A partir de quoi jouer Chopin ? Du manuscrit à l'impression
L’utilisation d’un fac-similé de l’autographe musical à côté de l’édition originale permet au pianiste de se rapprocher le plus possible de la conception et des intentions sonores du compositeur.
.Pour répondre à la question du titre, il faut remonter l’histoire des éditions des œuvres de Chopin. Jusqu’à son départ de Pologne en 1830, il a publié ses œuvres simultanément chez deux ou trois éditeurs (en France et en Allemagne, ou en France, en Allemagne et en Angleterre) ; leurs publications devaient paraître en même temps, ce qui était lié aux dispositions légales de l’époque concernant la répartition des éditions, et nécessitait en même temps la production de plus d’un manuscrit, constituant la base de l’impression. Il existe des différences dans les détails des œuvres entre les manuscrits en question, qui datent à peu près de la même époque, ce qui prouve que le compositeur lui-même a prévu diverses variantes. Mais il s’agit toujours de variantes d’auteur.
Pendant 30 ans après la mort de Chopin, les droits de propriété des œuvres, acquis par les éditeurs de ses premières éditions, étaient encore en vigueur. Une fois ces droits expirés, on a assisté à un véritable déferlement d’éditions des œuvres du compositeur, tant complètes qu’individuelles. Il faut rappeler que l’attitude à l’égard du texte de l’auteur était beaucoup moins restrictive à l’époque qu’aujourd’hui. Les éditeurs qui préparaient les partitions y apportaient toutes sortes de corrections et de changements, notamment en ce qui concerne les indications dites d’exécution (tempo, changements de dynamique, production sonore, pédalage), et parfois même la hauteur et le nombre de notes. Ces modifications reflètent soit le style d’exécution de l’époque, soit le style d’exécution individuel de l’éditeur, qui était généralement un pianiste, mais n’ont plus rien à voir avec l’intention du compositeur. Ce type d’édition, qui éloigne l’interprète du message du compositeur, est encore pratiqué aujourd’hui, bien qu’il ne constitue certainement pas une bonne source pour connaître l’intention originale du compositeur. Ce n’est pratiquement qu’après la Seconde Guerre mondiale que la conviction a mûri et s’est renforcée que les éditions d’œuvres musicales devaient être fondées sur les sources du compositeur dument analysées, plutôt que sur une interprétation des rédacteurs. Plusieurs éditions complètes des œuvres de Chopin ont été réalisées à ce jour, notamment l’édition nationale des œuvres de Frédéric Chopin, éditée par le professeur Jan Ekier.
Une comparaison des éditions sources montre qu’il existe entre elles quelques différences dans les détails du texte musical, qui ont une double origine : comme indiqué précédemment, des différences mineures et parfois même majeures existent entre les sources du compositeur elles-mêmes, mais aussi certains de leurs passages nécessitent une interprétation, une clarification, une évaluation pour savoir si nous avons affaire à une erreur ou à une variation intentionnelle du texte ; la manière dont ces passages sont interprétés et ces dilemmes sont résolus varie évidemment. Cependant, indépendamment des détails mentionnés ici, les éditions sources offrent la possibilité d’un contact avec le texte musical beaucoup plus proche des intentions du compositeur que les éditions susmentionnées de la fin du XIXe et de la première moitié du XXe siècle.
.La possibilité d’une relation encore plus étroite avec le message direct du compositeur est offerte par les manuscrits musicaux de Chopin, qui sont maintenant publiés en fac-similé par l’Institut Frédéric Chopin. On sait que certains pianistes utilisent ces éditions, bien que cela ne soit pas toujours pratique en raison des différents degrés de lisibilité. Une chose est sûre : l’utilisation d’un fac-similé de l’autographe musical à côté de l’édition source permet de s’approcher au plus près de la conception et des intentions sonores du compositeur.
Zofia Chechlińska