être. Après, il y avait Sobieski dont la femme était, elle aussi, française. Il y a eu donc tout un cortège de femmes dont le souvenir est à rappeler dans nos débats sur les relations entre nos deux pays.
Quant à la science, il faut souligner la présence d’autres personnages, complètement oubliés, tel Ignacy Łukasiewicz, à vrai dire le pionnier de la technologie pétrolière. Une de mes amies, Maryna Miklaszewska, éminente écrivaine, a déjà rédigé la première partie d’un grand spectacle musical sur Łukasiewicz. J’essaye d’intéresser par ce projet des entreprises polonaises dont PGNiG et Orlen, pour les pousser à s’impliquer dans quelque chose de nouveau et qui rappelle un grand personnage tout en rompant avec la narration martyrologique.
Un autre exemple : l’école de Lvov-Varsovie. Je suis allé, il y a trois quatre ans à Princetown. On y a organisé une exposition consacrée à l’histoire de ce fameux institut où, comme on le sait, Einstein avait travaillé. Mais parmi les premiers enseignants de cet institut d’étude avancée de Princetown – ils étaient, me semble-t-il, douze – quatre noms étaient de Pologne : Stanisław Ulam, Leopold Infeld, Witold Hurewicz, Alfred Tarski. Pourquoi ne commémorons-nous pas ces gens-là ? Une conférence a cependant été organisée par les Allemands, fiers de leurs scientifiques juifs qu’on avait chassés d’Allemagne, qui ne voulaient rien avoir en commun avec la culture allemande mais qui lui sont aujourd’hui restitués. Pourquoi donc nous ne pouvons pas être fiers par exemple d’Alfred Tarski, Leopold Infeld ? Des gens qui étaient revenus en Pologne pour ensuite bâtir la physique polonaise à l’Université de Varsovie ?
J’ai l’impression, hélas, que les relations polono-françaises c’est un peu de l’amour non réciproque. Je vais vous faire une confidence : je suis des cours de français et ma professeure m’a demandé récemment si en Pologne on tourne des comédies, si nous savons rire. Je lui ai répondu que, bien sûr, nous sommes connus pour notre sens de l’humour. Mais d’après l’image de la Pologne véhiculée dans le monde nous sommes un pays triste, un pays du drame. Il y a quelques jours, cette image de l’histoire polonaise a été présentée par Timmermans, le vice-président de la Commission européenne, lors d’un débat au parlement européen. Il a dit que la Pologne n’avait pas connu depuis mille ans une aussi bonne situation qu’aujourd’hui car elle avait toujours été victime de la Russie ou de l’Allemagne. Il faut être un ignorant complet en ce qui concerne l’histoire de la Pologne pour dire cela.
C’est le stéréotype d’un pays-victime, objet d’une lutte et d’un butin à partager entre de grandes puissances. Certes, un pays vaillant, mais déraisonnable et toujours perdant. Je dirais donc : misons sur une autre narration ! Parlons de la Pologne en tant qu’un pays gagnant. Je rappellerai ici seulement que même Hegel, dans ses cours de philosophie, parlait de la bataille de Vienne. Faisons en sorte que la Pologne soit à nouveau perçue de cette façon-là !
La science polonaise et le rôle qui y ont joué les femmes en est le meilleur exemple. Montrons donc les femmes polonaises. Même Heinrich Heine, qui nous était hostile, en parlait. Si, en Allemagne, il existe des stéréotypes positifs, il y en a deux : le Polonais qui aime la liberté – ça revient toujours – et l’autre, c’est le mythe de la belle Polonaise. Heine s’était un jour rendu dans la région de Poznań et avait rédigé des articles sur ce voyage – rien ne lui avait plu à part les femmes polonaises qui l’avaient sensiblement impressionné.
C’est aussi un atout, une carte forte : notre histoire héroïque et notre science.
Au sein de l’Union européenne nous menons une lutte non pas parce que nous ne sommes pas contents du fait que des scientifiques polonais travaillent dans des laboratoires en Allemagne ou en Suisse. Notre participation dans les programmes européens tels que Horizon 2022 est trop faible et quelques petites modifications dans ces programmes pourraient nous permettre d’accroître notre participation. Notre coopération avec la France ou l’Allemagne dans le domaine des sciences exactes ou sociales devrait être plus effective. Il faut revoir les règles européennes – et nos efforts vont aller dans ce sens-là – afin que cela en vaille la peine pour les scientifiques polonais de diriger de grands projets scientifiques en Pologne, qu’ils ne doivent pas partir dans des laboratoires étrangers pour n’y être que des sous-traitants.
Zdzisław Krasnodębski